Si l’on regarde l’histoire, le statut de moine était autrefois ouvert aux deux sexes : les hommes devenaient bhikkhus et les femmes bhikkhunis. Mais depuis lors les moniales ont disparu du bouddhisme thevarada (petit véhicule) le plus largement pratiqué en Thaïlande (1).
Aujourd’hui, un groupe de bouddhistes féministes ont fondé un mouvement sous la direction du Dr Chatsumarn Kabilasigh, pour rétablir une Sangha (2) bhikkhuni dans le pays. Bien que cette croisade ait été souvent accueillie avec scepticisme, voire avec des quolibets ironiques, le Dr Chatsumarn continue à croire au bénéfice social éventuel d’une Sangha bhikkhuni. « Tout d’abord, l’occasion serait donnée aux femmes d’avoir un statut dans la religion si elles désirent suivre leur foidit-elle. Les femmes qui aujourd’hui veulent quitter le monde peuvent devenir des nonnes bouddhistes, mais à cause du statut social très bas elles ne sont reconnues ni socialement ni religieusement. « Les nonnes bouddhistes ne sont pas classées dans l’un des quatre groupes traditionnellement reconnus par le bouddhismedit le Dr Chatsumarn. « Les femmes qui veulent sérieusement pratiquer le bouddhisme n’y trouvent pas d’image positive ou de modèle
Les quatre groupes reconnus par le bouddhisme sont les suivants : les bhikkhus, les bhikkhunis, les laïcs et les laïques. Une Sangha des moniales aiderait à la satisfaction spirituelle des femmes mais contribuerait aussi à guérir un certain nombre de maladies sociales, selon le Dr Chatsumarn. En fait, la bhikkhuni Voramai, âgée de 87 ans, est la première et la seule femme thaïlandaise à avoir été ordonnée (à Taiwan). Elle travaille à la réinsertion de femmes destituées, à Watra Songthamkalyanin, le temple bhikkhuni de Nakhon Prathom. Mais le problème crucial posé par l’établissement éventuel d’une Sangha bhikkhuni est celui de son acceptation par les moines, dit le vénérable Phra Methi Dhammaporn : « Les bhikkhunis ont disparu depuis longtemps du bouddhisme thevarada ; par conséquent, le statut ainsi acquis d’une bhikkhuni sera critiqué, spécialement si on insiste pour dire que les bhikkhunis sont égales en droit aux bhikkhusdit le vénérable, qui est doyen de la faculté à l’université bouddhiste de Maha Chulalongkorn.
Dans le passé, l’accès au statut de bhikkhuni exigeait une ordination préalable par une assemblée de dix bhikkhunis. L’ordination finale était ensuite conférée par une assemblée de moines. Si aujour’hui l’ordination d’une nouvelle bhikkhuni est improbable, selon le Dr Chatsumarn, il reste possible de faire ordonner des bhikkhunis thaïlandaises par des bhikkhunis taiwanaises appartenant à la tradition mahayana (grand véhicule) qui en a conservé la tradition. A l’appui de sa thèse, elle cite une étude historique du bouddhisme révélant que des bhikkhunis indiennes avaient ordonné des bhikhunnis srilankaises qui, à leur tour, ordonnèrent des bhikkhunnis chinoises, maintenant ainsi un lignage sans interruption.
Cependant, si le rituel sacré suivi par les bhikkhunis de tradition mahayana comporte des différences, il a peu de chances d’être accepté par la Sangha thaïlandaise, estime Phra Methi. Pour que la Sangha nationale reconnaisse une bhikkhuni il faut qu’elle soit ordonnée dans la tradition thevarada. Le conseil suprême de la Sangha doit aussi délibérer pour savoir si le Vinaya, code de discipline monastique, permet l’ordination d’une bhikkhuni. « Il y des textes du Vinaya qui n’ont pas encore été interprétés. On ne peut pas dire à l’avance que leur interprétation permettrait l’ordination de bhikkhunisdit Phra Methi.
Si le Vinaya permet l’ordination des femmes, celles-ci seront naturellement reconnues par les bhikkhus. Jusqu’à présent, il n’y a pas suffisamment de demandes pour que la Sangha soit obligée d’interprèter le Vinaya. Le renouveau du monachisme féminin, dit Phra Methi, est l’idée d’un petit groupe d’intellectuels : « Même les moines occidentalisés les plus libéraux, comme le vénérable Phra Sumeto, un moine américain qui croit à l’égalité des femmes, n’ordonnent pas de bhikkhunisdit-il.
Plutôt que d’établir une Sangha bhikkhuni, ce qui pourrait créer des conflits, Phra Methi propose qu’on avance par étapes. La première priorité serait de donner davantage d’éducation dhamma aux nonnes afin d’améliorer leur statut : « Il faut donner aux nonnes une éducation convenable pour qu’elles puissent contribuer à la société, de la même manière que les religieuses catholiquesDe cette manière, les nonnes pourraient peu à peu obtenir un statut plus élevé dans la hiérarchie bouddhiste.
Le Dr Chatsumarn n’est pas d’accord : les nonnes ont été négligées depuis si longtemps qu’elles ne peuvent pas former une organisation religieuse utile au développement social. Beaucoup d’entre elles ne font que des corvées au service des moines. Une enquête récente a aussi établi que 70% d’entre elles sont devenues nonnes pour échapper à un échec social et non pas par conviction religieuse.
Mais pour la nonne bouddhiste, Mae Chi Sansanee Sthirasuta, la question du statut religieux est sans intérêt: « Nous savons ce que nous faisons, c’est suffisant; les noms par lesquels on nous appelle ou notre statut ne nous intéressent pas. Je ne suis pas contre le mouvement qui cherche à améliorer le statut des femmes dans le bouddhisme, mais ce n’est pas une affaire religieuseMae Chi Sansanee dirige Sathienthammasathan, un refuge pour femmes qui cherchent à approfondir leurs vertus morales et spirituelles.
Le professeur Prawase Wasi reconnaît la valeur exemplaire du travail de Mae Chi Sansanee. Favorable à l’égalité entre hommes et femmes dans tous les domaines, il estime avec elle qu’une campagne pour rétablir le statut des bhikkhunis prendrait beaucoup de temps, gaspillerait beaucoup d’énergie et ne fournirait pas l’occasion concrète d’aider les femmes qui sont dans la détresse : « Si nous devons attendre l’établissement d’une Sangha bhikkhuni, il sera trop tarddit-il.
Quoi qu’il en soit, le Dr Chatsumarn a peu à peu organisé son mouvement pour les bhikkhunis autour de sessions de deux semaines qu’elle organise depuis deux ans pour les femmes qui veulent étudier le dhamma, la méditation et l’ascétisme : « Nous voulons des femmes instruites pour devenir les premières bhikkhunisdit-elle. A long terme, elle veut prouver à la société thaïlandaise et à la Sangha que les bhikkhunis peuvent apporter leur contribution spécifique à la communauté humaine. « Nous ne recherchons pas un statut d’égalité pour lui-même : nous voulons qu’on nous donne une chance d’offrir notre vie au bouddhisme et à la sociétéajoute-t-elle.