Eglises d'Asie

Après le meurtre de l’avocat musulman U Ko Ni, la communication très discrète des autorités

Publié le 15/02/2017




Près de trois semaines après le meurtre de l’avocat musulman U Ko Ni, les autorités birmanes n’ont rien révélé des motivations de ceux qui ont été arrêtés dans le cadre de l’enquête. Le mutisme de la police et du gouvernement est symptomatique du fait que toute affaire mêlant potentiellement religion, politique et …

… violence est désormais passée sous silence par les autorités dans un pays où les conflits interreligieux se sont multipliés ces dernières années.

Dans un tout premier temps, le gouvernement birman avait choisi de communiquer. Le 30 janvier dernier, soit le lendemain du meurtre de l’avocat musulman U Ko Ni, le bureau du président birman avait publié un communiqué de presse évoquant un « assassinat », et donc impliquant un acte prémédité, « susceptible de déstabiliser le pays ». Quelques heures après la mort de l’avocat, le pouvoir civil n’hésitait donc pas à sous-entendre que ce meurtre était politique.

Un avocat critique des privilèges constitutionnels garantis à l’armée

De fait, U Ko Ni, 65 ans, était un avocat impliqué dans de nombreux sujets sensibles en Birmanie. Présenté comme un conseiller du parti de la ministre Aung San Suu Kyi, actuellement au pouvoir, il avait pourtant confié à l’auteur de ces lignes s’être éloigné de cette formation politique ces dernières années. Il s’était vigoureusement opposé aux quatre lois sur « la protection de la race et de la religion », adoptées sous la pression des extrémistes bouddhistes sous le précédent gouvernement. Spécialiste de la Constitution birmane de 2008, il critiquait le rôle prépondérant des militaires sur la scène politique et leurs privilèges garantis par la loi fondamentale. Il a été tué par balle, presque à bout portant, alors qu’il tenait son petit-fils dans les bras, à la sortie de l’aéroport international de Rangoun, le 29 janvier dernier.

L’enquête a d’abord progressé rapidement. La police a arrêté deux ou trois suspects, selon les informations confuses qu’elle a transmises à la presse. Le premier a été appréhendé quelques minutes après le meurtre grâce au courage de chauffeurs de taxi qui ont empêché le tireur de fuir. L’un des chauffeurs a d’ailleurs été mortellement blessé par l’assaillant alors qu’il le poursuivait. Le ou les autres suspects, présentés comme un ou des commanditaires de l’assassinat, ont été arrêtés dès le lendemain dans l’Etat karen, à l’est du pays.

Des autorités soudain mutiques

Les autorités ont ensuite changé de stratégie de communication. Elles n’ont plus rien révélé. Le matin suivant le meurtre, la presse gouvernementale a évoqué la mort d’U Ko Ni avec beaucoup de distance alors que les assassinats politiques en pleine rue sont extrêmement rares à Rangoun. La version électronique du 29 janvier au soir du New Light of Myanmar, le quotidien du pouvoir, proposait au lecteur, en Une, un article sur le sujet. Mais le lendemain matin, dans la version papier, l’information avait disparu de la première page du journal. Le rédacteur en chef du quotidien a admis avoir reçu des « pressions ». « Nous ne pouvons pas prendre de décisions comme le font les journaux privés », a-t-il expliqué. Un de ses confrères de la presse privée a alors conclu : « Cela montre que, lorsqu’il s’agit d’une affaire impliquant des gens d’autres religions [autres que bouddhiste], les articles traitent ces informations avec beaucoup de précaution. Les responsables du gouvernement répugnent à se battre pour la vérité. »

La presse indépendante birmane a ensuite révélé qu’U Ko Ni faisait l’objet d’une surveillance de la part des services secrets militaires, ce qui est assez fréquent en Birmanie pour les personnalités politiques. Elle a également dévoilé qu’il était menacé de mort. Le lieu et l’heure du meurtre interrogent. U Ko Ni a été tué en plein jour, dans un lieu public, alors qu’il revenait d’un voyage dans le pays musulman le plus peuplé au monde, l’Indonésie. Un choix qui n’est sans doute pas anodin. L’aéroport de Rangoun, récemment agrandi et modernisé, est par ailleurs un des symboles de l’ouverture récente du pays. C’est aussi un des endroits les plus sécurisés de la ville et de nombreux policiers y patrouillent habituellement. U Ko Ni ne cherchait pas à dissimuler son lieu de travail habituel. Son cabinet, situé au centre-ville de Rangoun, était facilement accessible de tous et l’avocat ne disposait d’aucune mesure de protection particulière. Ceux qui ont décidé de l’éliminer ont donc choisi d’envoyer un message politique à l’opinion, suggérant qu’ils n’avaient pas peur de la police et qu’ils pouvaient agir où bon leur semblait.

La police a indiqué que le tireur et le commanditaire avaient déjà été incarcérés pour des faits relevant du trafic de statues bouddhistes. Ils auraient bénéficié d’une amnistie présidentielle en 2014. Mais les enquêteurs n’ont rien dit des motivations de ces deux hommes. Pressé par les journalistes, le chef de la police de Rangoun a simplement lâché, sans davantage d’explications, qu’« ils avaient probablement fait cela [le meurtre] juste pour de l’argent ».

Des questions sans réponse

De rares journalistes mènent encore l’enquête en Birmanie. Le site Myanmar Now a retrouvé un témoin qui avait connu les deux suspects lors d’un séjour en prison. Il les a identifiés au moyen de photographies parues dans la presse et il a expliqué que le second était un ancien lieutenant de l’armée birmane. Ce même témoin affirme avoir été approché en juin dernier par celui que l’on présente comme le commanditaire du meurtre. Ce dernier lui aurait alors demandé de tuer un diplomate ou une personne d’une religion étrangère contre cent mille dollars. Le témoin dit avoir refusé. Si ces informations étaient confirmées, la somme proposée et le passé militaire du suspect laissent supposer que d’autres personnes seraient impliquées dans le meurtre d’U Ko Ni. Mais les autorités ne communiquent plus.

La chaîne de télévision birmane Democratic Voice of Burma (DVB) s’interroge sur le silence de la conseillère d’Etat Aung San Suu Kyi, elle qui parle pourtant si souvent de l’importance du respect de la loi. « Elle n’a rien dit de manière publique et elle n’a pas assisté aux funérailles d’U Ko Ni, qui ont rassemblé des dizaines de milliers de proches du défunt », remarque un politologue cité par DVB.

Le 7 février dernier, le site The Irrawaddy a ouvertement confié sa déception : « Il est inquiétant de voir que plus d’une semaine après le meurtre d’U Ko Ni, ni la police, ni les forces de sécurité, ni le gouvernement n’ont organisé de conférence de presse sur le drame. » Et l’éditorialiste de The Irrawaddy de s’interroger : « Allons-nous découvrir qui a réellement tué U Ko Ni ? »

(eda/rf)