Eglises d'Asie

Les autorités vietnamiennes prononcent la déchéance de nationalité d’un dissident franco-vietnamien et l’expulsent vers la France

Publié le 24/06/2017




Pham Minh Hoang, 62 ans, un dissident franco-vietnamien catholique, a été arrêté vendredi soir, le 23 juin 2017, par les autorités vietnamiennes, à son domicile, et devrait être expulsé ce week-end vers la France, selon les déclarations de son épouse. Connu sous le pseudonyme de Phan Kien Quoc, il avait …

… été condamné à trois ans de prison en 2011 pour « tentative de renversement des autorités ».

Le 1er juin dernier, le Consulat général de France à Hô Chi Minh-Ville a convoqué Pham Minh Hoang pour lui faire part d’une « très mauvaise nouvelle », comme l’a indiqué l’intéressé sur les réseaux sociaux. Il a ainsi pris connaissance du fait que les autorités vietnamiennes avaient prononcé la déchéance de sa nationalité vietnamienne, dans une décision du 17 mai 2017 signée par le président de la République socialiste du Vietnam, Trân Dai Quang. L’intéressé a reçu cette décision le 10 juin 2017. Dès lors, Pham Minh Hoang risquait d’être expulsé vers la France, pays dont il a acquis la nationalité en 1997.

Né au Vietnam en 1955, à Vung Tau, Pham Ming Hoang est parti effectuer ses études supérieures en France en novembre 1973. Diplômé d’un DEA de mécanique appliquée de l’Université Pierre-et-Marie-Curie (Paris VI), il a exercé une activité professionnelle en France avant de retourner, en 2000, au Vietnam. Il a alors occupé un poste de professeur en mathématiques appliquées à l’Université polytechnique de Hô Chi Minh-Ville. Sous le pseudonyme de Phan Kien Quoc, il a publié sur un blog des chroniques sur la société vietnamienne, dénonçant notamment l’exploitation de la bauxite sur les Hauts Plateaux du Vietnam. Par ailleurs membre de Viet Tan, parti politique considéré comme une « organisation terroriste » par les autorités vietnamiennes, il est arrêté le 13 août 2010 pour ses écrits politiques, notamment 33 articles publiés sur son blog « qui port[aient] atteinte aux décisions et lignes directrices de l’Etat et du Parti », selon les autorités vietnamiennes. Il est alors condamné à trois ans de prison, en première instance, le 10 août 2011, sur le fondement de l’article 79 du Code pénal, pour « tentative de renversement des autorités » puis à dix-sept mois de rétention et trois ans d’assignation à résidence, en appel, le 29 novembre 2011. Etroitement surveillé depuis sa sortie de prison et régulièrement menacé, il n’a pu reprendre d’activité professionnelle stable.

Une décision sans fondement juridique ?

Dans un message publié sur Facebook, le dissident a indiqué assumer ses articles « critiques, mais toujours modérés, pacifiques, et [qui] ne peuvent être accusés de nuire à la sécurité nationale ». Ses soutiens ont fait remarquer que la déchéance de nationalité et son expulsion constituent « une double peine », sans fondement juridique. En vertu des dispositions de l’article 31 de la Loi sur la nationalité de 2008, la déchéance de nationalité n’est envisagée que dans deux hypothèses : pour « un citoyen vietnamien résidant à l’étranger » (alinéa 1) ou pour « une personne ayant acquis la nationalité vietnamienne selon l’article 19 de cette loi » (alinéa 2). Pour les défenseurs de Pham Minh Hoang, vietnamien d’origine, installé au Vietnam, celui-ci ne peut donc en principe pas faire l’objet d’une déchéance de nationalité sur le fondement de l’article 31 de la loi précitée.

En effet, si la loi vietnamienne reconnaît le principe d’une nationalité unique, elle autorise la double nationalité dans des circonstances très précises. Né au Vietnam en 1931, Pham Minh Hoang a acquis la nationalité française en 1997 et, en 2007, il a reçu un certificat de nationalité vietnamienne n°1202/UBND-NC, délivré par le Comité populaire de Hô Chi Minh-Ville le 2 mars 2007, indiquant que l’intéressé « n’a jamais renoncé à sa nationalité vietnamienne » et qu’il « possède actuellement la nationalité vietnamienne », puis un certificat de résidence permanente n°31070008836, remis par la Sécurité publique, le 26 novembre 2009.

Le 3 juin, dénonçant un acte « d’une extrême inhumanité [de la part du] gouvernement vietnamien », Pham Minh Hoang a fait connaître sa volonté de renoncer à sa nationalité française, conformément aux dispositions de l’article 23 du Code civil français. Il espérait ainsi pouvoir conserver sa nationalité vietnamienne. Il avait par ailleurs indiqué que sa situation familiale était difficile, dans la mesure où il serait sans doute séparé de sa femme et de sa fille, âgée de 13 ans, en cas d’expulsion. Celles-ci devraient sans doute rester au Vietnam, pour s’occuper d’une mère âgée et d’un frère handicapé invalide de guerre. Le 15 juin, un porte-parole du ministère des Affaires étrangères vietnamien déclarait que la mesure était justifiée car Pham Minh Hoang « avait violé la loi à plusieurs reprises et avait sérieusement porté atteinte à la sécurité nationale ».

Un arsenal juridique renforcé

Au Vietnam, si des dissidents ont été exilés à l’étranger, à l’image de Ta Phong Tân en septembre 2015, qui était partie avant l’achèvement de sa peine aux Etats-Unis, il n’y a pas d’exemple récent d’une expulsion faisant suite à une déchéance de nationalité.

Les ONG internationales de défense des droits de l’homme se sont mobilisées pour apporter leur soutien à Pham Ming Hoang et à ses proches ; Reporters Sans Frontières a notamment diffusé une vidéo de l’intéressé sur les réseaux sociaux.

Cette décision intervient alors que la situation semble tendue au Vietnam. Dans le Nord du pays, dans le village de Dong Tâm, à trente kilomètres de Hanoi, la population avait retenu en otage trente policiers en avril dernier, suite à un conflit foncier. Le 13 juin dernier, les forces de police ont commencé une enquête, alors que l’accord conclu entre les habitants et les autorités indiquait qu’il n’y aurait pas de poursuites judiciaires à l’encontre de la population. Dans le Centre du pays, les brimades et les provocations se sont multipliées à l’égard des membres de la paroisse catholique de Song Ngoc dont les prêtres ont pris la tête de la contestation populaire dans l’affaire Formosa.

Le 22 juin, l’Assemblée nationale du Vietnam a par ailleurs adopté la réforme du Code pénal, au sein duquel l’article 19, section 3, impose aux avocats de faire part aux autorités des « crimes sérieux », commis ou que s’apprêteraient à commettre leurs clients. A défaut, les conseils verraient leur responsabilité pénale engagée. Selon les observateurs, cette mesure porte atteinte au secret professionnel et au droit de la défense. Elle risque de renforcer le sentiment de méfiance de la population à l’égard des avocats, par ailleurs trop peu nombreux pour le pays (en 2014, on comptait moins de 10 000 avocats pour près de 90 millions d’habitants). Le 12 juin dernier, le Barreau de Hô Chi Minh-Ville avait fait parvenir un courrier aux autorités pour solliciter l’abandon de cette mesure. Le Code pénal est censé entrer en vigueur le 1er janvier 2018.

(eda/rg)