Eglises d'Asie

La prolongation de la loi martiale à Mindanao contestée par l’épiscopat catholique

Publié le 19/07/2017




Le président Duterte a demandé au Congrès, qui se réunira le 22 juillet, de prolonger la loi martiale jusqu’au 31 décembre 2017. Des évêques catholiques des Philippines s’élèvent contre la prolongation de cette mesure d’exception.

Depuis le 23 mai dernier, Marawi, ville du sud des Philippines, est le théâtre de violents affrontements armés entre les combattants du groupe Maute, ralliés à Daech, et l’armée gouvernementale, qui peine à reprendre le contrôle complet de la ville. Le président Rodrigo Duterte avait, le jour même, instauré la loi martiale sur toute l’île de Mindanao, pour une durée de deux mois, durée au-delà de laquelle l’approbation du Congrès est indispensable (article VII de la Constitution de 1987). Alors que les combats se poursuivent, Duterte entend prolonger la loi martiale jusqu’au 31 décembre 2017. Le Congrès se rassemblera le 22 juillet prochain, date à laquelle expire le délai initial de la loi martiale.

La déclaration de cette mesure d’exception, sur toute l’île de Mindanao, deuxième île du pays peuplée de près de 20 millions d’habitants, bénéficie d’un réel soutien populaire, selon une enquête d’opinion réalisée par le Social Weather Stations du 23 au 26 juin 2017 auprès de 1 200 adultes. 57 % des Philippins interrogés et ayant connaissance de l’existence de cette mesure ont indiqué la soutenir ; à Mindanao, ils sont 64 % à s’être exprimés en ce sens.

La loi martiale, une mesure nécessairement temporaire

En mai, les évêques de Mindanao avaient apporté un soutien mesuré à la décision du président de la République, à travers une déclaration publiée sur le site d’information de la Conférence épiscopale des Philippines, CBCP News. Ils avaient insisté sur le caractère nécessairement « temporaire » de cette mesure et assuré qu’ils n’hésiteraient pas à « condamner tout abus ».

Cette décision n’avait pas fait l’unanimité au sein de l’Eglise catholique : Le P. Antonio Moreno, supérieur provincial des jésuites aux Philippines, avait notamment rappelé que la loi martiale constituait « un danger, un motif de tristesse, et une source de préoccupations ». Dans l’archipel, la loi martiale est de funeste mémoire : plus de 30 000 personnes avaient subi des exactions pendant sa mise en place de 1972 à 1986, sous le règne du dictateur Ferdinand Marcos (1972-1986).

Les évêques philippins opposés à la prolongation de la loi martiale

La Conférence épiscopale des Philippines (CBCP) a publié le 10 juillet une déclaration dans laquelle elle condamne fermement le terrorisme, « comme l’ont fait les responsables musulmans de Mindano », et encourage au dialogue intra- et inter-religieux. Concernant la loi martiale, la Conférence fait part de ses doutes sur l’efficacité de cette mesure et de sa prolongation pour ramener la paix et la normalité à Marawi. Publiée le 10 juillet dernier, cette déclaration est signée par Mgr Socrates Villegas, archevêque de Lipa. Le 8 juillet, Mgr Romulo Valles, archevêque de Davao, était élu au poste de président de la Conférence, pour un mandat de deux ans. Vice-président de la CBCP depuis décembre 2013, son élection est conforme aux usages en vigueur. Alors que Mgr Valles est connu pour être un proche du président Duterte (il a baptisé son petit-fils, comme le rappelle Rappler), Mgr Villegas et Mgr Pablo Virgilio David, évêque de Kalookan, nouveau vice-président de la Conférence épiscopale, sont réputés être critiques à l’endroit de la politique menée par l’actuel président de la République.

Si, pour l’instant, le nouveau président de la CBCP n’a pas commenté l’extension de la loi martiale, Mgr David, vice-président de la Conférence, s’est exprimé en commentant le sondage effectué par le Social Weather Stations. « Peut-être qu’au lieu de recueillir l’opinion de la ‘majorité des Philippins’, l’enquête aurait dû se demander si les gens de Mindanao sont d’accord avec l’extension de la loi martiale. » Et Mgr Jose Colin Bagaforo, évêque de Kidapawan, ne s’en étonne pas, indiquant que « beaucoup de gens prient pour que ça n’arrive pas ailleurs ». Mais « nombreux sont ceux qui partagent l’opinion des évêques de Mindano : la loi martiale est et devrait être temporaire ».

La prolongation de la loi martiale, une mesure inutile

Mgr Edwin de la Pena, évêque de la prélature territoriale de Marawi, qui soutenait la mise en place de la loi martiale, s’oppose désormais, fermement, à son extension. « Je suis contre l’extension de la loi martiale, déclare-t-il à CBCP News. Avec toutes les ressources à sa disposition, le gouvernement peut faire face à la crise maintenant, même sans prolonger la loi martiale. »

Dans le nord de l’archipel, Mgr Arturo Bastes, évêque de Sorsogon, s’est lui aussi déclaré opposé à l’extension de la loi martiale, considérant que cette mesure ne ferait qu’aggraver la situation dans la région.

Selon le Philippine Daily Inquirer, depuis le début des combats, 553 victimes sont à déplorer : 45 civils, 97 militaires, 411 rebelles. Et les 200 000 habitants de Marawi ont quitté la ville et ses environs. Une soixantaine seulement de combattants islamistes feraient désormais face aux forces armées et retiendraient encore des otages, dont le P. Teresito ‘Chito’ Soganub, vicaire général de Marawi, enlevé le 23 mai dernier.

Le président Duterte s’attend à ce que la ville de Marawi soit bientôt libérée mais s’inquiète de la persistance de la menace de Daech dans cette région. Le 11 juillet dernier, le président a indiqué que la libération prochaine de la ville de Marawi ne marquerait pas nécessairement la fin de l’organisation terroriste dans la région. Quelques jours plus tard, le 17 juillet, Duterte a reçu un nouveau projet de Loi fondamentale Bangsamoro (‘terre des Moros’, nom donné aux musulmans philippins), auquel il a apporté son soutien. « Ce moment est une étape importante dans notre quête pour mettre fin à des siècles de haine, de méfiance et d’injustice qui ont pesé sur la vie de millions de Philippins », a-t-il déclaré, rapporte l’agence Ucanews.

Sous la précédente administration, un projet similaire, prévoyant une semi-autonomie pour le Bangasmoro et un désarmement progressif, avait été bloqué au Congrès par les adversaires politiques du président Aquino en décembre 2015. Mgr Orlando Quevedo, 78 ans, archevêque de Cotabato et unique cardinal de l’île méridionale de Mindanao, avait indiqué à Eglises d’Asie que seule la mise en place d’une région Bangsamoro autonome permettrait de lutter efficacement contre l’implantation de Daech dans l’archipel.

(eda/pm)