Eglises d'Asie

Hongkong : annonce puis retrait d’un projet de création d’un Bureau des Affaires religieuses

Publié le 06/03/2017




C’est par un message vidéo mis en ligne le 4 mars dernier sur sa page Facebook que Carrie Lam a opéré un rétropédalage en règle : après avoir annoncé, le 27 février, qu’elle envisageait la possibilité de mettre en place une « Unité des Affaires religieuses » au sein du Bureau des Affaires intérieures de …

… Hongkong, celle qui fait figure de favorite pour le poste de chef de l’exécutif de Hongkong a annoncé le retrait de ce point précis de son programme. Retrait qui intervient après la manifestation par le diocèse de catholique de Hongkong de son « opposition résolue » à la création de ce qui ressemblerait fort à un Bureau des Affaires religieuses, tel qu’il existe en Chine continentale.

A Hongkong, l’actualité politique de ces dernières semaines est dominée par la désignation du prochain chef de l’exécutif. Au pouvoir depuis juillet 2012, le très impopulaire CY Leung ne se représente pas, et, le 26 mars prochain, le Comité électoral, cette instance très restreinte de 1194 membres (1) dont chacun sait qu’elle est sous l’influence étroite de Pékin, élira son successeur. A l’heure actuelle, des trois candidats ayant réunis le nombre nécessaire de parrainages pour être éligibles, il semble que la favorite soit Carrie Lam. Ancienne directrice générale de l’administration de la Région administrative spéciale de Hongkong de 2012 à janvier 2017, Carrie Lam Cheng Yuet-ngor passe pour être la protégée de Pékin, tout en se montrant attentive aux fortes aspirations d’autonomie et de progrès social de la population de Hongkong. Catholique pratiquante, âgée de 60 ans, elle a réuni 580 parrainages sur son nom, là où ses deux opposants, l’ancien magistrat Woo Kwok-hing et l’ancien directeur des Affaires financières du territoire de 2007 à 2017 John Tsang, n’en ont réunis respectivement que 180 et 165.

Une « Unité des Affaires religieuses » sous la tutelle des Affaires intérieures

Le 27 février dernier, Carrie Lam a publié son programme d’action politique, un document de 47 pages, dont un point particulier a très rapidement attiré l’attention des responsables religieux de Hongkong. Aux points 6.43 et 6.44, la responsable politique aborde la politique religieuse et dit sa volonté d’« examiner la possibilité de mettre en place une ‘Unité des Affaires religieuses’ sous la tutelle du Bureau des Affaires intérieures », unité dont la tâche serait de « coordonner » les politiques ayant trait aux affaires religieuses.

La réaction des milieux concernés n’a pas traîné. Directeur de la Divinity School de l’Université chinoise de Hongkong, l’universitaire Ying Fuk-tsang a, dès le 27 février sur sa page Facebook, analysé la nouvelle de la manière suivante : « Une fois le concept d’affaires religieuses introduit par le gouvernement [de Hongkong], une fois qu’une ‘unité’ chargée de ces affaires religieuses sera mise en place, Hongkong sera placé sur un chemin de convergence avec la Chine. » En Chine continentale, le Bureau des Affaires religieuses, qui a rang de ministère, est l’instance chargée de mettre en œuvre la politique religieuse du Parti et du gouvernement chinois, une politique toujours présentée comme ayant partie étroitement liée avec la stabilité de l’Etat et la sécurité nationale.

Au sein des instances religieuses de Hongkong, la surprise semble avoir été complète. Des membres catholiques du Comité électoral ont ainsi témoigné du fait que Carrie Lam avait rencontré le 11 février dernier des membres catholiques et protestants du Comité sans qu’à aucun moment, elle ne fasse mention de ses vues ou de ses projets en matière de politique religieuse.

« Opposition résolue » de l’Eglise catholique de Hongkong

La réaction du diocèse catholique de Hongkong n’a pas tardé à venir. Par un communiqué en date du 3 mars, le diocèse a signifié son « opposition résolue » à la mise en place d’« une Unité des Affaires religieuses ou de toute autre institution similaire à Hongkong ». Rappelant que la Loi fondamentale, le texte qui fait office de Constitution à Hongkong, garantit la liberté de croyance religieuse, le communiqué appelle la candidate à retirer ce point de son programme, sauf à « soulever l’inquiétude des chrétiens [de Hongkong] quant à la liberté religieuse » dans le territoire. Il est précisé que la veille, le 2 mars, l’évêque de Hongkong, le cardinal John Tong Hon, a écrit à Carrie Lam une lettre en ce sens.

Le communiqué du diocèse argumente sa demande en rappelant que la Loi fondamentale, qui organise la formule imaginée par le Royaume-Uni et la Chine populaire autour de la formule « Un pays, deux systèmes », aurait pu comporter un article consacré à « la politique religieuse », mais que cette perspective avait été vivement rejetée en avril 1986 par les responsables chrétiens de Hongkong de l’époque, lesquels craignaient la mise en œuvre d’éventuelles restrictions à la liberté religieuse au nom d’une future politique religieuse pilotée depuis Pékin. Le communiqué du diocèse de Hongkong note encore qu’avant comme après 1997, date du retour de Hongkong sous le drapeau chinois, les religions ont rendu de très nombreux services à la société et ont établi pour cela « une relation de collaboration avec le gouvernement local ». Contrairement au continent où le gouvernement est principalement dirigé par des « athées », à Hongkong, les « canaux de communication » entre les religions et le gouvernement local ont fait la preuve de leur efficacité, sans qu’il soit nécessaire d’établir une nouvelle unité ou département des Affaires religieuses, relève encore le diocèse.

Comment interpréter le rétropédalage de Carrie Lam

Le message semble avoir été compris puisque, le 5 mars au soir, Carrie Lam publiait sur sa page Facebook ses « excuses » et annonçait le retrait immédiat de ce point de son programme. « L’objet originel [de la proposition] était uniquement de favoriser les activités et le développement du secteur religieux. Malheureusement, cela a abouti à certains malentendus, notamment de la part de certaines institutions religieuses qui se sont demandé si le gouvernement n’avait pas changé sa politique en matière de liberté religieuse », s’est justifié la candidate, en précisant qu’elle avait écrit au cardinal Tong pour clarifier sa position et expliquer sa décision.

A ce stade, les observateurs s’interrogent sur la signification du retrait de la proposition inscrite au programme de Carrie Lam. S’agit-il du rétropédalage d’un candidat qui, même s’il est favori, n’est pas certain d’être élu le 26 mars prochain ? Carrie Lam est en effet bien consciente que la confiance des Hongkongais dans le montage politique hybride de la formule « Un pays, deux systèmes » ne cesse de décliner à la suite des incessantes intrusions de Pékin dans les affaires de Hongkong. Face à la percée des « localistes » – cet euphémisme destiné à éviter le mot trop sulfureux d’« indépendantistes » – lors des élections législatives de septembre 2016, le paysage politique de Hongkong est devenu beaucoup plus mouvant qu’autrefois et Carrie Lam, non assurée à ce jour de son élection, ne peut se permettre de se mettre à dos les responsables religieux, chrétiens notamment, du territoire.

Une autre explication serait que l’introduction surprise des points 6.43 et 6.44 dans le programme de Carrie Lam n’est en rien une erreur ou un calcul mal assuré de la candidate favorite de Pékin. A la manière dont a coutume d’agir le gouvernement communiste en Chine continentale, il s’agirait là d’une tentative pour tester les résistances de la partie adverse. Plutôt que d’une confrontation brutale, le Parti avance ses pions petit à petit, quitte à les retirer si la résistance s’avère trop forte. Dans le domaine scolaire, l’Eglise catholique, qui est le deuxième acteur du secteur à Hongkong, n’a pas hésité ces dernières années à croiser le fer avec le gouvernement au sujet des évolutions législatives concernant le mode de gestion des établissements privés sous contrat avec l’Etat ou bien encore l’introduction de cours de patriotisme dans les écoles. Dans la perspective de la fin de la formule « Un pays, deux systèmes », prévue pour 2047, Pékin chercherait à imposer à Hongkong sa conception de la gestion des « affaires religieuses », érodant peu à peu les libertés qui y ont cours.

(eda/ra)