Eglises d'Asie

Après le lynchage d’un étudiant soupçonné de blasphème, l’efficacité de l’action gouvernementale questionnée

Publié le 19/04/2017




Dans un pays où les attentats font régulièrement des dizaines de victimes, le lynchage à mort d’un étudiant soupçonné de blasphème soulève une vive émotion. A mesure que l’enquête de police révèle que les responsables de l’université où étudiait Mashal Khan ont sans doute une part de responsabilité …

… dans sa mort, des voix s’élèvent dans la presse et parmi les responsables religieux pour questionner l’efficacité de l’action gouvernementale en matière de lutte contre les graves dérives induites par les lois anti-blasphème.

Le 13 avril dernier, selon les rapports de police, une bagarre a éclaté dans un dortoir de l’université Abdul Wadi Khan, à Mardan, ville située à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Peshawar, dans la province de Khyber Pakhtunkhwa. L’objet de la bagarre aurait été la religion et, plus précisément, les propos tenus sur Facebook par Mashal Khan, étudiant en journalisme, propos perçus comme ne condamnant pas les ahmadis, adeptes d’un mouvement issu de l’islam mais tenu pour non-islamique par l’islam majoritaire au Pakistan. Mashal Khan a été dénudé, frappé, blessé par balle avant d’être défénestré du deuxième étage, l’incident étant filmé par téléphones portables. Les images atroces d’une foule d’étudiants le lynchant ont ensuite fait le tour des réseaux sociaux. Le lendemain, l’imam du village natal de Mashal Khan a refusé d’accomplir les rites funéraires, au prétexte des propos blasphématoires qu’aurait tenus le jeune homme.

« Rien de contraire à l’islam »

Le meurtre de Mashal Khan a soulevé une vive émotion dans le pays, nombreuses étant les voix s’alarmant qu’au cœur de l’université, sensément le lieu de la formation et du débat contradictoire, la violence la plus aveugle se déchaîne. Après un silence initial, le 15 avril, le Premier ministre Nawaz Sharif a condamné le lynchage et appelé à poursuivre ses auteurs. Rapidement, la police locale a annoncé l’arrestation de 22 personnes (seize étudiants et six membres du personnel de l’université) et l’inculpation de huit d’entre elles pour « meurtre et atteinte à l’autorité de l’Etat ».

Au fil des jours et à mesure que l’enquête de police se déploie, la presse pakistanaise dessine cependant un scénario qui s’écarte de celui présenté initialement, à savoir le lynchage d’un étudiant qui se serait montré par trop favorable aux ahmadis. Le 13 avril, l’université avait en effet décidé d’exclure temporairement trois étudiants en journalisme – dont Mashal Khan – afin d’enquêter sur les accusations de blasphème dont ils faisaient l’objet. Tel est le récit fourni par les responsables de l’université. Selon The Dawn, il s’avérerait en réalité que les responsables de l’université ont fait pression sur plusieurs étudiants pour qu’ils témoignent dans le sens de prétendus propos blasphématoires tenus par Mashal Khan et deux autres étudiants. Comme souvent dans les affaires de blasphème, cette accusation cacherait donc d’autres motifs et l’enquête devra révéler ce que l’administration avait contre ces étudiants. Pour l’heure, la police a indiqué que, de l’examen du téléphone portable de la victime et de ses effets personnels, « ne ressortait rien de contraire à l’islam ».

Lutter contre les « contenus blasphématoires »

Selon certains analystes politiques pakistanais, la mort de Mashal Khan ne peut être dissociée du contexte politique actuel. Après avoir fait voter en février dernier une loi visant à interdire « les discours de haine », le Premier ministre Nawaz Sharif a ordonné, le mois dernier, le retrait de tous les contenus blasphématoires des réseaux sociaux. Officiellement, la mesure vise à lutter contre la diffusion des accusations gratuites et la propagation de rumeurs qui, de fait, débouchent parfois sur des actions violentes contre les supposés « blasphémateurs ». Or, il semble que les autorités ne s’attaquent pas seulement aux contenus à caractère blasphématoire sur Facebook et les autres réseaux sociaux. Ces dernières semaines, des bloggeurs perçus comme « progressistes » ont été réduits au silence au motif qu’ils étaient impliqués dans des activités « blasphématoires ». Le gouvernement profiterait donc de la campagne pour faire taire des voix considérées comme trop indépendantes pour être alliées, souligne le journaliste Zahid Hussain dans The Dawn.

Mais le gouvernement semble à son tour pris au piège. En effet, la campagne gouvernementale a donné le champ libre aux éléments les plus extrémistes de la scène musulmane pour questionner l’orthodoxie religieuse de toute voix qui ose se démarquer un tant soit peu de leur lecture rigoriste de l’islam et du Coran. Le Premier ministre lui-même n’a pas été épargné : à la mi-mars, il était à Karachi pour célébrer avec la communauté hindoue « la fête des couleurs » (Holi), et a redit à cette occasion son opposition à ceux qui instrumentalisent une forme « biaisée » de l’islam pour attiser les divisions. A la télévision, ce ne sont pas des oulémas ou des imams qui l’ont critiqué mais des commentateurs qui lui ont reproché d’avoir frisé le blasphème à cette occasion.

Refondre les manuels scolaires et universitaires

Pour les responsables de l’Eglise catholique au Pakistan, le climat actuel est tel qu’il est inenvisageable d’appeler publiquement à la révision des lois anti-blasphème, ces lois présentes dans le Code pénal depuis l’époque du colonisateur britannique et qui ont été durcies en 1986 sous le dictateur Zia ul-Haq (au pouvoir de 1978 à 1988). Ces lois limitent très fortement la liberté de religion et d’expression. Profaner le Coran ou insulter Mahomet sont des délits passibles, respectivement, de la prison à vie et de la peine de mort. Dans la vie de tous les jours, ces lois sont souvent utilisées comme un moyen pour persécuter les minorités religieuses ou se débarrasser d’un adversaire ou d’un voisin.

Après le lynchage de Mashal Khan, la Commission nationale ‘Justice et Paix’ de la Conférence des évêques catholiques du Pakistan a condamné l’acte et appelé à ce que ses auteurs soient poursuivis. Ses dirigeants, Mgr Joseph Arshad, évêque de Faisalabad, le P. Emmanuel Yousaf Mani et Cecil Shane Chaudhry, ont établi un lien entre la mort de Mashal Khan et la présence dans les manuels scolaires et universitaires de contenus incitant à la discrimination et à la haine. Reprenant une revendication déjà ancienne de l’Eglise, ils ont redit leur conviction que la société pakistanaise ne deviendra tolérante et pacifique que lorsque tous les manuels scolaires seront expurgés des contenus qui appellent au mépris des non-musulmans. « L’université devrait développer les facultés de raisonnement et de réflexion, en acceptant et en valorisant l’opinion et les vues de tous, quelles que soient leurs croyances respectives. Nous devons enseigner à nos jeunes étudiants la valeur de la tolérance, de la coexistence et de l’acceptation mutuelle », peut-on lire dans le communiqué publié ce 17 avril.

(eda/ra)