Eglises d'Asie – Sri Lanka
Un avocat réputé contraint de se réfugier à l’étranger après avoir dénoncé l’intolérance religieuse
Publié le 11/07/2017
… tenu secret. Le gouvernement actuel entendait pourtant promouvoir l’harmonie religieuse et la réconciliation nationale.
Après trois décennies de guerre civile, qui s’étaient achevées en mai 2009 par la victoire de l’armée de Colombo contre les rebelles tamouls, les élections présidentielles anticipées de 2015 ont porté au pouvoir Maithripala Sirisena, un proche du précédent président, Mahinda Rajapaksa. Ce dernier, élu en 2005 sur la promesse de vaincre les Tigres tamouls et réélu en 2010 après avoir écrasé militairement la rébellion tamoule en mai 2009, dominait entièrement l’appareil étatique, contrôlait les institutions et intimidait la presse. Le nouveau gouvernement entendait incarner un renouveau et défendait une vision mettant l’accent sur la réconciliation nationale et le respect des minorités religieuses et ethniques du Sri Lanka. L’île de 21 millions d’habitants, dont 70 % sont bouddhistes, abrite également 15 % de tamouls hindous, 8 % de chrétiens et 9 % de musulmans. Les menaces et les pressions exercées contre l’avocat Lakshan Dias mettent toutefois en lumière le fait que le Sri Lanka rencontre des difficultés à respecter ses promesses et ses engagements, pris devant la communauté internationale.
Plus de 190 incidents contre les chrétiens évangéliques depuis 2015
« J’ai fui mon pays car j’ai été explicitement nommé et menacé par le ministre de la Justice, qui m’a accusé d’être un traître et un animal », explique Lakshan Dias depuis son lieu de refuge, dans des propos transmis par l’Asia Pacific Refugee Rights Network (APRRN). Ce réseau, qui œuvre actuellement à soutenir Lakshan Dias, représente plus de 300 organisations et individus et défend les droits de l’homme et des réfugiés dans la région.
L’affaire a commencé le 14 juin dernier. Lakshan Dias participe alors à un débat télévisé sur la chaîne Derana Television. L’avocat y dénonce l’augmentation de l’intolérance religieuse au Sri Lanka. Il fait état des violences commises à l’égard des chrétiens évangéliques du Sri Lanka, se référant aux statistiques du National Council for Evangelical Alliance of Sri Lanka (NCEASL). Cette structure, fondée en 1952, indique représenter 200 églises et près de 200 000 chrétiens évangéliques. Dans une déclaration de presse, publié le 27 mai 2017, le CNEASL dresse une liste de « plus de 190 incidents contre des églises, des membres du clergé et des chrétiens depuis que l’actuel gouvernement a pris ses fonctions en 2015 ». Lakshan Dias dénonce notamment la participation des prêtres bouddhistes dans certaines de ces attaques. Le groupe pro-bouddhiste Bodu Bala Sena (BBS) est régulièrement mis en cause pour cette recrudescence d’incidents visant les chrétiens et les musulmans. Sur le plateau télévisé, les propos de l’avocat provoquent des réactions houleuses de la part du présentateur et de certains des invités.
Agé de 49 ans, Lakshan Dias est un avocat actif et expérimenté. Spécialisé dans le domaine des droits de l’homme, il a défendu des cas sensibles et controversés, liés aux expulsions arbitraires du Sri Lanka, aux abus dans le cadre de la loi draconienne « Prevention of Terrorism Act », et à des accusations de torture et de discrimination religieuse des minorités.
Deux jours après le débat télévisé, le 16 juin, le président Maithripula Sirisena rejette ces affirmations, sans nommer l’avocat. Le lendemain, le ministre de la Justice et des Affaires religieuses, Wijedasa Rajapakse, demande à l’avocat de présenter des excuses publiques, sous peine d’être radié du barreau de Colombo. Lors d’un autre événement public, le président avance même que l’archevêque catholique de Colombo, le cardinal Malcolm Ranjith, indique ne pas avoir connaissance de telles attaques contre des églises.
« La majorité de ces attaques ont déjà été rapportés à la police », a rappelé Godfrey Yogarajah, le responsable de la National Christian Evangelical Alliances. Dénonçant les propos du ministre de la Justice, l’affaire a commencé à faire grand bruit au Sri Lanka. Le P. Sarath Iddamalgoda, du Christian Solidarity Movement, a apporté son soutien à Me Dias ; contacté par l’agence Ucanews, il affirme : « Seul un dictateur oserait réduire la liberté d’expression. Comment un ministre peut-il interférer dans ce domaine ? » Des organisations comme Amnesty International, South Asian Free Media Association et Free Media Movement ont également condamné ces propos.
Un avocat menacé sur les réseaux sociaux… et par le ministre de la Justice
Lakshan Dias s’est soudain trouvé au centre de pressions extrêmement lourdes. « J’ai été l’objet d’attaques massives et d’insultes dans les médias sociaux. On a dit par exemple que j’étais un traître de la nation, raconte-t-il. Il y a eu des protestations organisées contre moi par des prêtres bouddhistes et par le public. Et mêmes les médias m’accusent de mentir. » Selon lui, la situation révèle la domination des Cinghalais bouddhistes de Colombo. « Les autorités sri-lankaises, qui incarnent la majorité bouddhiste, sont dans le déni concernant des faits tels que les attaques contre les églises, que je prouve pourtant avec des statistiques, estime l’avocat. Le président lui-même endosse le lobby bouddhiste. »
Le Conseil national du Barreau du Sri Lanka (Bar Association of Sri Lanka, BASL) a publié une lettre embarrassée, demandant à Lakshan Dias de rédiger une déclaration formelle sur les éventuelles attaques dénoncées par l’avocat. Ce dernier a répondu à son tour : « J’attends de votre part une condamnation des menaces qui ont été proférées à mon encontre par le ministre. Le Conseil national du Barreau devrait s’assurer qu’aucun ministre ou aucune autre autorité n’aura à l’avenir le droit de perpétrer de telles attaques contre ses membres. »
Craignant pour sa propre sécurité, Lakshan Dias s’est donc réfugié à l’étranger. Il vit désormais en exil. « Il est triste de constater que ce grand défenseur des droits de l’homme, qui a notamment défendu toute sa vie les droits des personnes marginalisées et des réfugiés, se retrouve aujourd’hui lui-même dans la situation d’un réfugié, note Evan Jones, du Asia Pacific Refugee Rights Network. C’est une situation terrible et cela n’aurait jamais dû se produire. »
« Chaque jour, de nombreux réfugiés sri lankais décident de revenir dans leur pays, ajoute Evan Jones. En dépit des changements positifs et des nouvelles opportunités, le Sri Lanka a encore des efforts à réaliser, comme le prouve le cas de M. Dias. » L’avocat ne devrait pas être en mesure de rentrer au Sri Lanka avant plusieurs mois, le temps que la situation s’apaise. Il craint la possibilité de représailles en cas d’un retour éventuel rapide.
(eda/vd)