Eglises d'Asie

Sept ans après la fin de la guerre, le combat des femmes de disparus

Publié le 19/09/2016




Depuis la guerre qui s’est achevée en mai 2009, le deuil est impossible pour de milliers de familles de disparus. Dans un contexte où le gouvernement à Colombo est peu enclin à admettre les exactions perpétrées par son armée, le combat des familles pour connaître la vérité sur le sort de leurs proches est …

… délicat. Sept ans après la guerre, des femmes continuent à espérer le retour d’un mari, d’un fils ou d’un frère. Issus de la minorité tamoule, ces proches ont disparu au plus fort des combats, quand les soldats de Colombo s’octroyaient tous les moyens pour reconquérir, au nord et à l’est de l’île, le territoire de la rébellion des Tigres de Libération de l’Eelam tamoul (LTTE), classée en organisation terroriste par la communauté internationale.

Mois après mois, en 2009, les rebelles ont reculé face à l’avancée de l’armée, jusqu’à se trouver piégés sur le rivage de Mullaitivu, aux côtés de 350 000 civils tamouls. D’après l’estimation le plus souvent retenue par les universitaires étrangers, 70 000 personnes auraient été tuées durant les derniers mois, en grande majorité sous les tirs de l’armée. Des milliers d’autres ont disparu. « Ce sont des gens et des cas différents, explique Ruki Fernando, un défenseur des droits de l’homme. Il y a tout d’abord les chefs du LTTE qui se sont rendus à l’armée. Mais aussi des journalistes, le recteur d’une université, des prêtres catholiques… Et puis des gens « normaux », des paysans, des pêcheurs, des étudiants ont disparu. Soit ils étaient soupçonnés par l’armée d’avoir des liens avec le LTTE, soit ils critiquaient le gouvernement. »

« Nous avons fait confiance au gouvernement »

Le 18 mai 2009, jour de la victoire de l’armée gouvernementale, Kanthasamy Ponnaman a été témoin de la reddition de son gendre, aux cotés de sa fille et de leurs deux enfants en bas-âge. Elle se souvient : « Par haut-parleurs, les soldats de la 58ème division ont demandé que toutes les personnes ayant travaillé pour les Tigres, ne serait-ce qu’une journée, s’identifient. Certains ont décidé de dire qu’ils n’appartenaient pas au LTTE. Mais avec ma famille, nous pensions que ceux qui se rendraient seraient faits prisonniers. Je croyais que nous étions sauvés. Mon gendre, qui travaillait dans l’administration du LTTE, s’est enregistré, alors que de mon côté j’ai été placée dans la file des civils. » Kanthasamy Ponnaman a vu alors sa famille être mise à l’écart avec un groupe. « Un prêtre tamoul, le P. Francis Joseph, a proposé de servir d’intermédiaire pour aider à la reddition et accompagner le groupe, continue la vieille femme. Nous avons fait confiance au gouvernement. Et nos familles sont parties dans trois autocars militaires, avec femmes et enfants… On ne les a jamais revus, aucun d’entre eux. Pourquoi ont-ils même pris les enfants ? », demande-t-elle en pleurs, en montrant une photo de sa famille disparue. Elle insiste pour donner leurs noms : sa fille Nadesu Muralitharan, son gendre Muralitharan Krishnakrami, et les deux enfants Sariyan et Murali. « Cet incident, qui concerne plus d’une centaine de disparus, a été observé par de nombreux de témoins directs, commente Ruki Fernando. Mais, à ce jour, le gouvernement n’a livré aucune explication. »

Dans ce même autobus, Ananthi Sasitharan perdait également son mari, Elilan de son nom de guerre, un responsable politique du LTTE. Depuis, cette mère de famille s’est muée en politicienne engagée pour exiger des réponses de la part du gouvernement. « Nous demandons justice, martèle Ananthi Sasitharan, et nous ne devrions pas avoir à supplier, cela devrait être notre droit. Mais nous ne croyons plus aux promesses du gouvernement. Seulement 24 000 plaintes concernant des disparus ont été déposées auprès de la commission spécialisée, car les gens ont peur d’avouer qu’ils avaient des parents proches parmi les Tigres. Mais avec Ponnaman et d’autres femmes de disparus, nous sommes unies. Nous n’avons pas peur. Nous nous battons pour ceux que nous aimons. » Et Ananthi Sasitharan et ses amies n’hésitent pas à protester publiquement et à organiser des manifestations.

L’Office of Missing Persons, une nouvelle commission

De leur côté, les autorités s’engagent depuis la fin de la guerre à documenter et résoudre les cas de disparitions. Mais les commissions se succèdent les unes après les autres sans résultat. « Je ne pense pas que le gouvernement soit sincère dans sa manière de gérer le problème, estime Ruki Fernando. Par exemple, on a des cas où les circonstances des disparitions sont très claires. Mais aucune action n’est entreprise. J’ai l’impression que ces institutions sont créées pour rassurer à bon compte les familles et satisfaire les représentants des Nations Unies et les défenseurs de droits de l’homme. » Fin 2015, le Haut Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU a spécifiquement exigé du Sri Lanka l’engagement d’avancer concrètement sur ces dossiers. Et sous l’impulsion du nouveau président Maithripala Sirisena, élu en 2015, le pays affiche sa mobilisation dans le processus de réconciliation et de reconnaissance de la vérité. Le 11 août dernier, les députés ont finalement voté une loi relative à la création d’une nouvelle commission : le Bureau des personnes disparues (Office of Missing Persons – OMP), chargé d’enquêter sur 65 000 disparitions répertoriées au cours des trois dernières décennies de guerre civile.

En attendant, Ananthi Sasitharan garde espoir : « Je pense que mon mari est toujours vivant. Il y a peut-être des camps secrets dans lesquels des prisonniers de guerre sont enfermés… Nous avons aussi appris que le gouvernement avait une liste nominative des prisonniers qu’il ne veut pas nous communiquer. » Un avocat de Jaffna, sous réserve d’anonymat, confirme ces accusations. Il explique que le gouvernement a déjà fourni une liste de 216 noms de prisonniers LTTE : « J’ai vérifié les noms de cette liste, et beaucoup de ces prisonniers avaient déjà été libérés. Je pense que c’est une fausse liste. Il semble qu’il y en ait une autre dont nous n’avons pas connaissance. Pour résumer, on n’a aucune idée du nombre des prisonniers et l’on ne sait pas ce qui leur est arrivé. » Quant à l’idée de camps secrets, Ruki Fernando n’y croit pas : « Il a certainement dû exister des centres secrets de détention au Sri Lanka. Mais je serais très surpris qu’il y en ait encore aujourd’hui. »

Une action peu appréciée des autorités

En signe de protestation, Kanthasamy Ponnaman, Ananthi Sasitharan et leurs amies vont jusqu’à boycotter les commissions. Elles sont 150 femmes à faire front, et 34 d’entre elles ont même porté plainte. « J’ai déjà donné maintes fois toutes les preuves de la disparition, souligne Ponnaman. A quoi cela sert-il ? Je suis même allée rencontrer David Cameron à Jaffna lors de sa visite en novembre 2013. Si la communauté étrangère faisait pression, notre situation s’arrangerait. Mais personne ne fait rien. » A Jaffna, le député tamoul E. Saravanapavan approuve : « Depuis sept ans, il y a eu beaucoup de fausses promesses et rien de concret. » A Mullaitivu, le politicien élu T. Raviharan renchérit : « La commission tente de donner aux gens des certificats de décès pour en terminer et qu’ils se taisent. Mais beaucoup de familles refusent. »

« Comment pouvons-nous nous défendre ?, s’interroge Ananthi Sasitharan. Nous, les victimes, ne parlons que le tamoul et nous ne pouvons pas dire au monde les atrocités que nous avons vécues. Et nous sommes menacées dès que nous parlons. » L’action de ces femmes est effectivement loin d’être appréciée par les autorités. « Le gouvernement perçoit ces femmes de disparus comme des ennemies », dénonce Ruki Fernando. L’une d’entre elles, Balendra Jeyakumari, a notamment fait les frais de son engagement. Cette femme a perdu deux fils durant la guerre. L’un a été tué par un obus en mai 2009, sous ses yeux, sur la plage de Mullivaikal. L’autre a été recruté en enfant-soldat par les Tigres à la fin de la guerre. Mais, en 2010, elle reconnaît ce dernier sur une photo prise dans un centre de réhabilitation et publiée dans un journal. « La preuve qu’il a été fait prisonnier par l’armée », dit-elle. Depuis, elle ne cesse de le chercher. Et l’an dernier, elle a été emprisonnée plusieurs mois, au nom d’une loi spéciale anti-terrorisme… « J’ai peur, résume Balendra Jeyakumari. Mais je n’ai plus rien à perdre. »

(eda/vd)