Eglises d'Asie

Les nationalistes hindous prennent la tête de Goa, un Etat à l’importante minorité catholique

Publié le 24/03/2017




Dans l’Etat côtier de Goa, au sud-ouest de l’Inde, le parti des nationalistes hindous du Premier ministre Narendra Modi a réussi l’exploit d’arracher une victoire électorale sans avoir remporté le vote populaire. Au jeu des coalitions et des alliances, la majorité a ainsi basculé du côté du parti au pouvoir …

… à New Delhi, le BJP (Bharatiya Janata Party – Parti du peuple indien), malgré un résultat insuffisant de 13 sièges obtenus à l’Assemblé législative locale qui en compte un total de 40. Le soutien de deux petites formations et de candidats indépendants a permis au BJP de former une coalition majoritaire.

Cette victoire vient s’ajouter aux trophées électoraux des nationalistes hindous. Le 11 mars, le BJP a fait un triomphe dans la plupart des cinq scrutins régionaux qui se sont déroulés en Inde en ce début d’année. Ce parti a remporté notamment l’Uttar Pradesh, un Etat de 200 millions d’habitants dont l’appartenance politique joue traditionnellement un rôle décisif à New Delhi. Cette victoire écrasante est venue renforcer la position de Narendra Modi et de son parti dans le paysage politique national. Et, désormais, Goa rejoint la liste des Etats « safran », la couleur des nationalistes hindous.

Treize sièges pour le BJP, dix-sept pour le Parti du Congrès

Cette couleur politique, basée sur l’identité d’une nation hindoue et sur un courant d’extrême-droite, contraste avec la culture de Goa, un petit Etat de 1,5 millions d’habitants où les églises blanches se dressent dans chaque village. Près de 26 % des Goanais sont chrétiens, principalement catholiques, contre 2,3 % à l’échelle de l’Inde. Colonie portugaise à partir du début du XVIe siècle et durant 451 années, ancien terrain de prédilection des activités évangéliques et missionnaires (le diocèse de Goa a été fondé en 1533), Goa affiche des liens forts avec le catholicisme et incarne le rayonnement de l’Eglise catholique en Asie du Sud. Cet Etat, qui dispose également d’un Code civil unique, abrite le diocèse catholique le plus important du pays (avec 660 000 fidèles – dont 350 000 pour le territoire de l’Etat de Goa), même s’il est l’un des plus petits en surface (4 200 km²). Et comme dans les autres Etats du sud de l’Inde, l’influence des catholiques a développé une empreinte forte sur les institutions éducatives et de santé. A l’issue du scrutin législatif de ce mois-ci, les observateurs ont également noté un record de 43 % de catholiques parmi les députés nouvellement élus.

Ce 14 mars, Manohar Parrikar, le ministre de la Défense, a quitté le gouvernement fédéral à New Delhi pour reprendre les rênes de Goa. Il était déjà le visage du BJP à Goa, où il a exercé les fonctions de ministre-président (Chief Minister, chef de l’exécutif local) à deux reprises, de 2000 à 2005 puis de 2012 à 2014. Mais la nouvelle coalition dont il a pris la tête soulève de vives protestations, ses adversaires lui reprochant de s’être imposé en dépit de l’échec du vote populaire et de trahir la tradition électorale. C’est en effet le Parti du Congrès, dirigé par la dynastie des Nehru-Gandhi, qui, avec 17 sièges, a remporté le plus grand nombre de voix et aurait dû, à ce titre, être appelé à former le nouveau gouvernement.

« Le BJP a volé l’Etat de Goa et bafoué le souhait des électeurs, a commenté l’analyste Peter Ronald de Souza sur le site d’informations Scroll.in. Ces élections marquaient pourtant une véritable défaite pour le BJP. » Cette semaine, des protestataires, rejoints par des catholiques, ont exprimé leur colère. « Nous ne pouvons pas accepter un gouvernement dirigé par le BJP », a déclaré le P. Eremito Rebelo, selon l’agence catholique d’information Ucanews. Ce prêtre catholique, curé de Notre-Dame des neiges à Rachol, une paroisse dont l’origine remonte à 1521, jouit d’une fraiche notoriété à Goa pour avoir contenu ce mois-ci un incident délicat, après l’intervention de perturbateurs en pleine messe. « Le gouvernement du BJP a maintes fois trahi notre confiance en détruisant l’environnement par l’expansion de projets miniers et en encourageant à la prolifération des casinos, a dénoncé le P. Eremito Rebelo. Le BJP incarne le pire des gouvernements depuis plusieurs décennies. »

Les délicates relations du BJP et de l’Eglise catholique à Goa

Ces propos sans appel cachent néanmoins une relation qui fut un temps plus sereine entre le BJP, perçu comme un parti en faveur du développement, et l’Eglise catholique à Goa. Par le passé, les nationalistes hindous n’auraient pu émerger à Goa sans un soutien relatif des catholiques. Certes, lors de son premier mandat, Monahar Parrikar n’avait pas hésité à retirer le Vendredi saint du calendrier des jours fériés. Mais, plus tard, et pour apaiser les attentes des catholiques, le BJP avait accepté de conserver la langue anglaise dans les écoles tenues par les catholiques, et a multiplié d’autres mesures perçues en faveur de la communauté chrétienne. Néanmoins, depuis l’ascension de Narendra Modi à la tête de l’Inde en 2014, les relations entre les catholiques et le BJP se sont crispées, notamment face à la recrudescence en divers lieux du pays d’incidents et d’attaques visant cette minorité.

A Goa, le malaise a éclaté au cours de ces dernières élections lorsque des responsables catholiques n’ont pas hésité à encourager les électeurs à voter pour « un parti laïque », excluant de manière évidente les nationalistes hindous du BJP. L’Eglise à Goa exerce ainsi une certaine influence politique, sans jamais pour autant nommer de parti, et cela en accord avec les exigences de la Cour suprême. Francis D’Souza, l’ex-ministre président adjoint de Goa, avait même ouvertement commenté la tendance : « Les minorités vont certainement ressentir une appréhension (à l’égard de Narendra Modi). »

Le Council of Social Justice, branche sociale de l’archidiocèse de Goa, a publié peu avant les élections un communiqué teinté de critiques à l’égard du BJP : il y dénonçait « une volonté de museler les opinions diverses » et mettait en garde contre « des lois discriminatoires » ou encore contre les effets négatifs de la « nationalisation des ressources naturelles ». Pour qui sait lire entre les lignes, le message était clair : « Ne votez par pour le BJP. » Durant la messe de Noël, le curé de la paroisse de Taleigao, le P. Mariano Conceicao, avait également laissé entendre à ses fidèles qu’il serait avisé de voter pour la candidate du Congrès.

A présent, la coalition dirigée par le BJP est en place à Goa. Ce jeudi, le gouverneur, Mme Mridula Sinha, membre du BJP et en place depuis août 2014, a prononcé le traditionnel discours à l’Assemblée législative nouvellement élue. Elle a mis en lumière les projets et les priorités de son parti. Les promesses-phares concernent une volonté de donner un accès au logement à l’ensemble de la population mais aussi d’améliorer les conditions sanitaires et en particulier les latrines. Dans l’immédiat, le BJP choisit manifestement de se tenir à l’écart tout enjeu polémique.

(eda/vd)