Eglises d'Asie

La crise arakanaise dans l’impasse

Publié le 13/01/2017




Trois mois après les attaques contre trois postes frontières dans l’Etat de l’Arakan, le fossé continue de se creuser entre le pouvoir birman, les Nations Unies et la minorité musulmane de Birmanie. Le gouvernement de la conseillère d’Etat Aung San Suu Kyi nie les accusations de violations des droits de l’homme dont l’armée …

… se serait rendue coupable. Les Nations Unies n’hésitent plus à sermonner le gouvernement pro démocratique pour ses manquements. Les musulmans ne cachent plus leur déception.

L’Etat de l’Arakan s’enfonce dans la violence. Et le gouvernement birman campe sur sa position. Il refuse toujours de reconnaître que des dizaines de milliers de réfugiés de l’ethnie rohingya fuient les actions de représailles de l’armée. Il refuse également d’ouvrir des corridors afin de permettre aux personnels humanitaires, birmans ou étrangers, de se rendre dans le township de Maungdaw, au nord de l’Etat de l’Arakan. « L’accès des personnels humanitaires reste très problématique dans les régions touchées par les opérations militaires, s’inquiète Pierre Péron, porte-parole de l’Agence pour la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) à Rangoun. Nous n’avons pas accès à cette région pour évaluer les besoins humanitaires des populations, et y répondre. »

Blocage de l’aide humanitaire

Ce blocage de l’aide humanitaire n’est pas uniquement le fait d’une armée birmane qui a souvent cherché à limiter le nombre de témoins sur les terrains où elle opère. La branche civile du gouvernement d’Aung San Suu Kyi est aussi responsable de cette obstruction. Elle contrôle en effet tous les ministères sauf ceux de la Défense, de l’Intérieur et des Affaires frontalières, et, à ce titre, elle a le pouvoir de délivrer des autorisations de voyage aux personnels humanitaires qui dépendent des ministères qu’elle dirige, comme ceux de la Santé ou des Affaires sociales par exemple. Mais elle ne le fait pas, invoquant des raisons de sécurité et sa capacité à couvrir l’intégralité des besoins des populations en danger.

Cette justification interroge. Car 65 000 Rohingyas ont fui au Bangladesh voisin ces trois derniers mois, d’après l’Organisation internationale des migrations, signe que les conditions de vie et de sécurité se dégradent fortement dans le nord de l’Arakan. « Il est clair que les restrictions d’accès ont un impact sur la sécurité alimentaire, confie Pierre Péron à Eglises d’Asie. On risque de trouver des taux de malnutrition plus importants dans cette zone. Des cliniques mobiles gérées par des ONG spécialistes de la malnutrition et de la santé primaire ont fermé. » Et le porte-parole d’OCHA de porter un jugement sans appel : « Ce gouvernement est pire que le précédent [celui des anciens militaires] en ce qui concerne l’accès des personnels humanitaires. »

Le 9 octobre dernier, plusieurs groupes d’assaillants non identifiés ont attaqué trois postes frontières, tué neuf policiers et volé d’importantes quantités de munitions dans l’Arakan. L’armée birmane a ensuite bouclé la région et mené des « opérations de sécurité » pour arrêter les suspects. Près de cent personnes ont péri au cours de ces missions de terrain, certaines en détention. Au Bangladesh voisin, les Nations Unies ont interrogé de nombreux réfugiés rohingyas qui ont fui la zone. L’institution a indiqué recevoir quotidiennement des accusations de viols et d’exécutions extrajudiciaires. Un représentant du Haut Commissariat aux réfugiés des Nations Unies a confirmé les allégations de « meurtres, massacres et pillages », évoquant même un « nettoyage ethnique ».

L’impasse dans laquelle se trouve l’Etat de l’Arakan irrite de plus en plus les représentants de la communauté musulmane de Birmanie, laquelle représente quelque 4 % de la population. « Aung San Suu Kyi n’a jamais accepté de recevoir des dirigeants politiques rohingyas, s’emporte Myo Thant, porte-parole d’un parti politique musulman qu’il préfère ne pas citer ici. Ma formation politique a pourtant essayé de la rencontrer à plusieurs reprises. Elle ne s’est jamais rendue sur le terrain dans le nord de l’Arakan. Elle n’a avancé aucune idée concrète pour résoudre la crise. »

Un pouvoir civil et militaire à l’unisson

Pendant la campagne électorale des législatives de novembre 2015, U Nyan Win, porte-parole du parti d’Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la démocratie, s’était dit favorable à une réforme de la loi sur la nationalité de 1982. Ce texte liste 135 ethnies dont les membres peuvent prétendre à la nationalité birmane. Les Rohingyas en sont exclus. La plupart d’entre eux sont donc apatrides. La révision ou l’abrogation de cette loi a complètement disparu du débat politique en Birmanie.

Myo Thant raille ouvertement les efforts déployés par Aung San Suu Kyi pour enquêter sur d’éventuelles violations des droits de l’homme dans l’Arakan. Début décembre, son gouvernement a mis sur pied une commission de treize membres, dirigée par le vice-président birman, un ancien général élu par les voix des députés militaires. « Ce sont les criminels qui enquêtent sur leurs propres crimes, voilà le problème », se moque l’homme politique musulman. Les conclusions de cette commission sont d’ailleurs bien différentes de celles des observateurs onusiens qui ont interrogé les réfugiés rohingyas à leur arrivée au Bangladesh. Un rapport préliminaire de la commission estimait au début de ce mois qu’il n’y avait « pas de cas de génocide ni de persécution religieuse » dans l’Arakan. Il affirmait que les preuves de viols n’étaient pas suffisantes pour ouvrir une procédure judiciaire.

Pendant la même campagne électorale de novembre 2015, Aung San Suu Kyi avait déclaré devant des centaines de journalistes : « Je promets à tous ceux qui vivent dans ce pays une protection en accord avec la loi et les principes des droits de l’homme. » Abu Tahay, le dirigeant rohingya du Parti pour le développement national dans l’Union, composé majoritairement de musulmans, se rappelle parfaitement cette citation. Et il attaque : « Un gouvernement qui n’assure pas la sécurité des minorités n’est pas démocratique. Nous ne parvenons pas à progresser sur la voie de la démocratisation. Nous sommes en train de manquer notre objectif. »

Implication de la Malaisie et du Bangladesh

Composée à 88 % de bouddhistes, la population birmane dans son ensemble ne s’intéresse guère aux événements qui secouent l’Arakan et à leurs répercussions politiques. Ce sont surtout les Nations Unies et des organisations internationales qui font pression sur le gouvernement d’Aung San Suu Kyi pour l’inciter à changer de stratégie. Etonnamment, les pays de la région Asie du Sud-est, qui ont pour habitude de ne pas interférer dans les affaires intérieures d’un autre Etat, commencent eux aussi à critiquer le gouvernement de la prix Nobel de la Paix. Le Bangladesh et la Malaisie, deux pays majoritairement musulmans, se sont saisis du dossier rohingya. Dacca souhaite ouvrir des négociations avec le gouvernement birman afin de rapatrier des réfugiés rohingyas en Birmanie. De son côté, une association malaisienne menace d’envoyer une flottille vers les côtes birmanes pour apporter des vivres et des médicaments aux populations qui souffrent des opérations militaires dans le nord de l’Arakan.

La pression internationale qui pèse sur le gouvernement d’Aung San Suu Kyi est donc sans précédent. Elle semble y être sensible de manière limitée. Le mois dernier, les autorités birmanes ont promis à plusieurs reprises aux représentants de l’ONU de leur faciliter l’accès à l’Arakan, avant de se rétracter. Mi-décembre, Aung San Suu Kyi, également ministre des Affaires étrangères, a invité ses homologues asiatiques à un sommet à Rangoun pour évoquer le dossier arakanais et les rassurer. Elle leur a demandé « du temps » pour gérer la crise. Mais elle n’a pas expliqué sa stratégie.

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(eda/rf)