Il y a quarante ans, la capitale chinoise voyait naître l’Association patriotique des catholiques chinois, organisme dont tout croyant hors des frontières chinoises est bien peu familier, s’il n’y est pas totalement étranger. Ceux qui vivent à l’intérieur de ces frontières sont en revanche obligés de compter continuellement avec cette association dans leur vie de tous les jours.
Les 241 délégués convoqués à Pékin pour l’assemblée qui allait fonder l’Association patriotique avaient passé plus de quinze jours dans le climat torride de l’été pékinois, discutant des propositions qui, apparemment, provenaient du groupe « promoteur » de cette idée. Il semblait absolument nécessaire, et désormais inévitable, de créer un nouvel organisme pouvant exercer, à l’intérieur de l’Eglise, une tâche dont le besoin ne s’était jamais fait sentir auparavant. L’institution ecclésiale a toujours dû, par la force des choses, entretenir des rapports avec les autorités civiles et a toujours trouvé en son sein les personnes qui se chargeaient de ces relations. Il n’était donc jamais apparu nécessaire de créer un organisme ad hoc pour maintenir des contacts avec les autorités civiles et traiter des questions relatives à ce niveau spécifique, ni de le revêtir d’une autorité ecclésiale effective.
En revanche, l’insistance mise sur la création de cet « organisme de liaison » entre l’Eglise et l’Etat avait fait surgir une grande perplexité chez de nombreux catholiques qui ne considéraient pas seulement la nécessité effective de la création d’un tel organisme mais qui mettaient surtout en doute ses objectifs. Le langage, peu familier et encore moins adapté, pour exprimer des réalités que les catholiques ressentaient comme dangereusement proches des points centraux de la foi, posait problème. La fermeture de presque toutes les églises du pays « en raison disaiton alors de la réforme agraire », et jamais plus rouvertes par la suite, ne facilitait pas le climat de dialogue et soulevait même des suspicions bien légitimes. La disparition, au cours des dernières années, de nombreux croyants évêques, prêtres, religieux et religieuses, laïcs dont on ne devait plus rien savoir, était par ailleurs préoccupante.
L’idée même de l' »Association » était une vieille histoire qui avait traîné pendant pratiquement sept ans. Personne n’en parlait ouvertement, mais chacun des participants était convaincu qu’à la fin, pour permettre sa création, le nouveau régime avait eu recours à des méthodes de persuasion très expéditives : l’assassinat d’un grand nombre de prêtres et de laïcs considérés comme des « réactionnaires » ou « contrerévolutionnaires » parce qu’ils n’étaient pas en accord avec la ligne officielle, la disparition dans les prisons de nombreuses personnes, la terreur pour ceux qui voyaient se dessiner chez les autres l’éventualité de leur propre destin. Malgré cela, beaucoup étaient bien décidés à ne pas abandonner la partie et à défendre ce qui ressemblait au dernier et plus important – lambeau de liberté de l’Eglise.
Cette défense n’eut qu’une valeur symbolique. La fondation de l’Association, en un premier temps, puis l’ordination des évêques sans mandat apostolique devinrent une donnée de fait. Les nombreuses circonstances qui entourèrent ces deux gestes ne sont toujours pas clairement connues aujourd’hui et un certain nombre de zones d’ombre demeurent.
Après avoir obtenu sa création pour être un instrument privilégié de contrôle, l’Eglise et l’Association s’acheminèrent, avec le reste du pays, vers les années noires de la Révolution culturelle, chargées de drames et de souffrances indicibles, que le Parti luimême définira par la suite comme la « grande catastrophe nationale ».
A la fin des années 70, l’Association reprit vie, elle aussi, se présentant toujours davantage comme la « patronne » effective de l’Eglise catholique en Chine. Sa présence provoqua un conflit dans l’organisation de l’Eglise, car la majorité des catholiques n’acceptait pas et n’accepte toujours pas d’épouser la foi et la pratique religieuse imprégnées d’une idéologie et d’une bureaucratie qui proclamaient et qui proclament encore la volonté d’extirper toute religion du tissu de la vie nationale. De fait, Pékin ne fait pas mystère de ne « permettre » une certaine liberté dans le domaine religieux que dans le but d’accélérer l’extinction de la religion ellemême.
Il faut également ajouter que, dans de nombreux cas, des membres de l’Association ont su et savent encore jouer intelligemment un double jeu, sans toucher à l’intégrité de la foi. Il est toutefois important de mettre en relief la perfidie institutionnelle et constitutive que l’Association patriotique porte en elle, depuis sa fondation jusqu’à nos jours.
Les pages qui suivent évoqueront les événements qui conduisirent à sa fondation, il y a quarante ans, et elles s’arrêteront à cette date.
Pourquoi rappeler ces événements si lointains ?
La réponse est déjà contenue dans la question : pour ne pas oublier et pour comprendre. Pour ne pas oublier les énormes souffrances imposées à des hommes et à des femmes en raison de leur foi, les terribles humiliations auxquelles tant de gens furent soumis et les attentats à leur dignité. Un mal immense pour lequel le régime n’a pas encore présenté ses excuses. Enfin, pour comprendre l’histoire dans laquelle bon nombre de nos frères et soeurs dans la foi se sont trouvés impliqués, immergés qu’ils étaient dans une réalité d’Eglise bien particulière. Toute histoire contient des éléments positifs qui doivent être découverts et appréciés avec une profonde attention : ce sont eux qui peuvent permettre d’arriver à cette réconciliation à laquelle le Pape JeanPaul II a invité l’Eglise tout entière, et pas seulement les croyants de la République populaire.
Le texte qui est proposé ici est expressément et étroitement fidèle aux rapports les plus sérieux de l’époque (les années 50). L’histoire a, depuis lors, démontré qu’ils correspondent bien à ce qui fut la vérité des événements.
INTRODUCTION
Quarante ans après la date où, dans un hôtel de Pékin, fut fondée l’Association patriotique des catholiques chinois, il est possible de faire une lecture plus complète des événements qui marquèrent cette époque et d’y déchiffrer le dessein et les objectifs que les dirigeants du Parti communiste d’alors s’étaient fixés et qu’ils comptaient atteindre à travers sa création. Les événements de 1957 éclairent la réalité d’aujourd’hui, bien que celleci apparaisse complexe et confuse.
Considérée dans la perspective d’un laps de temps de plus de quatre décennies, on ne peut pas ne pas admettre que ce plan était habile et que, conduit avec une patience méticuleuse et avec constance, il a produit des fruits raisonnablement bons du point de vue de l’action du Parti qui avait lancé cette initiative. Je dis « raisonnablement bons » et avec certaines raisons : comme à leurs débuts, ces résultats demeurent essentiellement précaires et sans âme, car produits par une volonté de manipulation et de contrainte pas toujours très bien voilées. Les « fruits » la structure patriotique de l’Eglise officielle en Chine ne sont pas le produit d’une pensée théologique ou d’un souffle spirituel des croyants. A chaque pas, on s’aperçoit de leur caractère forcé. Ces « fruits » sont prêts à disparaître dès que les circonstances de temps et de lieu le permettront. Ce n’est pas un hasard si les appels à « renforcer » le rôle de l’Association, que les dirigeants ne perdent jamais une occasion d’adresser à la partie la plus docile de l’Eglise, sont devenus constants.
La « structure » patriotique de l’Eglise officielle qui est en Chine est exactement l’élément qui à la fois la caractérise et dénote sa faiblesse intrinsèque. Car c’est une structure que le régime a imposée et impose toujours contre l’Eglise catholique, suivant ainsi un plan constant et méticuleux. C’est encore cette structure qui fait d’elle un instrument docile aux mains du régime. Mais c’est précisément cette structure qui la rend suspecte à beaucoup et inacceptable à tant d’autres. C’est elle qui nourrit la situation de conflit avec l’Eglise universelle et avec le Siège de Pierre. Cette structure est à l’origine de la cassure qui est allée en s’approfondissant au sein de l’Eglise qui est en Chine et qui divise les croyants entre croyants officiels et non officiels, patriotiques et clandestins, dociles aux exigences du régime et fermement intransigeants sur les positions pleinement catholiques.
De façon étonnante, cet élément structurel (que le Parti n’a jamais voulu discuter, et sur lequel il n’a jamais fait quelque concession ou compromis que ce soit) est un aspect largement ignoré et totalement sousévalué. On observe les choses d’une manière superficielle et tout semble être tranquille. Mais les « mines » sont constamment actives, très proches des fondations ecclésiales.
La structure officielle de l’Eglise en Chine
Ce n’est qu’à distance de quatre décennies qu’il est possible de la cerner clairement. Les différents morceaux du puzzle se sont lentement mis en place, construisant le scénario que l’on connaît aujourd’hui. Il n’y manque plus que le dernier acte. Sans entrer dans les détails, qu’il serait laborieux de décrire, nous pouvons résumer comme suit la structure officielle de l’Eglise à l’intérieur des frontières chinoises.
La « plus haute autorité » réside dans la Conférence nationale des représentants catholiques chinois, convoquée tous les cinq ans (1). Les évêques reconnus comme tels par le régime en font partie, ainsi que les plus hauts fonctionnaires au niveau national de l’Association patriotique des catholiques (APC) et les représentants élus par les circonscriptions ecclésiastiques parmi les prêtres, les religieuses et les laïcs. La cinquième Conférence s’est tenue du 15 au 19 septembre 1992 (2). La Conférence des représentants a pour tâche d’élire tous les responsables (3) du Collège des évêques chinois et de l’Association patriotique.
L’ Eglise catholique est officiellement décrite comme étant « indépendante et autonome » (art. 2 des statuts du collège épiscopal). Officiellement, aucun lien n’est prévu entre l’Eglise officielle et l’Eglise universelle et aucun rôle n’est explicitement reconnu au successeur de Pierre. La nomination des évêques (élus en principe par les différentes circonscriptions ecclésiastiques) relève de la compétence du Comité permanent du collège des évêques qui donne son feu vert à l’ordination épiscopale (en lieu et place de la bulle papale). Ce collège, « sur des questions importantesdoit rencontrer et discuter « avec les responsables de l’APC » (4). Ce texte ne spécifie pas quelles sont les questions devant être considérées comme importantes.
Comment en eston arrivé à créer cette structure ? Quels ont été les moments importants et les pas accomplis qui ont conduit l’Eglise en République populaire de Chine à la situation actuelle ?
L’Eglise catholique à la veille de la « libération »
Un rapide coup d’oeil sur la réalité de l’Eglise catholique en Chine à la veille de la « libération » communiste à la fin des années 40 nous aidera à mieux situer les événements décrits ci-après et à en comprendre la portée. Nous nous en remettons pour cela à l’Annuaire ecclésiastique publié régulièrement à Shanghai (5).
Le 11 avril 1946, le pape Pie XII, en érigeant la hiérarchie catholique sur le continent chinois, accomplissait un geste clairement historique. L’acte du pape, replacé dans le contexte de son époque, avait été d’une certaine façon très courageux. Il constituait l’aboutissement d’étapes difficiles et surmontait des obstacles provenant des milieux politiques qui avaient intérêt à conserver une certaine tutelle sur l’Eglise, ainsi que de certains milieux ecclésiastiques qui craignaient de perdre les privilèges de leurs congrégations. Le SaintSiège décidait ainsi de passer par dessus ces positions retranchées, répétant pratiquement le geste accompli au début des années 20 lorsqu’il envoya son propre délégué apostolique en Chine en dépit de fortes résistances.
Depuis la Constitution apostolique « Quotidie Nos » et les interventions successives du Siège apostolique, l’Eglise en Chine, en 1949, était divisée en 20 provinces ecclésiastiques, avec 20 archevêques, 83 évêques et 35 préfets apostoliques. Il fallait y ajouter les sièges de Hongkong, Macao et Taiwan, non inclus dans ces chiffres.
Parmi ceuxci, les Ordinaires chinois étaient au nombre de 266. Seize diocèses et sept préfectures apostoliques étaient confiés au clergé séculier, tandis que trois diocèses étaient confiés à des membres chinois de congrégations religieuses. La lecture de ces chiffres nous amène à une autre considération. L’acte de Pie XII, bien que providentiel, arrivait un peu en retard. L’ Eglise avait à coup sûr connu des lenteurs dans son évolution vers davantage d’indigénisation, lenteurs imputables à une vaste gamme de raisons qu’il n’y a pas lieu de discuter ici.
A Nankin, résidait un internonce : Mgr Antonio Riberi était le troisième de la série, après Celso Costantini (19221933) et Mario Zanin. La délégation apostolique était devenue internonciature en juillet 1946.
Les catholiques étaient plus de trois millions, avec presque 200 000 catéchumènes, servis par 5 788 prêtres (dont 2 698 Chinois) et par 7 463 religieuses (dont 5 112 étaient chinoises). On comptait 924 étudiants en philosophie et en théologie se préparant au sacerdoce dans les 17 grands séminaires (et plus de 3 000 séminaristes en formation dans les petits séminaires). 26 ordres ou congrégations se voyaient confier des territoires de mission, tandis que 13 autres sociétés masculines apportaient leur aide dans les diverses circonscriptions sans être rattachées à un territoire particulier. Les congrégations féminines qui travaillaient en Chine étaient au nombre de 60.
Les catéchistes, hommes et femmes, se comptaient par centaines. Plus d’un millier de « vierges », femmes qui ne prononçaient aucun voeu particulier, consacraient leur vie au service de l’Eglise. Plus de 320 000 jeunes étudiaient dans les 4 446 écoles, petites et grandes, disséminées sur cet immense territoire. Il y avait aussi trois universités catholiques (Aurore de Shanghai, Fu Jen de Pékin et Tinku de Tianjin). L’Eglise dirigeait encore 254 orphelinats, 216 institutions de santé (de nombreuses maisons de soins et des hôpitaux) et 781 dispensaires, ainsi que des internats. Il y avait également plusieurs imprimeries catholiques et des publications nombreuses.
Les sources d’information
C’est au cours de la première décennie d’expérience du communisme réel que l’on trouve les prémisses et les causes des événements à venir. La documentation en la matière est imposante, mais hélas elle n’est ni très précise ni très sérieusement documentée. Les informations étaient souvent déduites ou supposées, le flux des nouvelles étant placé sous un ferme contrôle gouvernemental. Les lettres et le matériel imprimé connaissaient de grosses difficultés de circulation ; sur le plan intérieur, c’était une opération qu’il fallait à tout prix décourager; à l’extérieur, peu de choses filtraient. La diaspora chinoise a été pendant presque 30 ans la source d’informations la plus constante.
A l’intérieur de la République populaire de Chine, les sources officielles sont abondantes et « sûres ». Pour les événements importants, les dépêches de l’Agence Chine Nouvelle ont presque toujours été factuelles. Le « pouls » de la situation était toutefois fourni par de nombreux articles parus dans le Quotidien du Peuple et dans d’autres publications du régime et par une abondante production de fascicules qui s’en prenaient de préférence au pape.
A l’extérieur, en dépit de toutes les difficultés des premières années de la révolution, les informations, leur classification et leur lecture ont été importantes aussi et ont constitué une masse imposante.
En 1948, le mensuel China Missionary Bulletin (CMB) était publié à Shanghai et apportait des informations sur ce qui se passait dans les différents diocèses. Publié à Hongkong à partir du numéro de juin 1949, il changea de nom en 1954 pour devenir le « Mission Bulletin« . En 1961, toujours à partir de Hongkong, le titre devint « Asia« , mais à la fin de l’année, sa parution cessa. La rubrique « Mission Chronicle » avait désormais perdu son contenu puisqu’on ne pouvait plus parler des missions spécifiques sur le continent chinois.
Une autre source d’informations très précieuses, constantes et précises sur ce qui arrivait aux catholiques dans l’empire de Mao Zedong était le Bulletin de la Société des Missions Etrangères de Paris (BMEP). A partir de janvier 1953, un missionnaire français expulsé de Chengdu (Sichuan), quelques mois auparavant, écrit dans cette revue. La signature du P. Léon Trivière deviendra la garantie d’une documentation précise, en particulier à partir de juillet 1957, lorsqu’il commence à publier régulièrement ses articles dans BMEP, avec la série intitulée « L’Eglise catholique en Chine continentaleLorsqu’il conclut cette série, en février 1961, le P. Trivière aura écrit plus de 500 pages très denses d’informations uniques, ainsi que de nombreux articles apparus ailleurs.
Pendant ce temps, à la fin du mois d’août 1953, débutait la publication, à Hongkong, de « China News AnalysisDans ses rendezvous hebdomadaires, devenus ensuite bimensuels, le P. Lazlo Ladany, S.J., apportait systématiquement des informations sur la réalité chinoise. Bien que se consacrant surtout à l’observation des transformations socio-politiques qui se manifestaient en République populaire, le P. Ladany ne manquait pas d’informer les lecteurs sur ce qui se passait dans le domaine religieux.
A Saïgon, au SudVietnam, dans les années 60, un témoin d’exception apporta sa contribution en écrivant des articles réguliers sur « L’Eglise en Chine dans les années cinquante », réunis par la suite dans un volume publié à Hongkong en octobre 1966 sous le titre « Zhongguo Dalu Tianzhujiao Zhenxiang ». Ce témoin était Tomaso Zhang, frère de Mgr Vito Zhang, évêque de Xinyang (Henan). Ce livre disparaît presque tout de suite des librairies, entièrement acheté par ceux qui ne voulaient pas que « le linge sale de l’Eglise de Chine » soit lavé en public. Tomaso avait pris part, à Pékin, en 1957, à la rencontre interminable d’où était sortie l’Association patriotique; il était donc en mesure de révéler des détails parfois déconcertants. Tomaso Zhang a été le seul témoin de ces événements qui sortit des frontières de la République populaire de Chine.
Parmi les publications plus tardives et précieuses pour les informations fournies, il faut signaler l’ouvrage controversé de Louis Wei Tsingsing, « Le SaintSiège et la Chinepublié à Paris en 1968 (Editions A. Allois).
Plus tard, dans les années 80, une fois la Chine redevenue accessible de l’extérieur, de nombreux détails jusque là inconnus sont apparus. Ils ont été racontés par les participants à cette assemblée, personnages de premier plan dans l’Eglise de l’époque dont certains finirent en prison ou dans des camps de travail pendant des décennies, tandis que d’autres furent poussés en avant dans de nombreuses circonstances grâce à ces événements. Ils ont dit beaucoup de choses.
Les pages qui suivent entendent retracer brièvement les événements de ces premières années de coexistence entre le nouveau régime et l’Eglise catholique d’alors, en laissant « parler » à nouveau la voix de ceux qui les vécurent en première ligne, telle qu’elle nous est parvenue et qui fut confirmée par les événements qui suivirent.
La politique religieuse entreprise par le Parti communiste n’est pas née autour d’une table. Ses responsables, bien que désenchantés par la religion en général et les rites et célébrations en particulier, avaient toutefois grandi dans un milieu qui les avait rendus familiers des modalités spécifiques selon lesquelles le bouddhisme et le taoïsme jouaient spécialement leur rôle. Les chefs révolutionnaires avaient grandi au sein d’une société où le sens religieux qu’il soit ou non critiquable et critiqué avait une place reconnue.
Mais précisément parce qu’ils avaient été euxmêmes d’une certaine manière des produits de ce milieu socioreligieux, ils connaissaient très bien ses failles, ses inadaptations et son incapacité à conduire le pays, audelà de la crise et de l’effondrement des institutions, vers la modernité.
Dans la ferveur de ces années caractérisées par l’inquiétude et la recherche de méthodes visant à transformer la Chine, la religion (quelle qu’elle soit) fut considérée comme responsable des problèmes du pays, précisément parce qu’elle faisait depuis toujours partie du système et qu’elle était l’un des principaux éléments ayant entraîné l’effondrement des institutions civiles.
Cependant, les chefs révolutionnaires, malgré leur attitude fondamentalement hostile à l’égard de la religion, conservaient d’elle et de ses rapports avec le pouvoir politique l’image traditionnelle fournie par le bouddhisme et par le taoïsme dans le contexte chinois. Leurs interventions successives porteront l’empreinte du seul milieu qui leur était familier et qu’ils connaissaient bien.
I – LE PARTI COMMUNISTE CHINOIS
HERITIER D’UNE ANTIQUE TRADITION
Contrôle des temples et du monachisme
Jusqu’à la chute de la dynastie Qing, en 1911, le contrôle administratif des religions était une des fonctions réservées au ministère du Culte (Li Pu), une des six branches de l’administration centrale de l’empire. Une de ces fonctions consistait précisément à concéder l’approbation officielle pour la construction des temples, des monastères et des sanctuaires.
Il était établi que « la construction privée de temples et de monastères » était strictement interdite. « Toute violation de cette disposition par les prêtres bouddhistes et taoïstes est passible de cent coups de bâton, suivis de la réduction à l’état séculier et le confinement dans une garnison des frontières ; cette violation par des moniales est en revanche passible de la réduction à l’esclavage dans des familles de hauts fonctionnaires » (9).
L’efficacité effective de ces injonctions légales reflète le degré de contrôle du gouvernement sur un aspect important de la vie religieuse du peuple. « Au début de la dynastie Qing, au XVIIème siècle, il existait 12 482 monastères et temples fondés par décret impérial contre 64 140 érigés sans approbation officielle. 84% d’entre eux existaient donc sans permis officiel du gouvernement, contre toute disposition des autorités » (10).
Il existait d’autres types de contrôle, efficaces. Qu’un temple ou un monastère ait été ou non officiellement approuvé, ses adeptes (quand il y en avait) étaient sujets à un autre ensemble de contrôles. Le premier était l’approbation nécessaire à travers un document officiel d’autorisation du ministère du Culte, selon une coutume qui remontait au Xème siècle et qui est demeurée en vigueur jusqu’à la période républicaine. Ce document d’approbation faisait état de privilèges comme « l’exemption de la conscription militaire, du travail forcé et de la surveillance de la police » (11). Ces normes, si elles étaient enfreintes, prévoyaient aussi le retour de l’intéressé à l’état séculier.
Une seconde règle requérait qu’à la mort d’un prêtre bouddhiste ou taoïste son certificat soit renvoyé aux autorités compétentes. Par ailleurs, durant sa vie, après l’âge de quarante ans, on lui reconnaissait le droit de préparer et de former un seul novice, destiné à lui succéder.
De cette manière, l’Etat était en mesure de contrôler l’accès aux charges religieuses qui comportaient l’exercice de l’autorité. Il conservait la possibilité de retirer l’autorisation d’exercer les fonctions du ministère cultuel, et limitait le nombre de ceux qui accédaient à ces charges. « L’application de ces règles a toujours été scrupuleusement suivie par les fonctionnaires religieux, et les autorités compétentes les ont fait respecter, jusqu’aux temps modernes » (l2).
Une autre règle parvenue jusqu’à l’époque moderne, transmise par l’antique « Livre des rites », établissait que tout fonctionnaire des religions bouddhiste et taoïste qui « troublerait les affaires de gouvernement par des positions hérétiques subirait la peine de mort » (13). Pendant des siècles, le pouvoir central a toujours été attentif à ce qu’aucune déviation n’intervienne dans le domaine religieux et surtout à ce que la religion ne s’écarte pas des liens étroits de soumission aux institutions de l’ Etat et conserve son rôle au service du pouvoir et de l’unité du pays. Les sanctions prévues pour les transgresseurs étaient très détaillées, comme l’était aussi la liste des infractions (4). Par ailleurs, la plus grande sévérité était prévue dans le cas de rébellion organisée par des mouvements religieux qui assumaient des positions hérétiques ou de défi par rapport au pouvoir constitué et aux habitudes transmises par la tradition. La persécution frappait particulièrement ceux qui « reconnaissaient un chef religieux (hérétique, ndr) comme maître ou transmettaient ces positions erronées à des prosélytes » (15).
« La tradition de domination politique sur la religion organisée écrit C. K. Yang (16) a été tellement persistante que même durant la période républicaine, quand une grande partie des contrôles légaux sur la religion fut assouplie, le développement d’un mouvement religieux dépendait encore en grande partie du soutien d’une figure politique proéminente. L’expansion imprévue d’un mouvement bouddhiste dans la province du Hunan, au milieu des années 1920, par exemple, a été due en grande partie au patronage du gouverneur provincial, Tang Shengzhi, un bouddhiste dévot. Avec son soutien, l’Association du Hunan pour la conversion bouddhiste (Hunan Fuhua Hui) engendra, sur ce territoire, un vaste réseau d’organisations pour la formation et le culte bouddhistes. Mais quand Tang fut déposé, l’ensemble de ce mouvement finit aussi rapidement qu’il avait commencé
Yang fait encore observer que « les faits historiques masquent l’assertion commune selon laquelle il n’y a jamais eu de conflit prolongé entre l’ Etat (chinois) et la religionAu moins dans un cas, pendant une période de plus de 500 ans, « entre le cinquième et le dixième siècle, une constante persécution unilatérale de l’Etat contre la religion s’est exercée et non pas une lutte entre deux forces équivalentes. A aucun moment (de l’histoire chinoise) il n’est arrivé que l’ Etat perde sa position de prédominance » sur la religion organisée (17).
La politique et l’action du Parti communiste le régime qui a suivi se grefferont sur ce fil directeur très ancien consistant à encadrer les rapports entre l’Etat et la religion organisée, simplement en continuant la tradition impériale. Comme apport original, elles adopteront certains éléments de l’expérience soviétique et de l’Europe de l’Est. Les Etats du communisme réel avaient mis au point des systèmes de contrôle sur le christianisme, une religion organisée introduite depuis peu dans la vie de la Chine et que l’Empire incapable de la plier aux habitudes religieuses chinoises, surtout en raison des liens existants entre confessions chrétiennes et puissances européennes avait simplement maintenue » hors des murs des villes ». Le temps allait venir de faire entrer aussi le christianisme à l’intérieur de l’alvéole religieuse traditionnelle de la Chine millénaire.
Le communisme: un nouveau type de foi
Dans la première moitié du vingtième siècle, la Chine s’est trouvée secouée par de terribles bouleversements politiques et sociaux. La dynastie Qing abordait prostrée le nouveau siècle, surtout à cause de l’incapacité de ses institutions à s’adapter à la modernité ; son histoire s’achèvera de façon dramatique en 1911, avec la chute définitive de l’Empire.
Le régime républicain ne connut pas beaucoup plus de chance pour améliorer le sort des institutions et des citoyens. Le front politique se brisa bien vite en une mosaïque de « seigneurs de la guerre », maitres effectifs de parcelles de territoire. L’éclatement politique intérieur fut en même temps confronté au renforcement du tout proche voisin japonais qui, bien vite, envahit le territoire chinois. La trêve temporaire pour faire face à l’ennemi commun se rompit bien avant l’effondrement du Japon : la faction au pouvoir, le Guomindang, incapable d’affronter de façon coordonnée et intelligente les graves problèmes du pays, se décomposa alors de manière irrémédiable. Cela permit à l’opposition de s’organiser efficacement en s’appuyant sur le mécontentement grave et évident qui imprégnait la vie de la totalité des gens.
Ces derniers, mal informés sur les événements en cours, ignorant pour la plupart les jeux du pouvoir mais « perdants » à tous les coups dans toutes les parties jouées par ceux qui prétendaient dominer le terrain politique, étaient surtout désireux de survivre et d’obtenir des conditions de vie décentes. A la fin des années 40, bien peu de Chinois pouvaient se souvenir d’avoir vécu une période de paix et de tranquillité relatives.
La « victoire » sur l’ennemi commun se révéla tout de suite incapable de satisfaire les aspirations des gens. Au fort sentiment de voir l’étranger (Japon et nations occidentales) hors des frontières nationales, se substitua l’apparition d’une préoccupation plus grande, la recherche de quelque chose qui puisse « transcender les intérêts divergents, exiger un dévouement sans partage sur l’horizon national et qui puisse, en même temps, offrir une action capable de catalyser l’attention de l’individu, un objectif central dans lequel réintégrer les aspects émotifs et rationnels de la personnalité » (19). C’était un besoin de l’individu et de la nation.
Hélas, ce centre d’attraction, cet assemblage des énergies et des aspirations « ne pouvait plus se développer dans le contexte des religions traditionnelles théistes qui n’étaient sans doute plus capables de guider les individus et la nation » (20). Cellesci ne servaient plus au peuple comme moyen de se soustraire aux calamités qui s’abattaient sur lui et qu’il ne parvenait pas à comprendre ; elles ne servaient pas à la classe intellectuelle pour lui fournir des motivations et des pistes d’action. Ce que le père de la patrie, Sun Yatsen, avait proclamé quelques années auparavant s’avérait vrai, à savoir que « la Chine a un urgent besoin d’idéologie. Une idéologie disaitil inspirerait la foi et la foi engendrerait la force ; une force collective, si essentielle dans une période de crise nationale
Pour Sun Yatsen, l’idéologie incluse dans ses « Trois principes » (Sanmin Zhuyi) définis à Guangzhou (Canton) en 1924 (nationalisme, démocratie et bienêtre pour le peuple), était suffisante.
Après la fin de la seconde guerre mondiale, c’est le Parti communiste qui se présenta à la nation comme l’héritier le plus authentique de Sun Yatsen. Ses lettres de créance étaient constituées par la victoire sur les armées nationalistes du vieux gouvernement en débâcle et par la ferme volonté de s’atteler aux deux principales aspirations de la nation chinoise : le progrès matériel et la restauration de l’orgueil national par la reconquête du respect sur la scène internationale. Dès le siècle précédent, la faiblesse politique du pays et l’état d’arriération matérielle du peuple avaient été constamment montrés du doigt comme étant les principaux responsables de l’infériorité de la Chine dans le monde moderne. Le Parti qui sortait vainqueur de la révolution se fixait l’objectif de redonner force et bienêtre à la Chine et aux Chinois.
La politique du Parti envers les religions théistes
« La position du communisme à l’égard des religions théistes est celle d’une croyance qui rencontre une autre croyance » (22). C. K. Yang poursuit avec une affirmation peu acceptable mais commune dans de nombreux milieux : « Etant donné qu’une foi est toujours radicale, la relation entre différentes fois implique une exclusion réciproque. Entre corps qui s’excluent mutuellement, il ne peut y avoir de tolérance réciproque mais seulement un conflit » (23).
Une partie de cet axiome est vraie. De l’époque pré-révolutionnaire jusqu’aux déclarations officielles les plus récentes (24), le régime de Pékin a toujours affirmé que les religions théistes sont un produit de l’ignorance et de l’incapacité de comprendre le monde dans lequel nous vivons. Avec le progrès de la révolution, l’expansion de la science et la libération politique des masses, les religions sont inévitablement destinées à devenir des déchets de l’histoire. Cette même conception apparaît inaltérée dans les premiers écrits d’un des fondateurs du Parti communiste chinois, Chen Duxiu (1879-1942) (25), jusqu’aux documents publiés après le tournant pris par Deng Xiaoping (26).
Des considérations de type pragmatique découragent l’élimination de la religion par la force. Mais elles ne l’ont pas complètement empêchée, spécialement mais non exclusivement durant « les années de la grande catastrophe », comme un document (de 1981) du Comité central du Parti qualifie la « Grande révolution culturelle prolétaire » (19661976). Mais toute religion qui, en Chine, tente de résister ou constitue un obstacle pour le Parti sera violemment supprimée.
En 1960, K. C. Yang écrivait que « la seule religion organisée par laquelle le régime communiste chinois se sent menacé est le christianisme, et plus particulièrement l’Eglise catholique, en raison de ses liens avec les puissances occidentales » (27). A la fin du siècle, cette affirmation apparaît rétrospectivement dans tout le tragique de sa vérité.
En tout cas, la politique de tolérance alliée à la politique de subordination ne signifie certes pas le renoncement au plan à long terme d’élimination non violente des religions théistes. Le document n° 19/82 l’affirme ouvertement, en toutes lettres. L’instrument privilégié est le monopole sur l’éducation des jeunes, chasse gardée du régime.
II – LES DEBUTS DU NOUVEAU REGIME
L’ACTION CONTRE L’EGLISE (28)
Les prémisses
Pour « protéger » et contrôler efficacement les Eglises et les religions de la Chine, les dirigeants de Pékin se sont constamment et invariablement efforcés de faire d’elles des instruments dociles aux mains du parti et du gouvernement, en créant, au sommet de chaque confession, au niveau national, une organisation centrale, ayant des fonctions directives, de nature politique, et dépendant directement du bureau gouvernemental chargé des affaires religieuses (dirigé par un membre du parti), présent à son tour au sein du bureau du premier ministre Zhou Enlai.
Cette politique d’asservissement des Eglises et des religions permet de voir la dureté inexorable d’un plan techniquement sans faille. Son exécution a requis des années de pression et de répression. Ses résultats demeurent fragiles, comme le sont toutes choses bâties sur la contrainte et la violence. Au niveau national, l’action gouvernementale à l’égard de l’Eglise catholique fait donc partie d’une politique d’ensemble destinée aux diverses confessions religieuses. Elle prend place dans un contexte général dont nous rappelons ici les lignes essentielles.
Pour les musulmans, « le 11 mai 1953, 111 délégués musulmans appartenant à dix minorités ethniques différentes, ont créé officiellement à Pékin l’Association nationale islamique de Chine avec M. Buthan pour président… » (29). Pour les bouddhistes, « du 30 mai au 3 juin 1953, 123 personnalités bouddhistes se sont rassemblées à Pékin pour fonder officiellement l’Association bouddhiste de Chine, avec quatre présidents honoraires : le Dalai Lama, le Panchen Ngoerhtehni, Hsu Yun, Chakankoken ; un président, Yuan Yin, et un secrétaire général, Zhao Puchu » (30). Les protestants tinrent leur première Conférence nationale des protestants de Chine à Pékin, du 20 juillet au 6 août 1954. 232 représentants des différentes Eglises et organisations protestantes y prirent part et élurent un Comité national composé de 150 membres sous la direction de Wu Yaozong, chef du Mouvement protestant des trois autonomies (31). L’Association taoïste de Chine fut officiellement créée le 12 avril 1957. Yueh Chungtai, abbé d’un monastère taoïste de Mukden (aujourd’hui Shenyang) et membre du Comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois, fut élu président. Pour diriger l’association, un comité central de 61 personnes fut élu (32).
Les tentatives de contrôle sur l’Eglise
Les efforts pour soumettre l’Eglise catholique, bien qu’intenses et constants, n’aboutirent à rien pendant longtemps. De fait, la création de l’organe interne de contrôle sur l’Eglise fut le dernier, chronologiquement parlant, à pouvoir être constitué. L’action du gouvernement se heurta à d’assez fortes résistances, ce qui se paya à un prix très élevé pour les catholiques : le gouvernement dut faire disparaître des centaines de personnes et avoir recours à la terreur et au chantage par rapport aux autres, avant d’obtenir quelque succès. La création de l’instrument interne de contrôle sur l’Eglise passa par différentes phases.
Le « cas Riberi »
Au moment de la proclamation de la République populaire, Mgr Antonio Riberi, archevêque, internonce en Chine, représentait le SaintSiège depuis le 28 novembre 1946, avec résidence à Nankin, siège du gouvernement nationaliste de l’époque. A la suite de la prise du pouvoir par les communistes, l’archevêque ne quitta pas la Chine comme l’avaient fait tous les représentants diplomatiques accrédités auprès du gouvernement chinois. En raison précisément de sa mission spécifique, qui n’avait trait que d’une manière tout à fait secondaire à la politique, Mgr Riberi avait reçu l’ordre de rester le plus longtemps possible sur le sol chinois et de n’abandonner en aucun cas son siège diplomatique. Voilà pourquoi il tenta de contacter les nouvelles autorités et de transférer sa résidence à Pékin, devenue capitale du nouveau régime.
Sur un plan purement formel, l’attitude du représentant pontifical peut probablement être considérée comme erronée: il avait été accrédité auprès d’un gouvernement (nationaliste) qui avait cessé d’exister sur le territoire chinois et avait été transféré ailleurs. Selon plusieurs observateurs (33), Mgr Riberi aurait dû suivre les événements et les déplacements de ce gouvernement. Cette position n’est pas partagée par le SaintSiège qui avait à coeur les relations avec l’Eglise en Chine plutôt que les événements politiques du moment.
Les turbulences de ces annéeslà requéraient en outre des indications qui concernaient la vie de l’Eglise. Les évêques étant dans l’impossibilité de se rencontrer et de parvenir à une position commune, il revint à l’internonce de prendre position. Une tâche de discernement assez difficile, qu’il n’était pas possible d’isoler d’événements survenus dans d’autres pays gouvernés par des régimes communistes où les évêques avaient été injustement persécutés et incarcérés et la vie de l’Eglise rendue difficile ou impossible.
Plusieurs initiatives pleinement légitimes de Mgr Riberi donnèrent l’occasion aux autorités chinoises d’attaquer son action. Face aux difficultés toujours plus grandes pour l’Eglise de mener ses activités normales de culte et de catéchèse, l’internonce encouragea la formation de la Légion de Marie qui, en peu de temps, devint présente dans les grandes villes. Le fort attrait qu’elle exerça attira immédiatement l’attention et l’antipathie du régime qui la qualifia de mouvement contrerévolutionnaire et subversif, aidé en cela par la malheureuse terminologie militaire adoptée à l’intérieur même de la « Légion ».
Un second incident fut causé par une déclaration du clergé de Nankin qui proposait la réforme de l’administration de l’Eglise en Chine et qui portait notamment la signature du vicaire général du diocèse, le P. Li Weiguang (34). La déclaration fut publiée dans le Quotidien du Peuple du 31 mai 1951. A cette même date, l’internonce Riberi envoyait une lettre en latin aux évêques pour en désapprouver le contenu.
A plusieurs reprises, par la suite, Mgr Riberi ne manqua pas de mettre en garde pasteurs et fidèles contre le Mouvement des trois autonomies (35), d’inspiration protestante, et qui était constamment proposé comme devant inspirer l’Eglise catholique.
Finalement, après une intense campagne de presse et d’opinion contre l’internonce, le 26 juin 1951, Mgr Riberi fut placé en résidence surveillée, dans sa résidence de Nankin. Le 4 septembre suivant, la presse chinoise annonçait la déportation de Mgr Riberi. Le 5 septembre, celuici arrivait à Shanghai sous escorte armée. On le fit monter dans un train, dans un compartiment de troisième classe, et il fut conduit à la frontière de Hongkong après un long et exténuant voyage.
Arrivé à Hongkong, Mgr Riberi y resta pendant une année entière, dans le vain espoir d’obtenir l’accréditation auprès du nouveau gouvernement de Pékin. Après cette longue et vaine attente, il se rendit finalement à Taiwan. Le « cas Riberi » demeure encore aujourd’hui une page controversée de l’histoire de l’Eglise en Chine. Il demeure cependant un fait secondaire dans sa substance, ne revêtant d’importance que pour l’utilisation qui allait en être faite pour justifier une « politique religieuse » qui aurait de toute façon été mise en oeuvre, comme les pages suivantes l’illustreront amplement.
Le Mouvement des trois autonomies
Le 13 décembre 1950, une dépêche de l’agence Chine nouvelle lançait dans l’Eglise catholique le Mouvement des trois autonomies (MTA) par l’intermédiaire du « Manifeste de Guangyuan » (36). Le programme de réforme prévoyait, à cette époque, la constitution de soviets paroissiaux et de comités de réforme au niveau local, composés principalement de laïcs. En agissant par la base, le gouvernement espérait recueillir un certain soutien pour organiser au niveau national un organisme catholique disposé à collaborer en étant soumis au pouvoir. Ce projet échoua surtout parce que les catholiques suspectèrent des implications sur le plan doctrinal et disciplinaire. Plus tard, alors que le projet avait déjà été mis de côté, la condamnation du MTA arriva de la part du Pape Pie XII dans l’encyclique Ad Sinarum Gentem (37).
Le périodique China Missionary Bulletin, dans sa rubrique régulière intitulée Mission Chronicle, en 1951, parle fréquemment des tentatives faites pour déstabiliser les centres locaux s’inspirant des mouvements de réforme (38). Malheureusement, il ne rapporte jamais les noms des localités où se sont tenues ces assemblées et cite rarement les noms des personnes concernées. Les faits sont en revanche enregistrés sous les noms des provinces respectives. Durant la seconde moitié de l’année, les nouvelles sur les tentatives de conduire les catholiques vers la réforme de l’Eglise et d’organiser de l’intérieur les structures pour le fonctionnement du mouvement diminuent. Les informations augmentent par contre d’une manière impressionnante sur l’arrestation de prêtres, de religieuses et de laïcs, de la disparition de certains et de l’assassinat d’autres. Les nouvelles sont nombreuses également quant à la fermeture d’institutions catholiques.
Deux rubriques apparaissent régulièrement : « In manus tuas Domine« , qui met à jour la liste des catholiques tués ou morts en prison, et « Expelled from China« . Celleci, lors de sa dernière édition en 1955, enregistre 3 142 expulsés, prêtres, évêques et religieuses. A ce momentlà, il restait dans les prisons chinoises un peu plus d’une dizaine de missionnaires étrangers.
La campagne d’opposition contre l’impérialisme et pour l’amour de la patrie et de la religion
En 1953, le gouvernement lance le Mouvement d’opposition à l’impérialisme, d’amour de la patrie et de la religion. Pour l’occasion, de petits noyaux d’associations patriotiques sont de nouveau créés au niveau local, dans l’espoir qu’à partir de ces groupes pourra naître un mouvement d’idées conduisant à la constitution d’un organisme catholique national.
Avec cet objectif en tête, en 1953, le bureau des Affaires religieuses convoque le synode de Nankin, composé d’ecclésiastiques et présidé par le vicaire général du diocèse, Li Weiguang. Ce synode se fera le portevoix de la nouvelle initiative du gouvernement par une déclaration en dix articles. Cependant, malgré les fortes pressions du gouvernement, ce synode n’eut aucun écho ni aucune suite. Li Weiguang fut excommunié par le SaintSiège (39). Il fut ensuite illégitimement ordonné évêque, le 15 novembre 1959. Il est significatif que Louis Wei, dans son livre intitulé « Le SaintSiège et la Chine« , ne parle même pas de cet événement.
Les choses traînent encore pendant quelque temps, en plaçant les catholiques en particulier les évêques et les prêtres sous pression, pour qu’ils apportent leur assentiment au plan du Parti. Il y eut quelques adhésions mais surtout beaucoup d’opposition en 1955, année décisive où « le front réactionnaire catholique« , pour reprendre l’expression de la presse d’alors, fut brisé par la force.
Au début de l’automne, les autorités arrêtent presque toutes les personnes qui, au cours des années précédentes, ont affiché une attitude ferme et inflexible. Auparavant déjà, beaucoup avaient été victimes d’arrestations et de vexations et le nombre de tués avait grossi, contribuant à créer un climat de terreur et de suspicion. Le cas de Shanghai est typique : dans la nuit du 8 septembre, l’évêque de la ville, Mgr Ignace Gong Pinmei (aujourd’hui cardinal) fut arrêté, ainsi que 600 personnes : prêtres (environ 70), religieuses et laïcs. Le cas de Shanghai est typique car ce qui se passa là se reproduisit à travers tout le pays. Le régime fit disparaître toutes les autorités ecclésiastiques qu’il jugeait inflexibles (« réactionnaires »), laissant les diocèses sans autorité reconnue.
L’arrestation des « réactionnaires » et la formation des associations patriotiques
L’arrestation et la situation d’empêchement d’une grande partie des autorités ecclésiastiques laissa le champ libre aux candidats favoris du gouvernement. Celuici créa d’ailleurs des circonstances favorables au développement accéléré des associations patriotiques au niveau local et facilita la participation de prêtres et de laïcs aux rencontres de nature politique. L’adhésion, même tardive, de plusieurs personnalités ecclésiastiques importantes aux initiatives du gouvernement fit conclure aux autorités compétentes que les conditions étaient mûres désormais pour entreprendre la troisième tentative de création d’une « association patriotique » de catholiques au niveau national. Nous étions alors en janvier 1956.
M. Yang Shida, vicerecteur de la seconde école de médecine de Shanghai, écrit: « Les organismes patriotiques des catholiques se sont développés avec rapidité après l’élimination des bases influentes de l’impérialisme et de la contrerévolution situées à l’intérieur de l’Eglise catholique. Pour l’heure, la forme de ces diverses organisations se différencie selon les régions. Leur dénomination varie elle aussi. Il n’existe pas de liens et de relations réciproques entre elles. Elles ne possèdent pas non plus d’organisme directeur pour assurer leur unité et leur centralisation. Les délégués catholiques qui, en janvier 1956, à Pékin, ont participé comme membres du Comité ou comme observateurs à la quatrième réunion du Comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois furent convoqués à un entretien avec Xi Zhongxun, secrétaire général du Conseil d’Etat (40).
Au cours de cette réunion, il fut proposé à l’unanimité d’encourager la fondation, au niveau national, d’une organisation patriotique des catholiques, afin de pouvoir facilement unifier les idées et les activités des diverses associations patriotiques locales disséminées dans le pays et afin de permettre à tous les catholiques de Chine de s’unir comme un seul homme, de créer une organisation indépendante, libre, prospère, puissante, et d’aider le gouvernement à appliquer sa politique religieuse.
Le secrétaire général du Conseil d’Etat, Xi Zhongxun, a considéré que nos propositions étaient non seulement légitimes, mais aussi avantageuses pour le peuple, la patrie et pour l’Eglise catholique. En conséquence, il nous a donné son appui et son soutien. « L’Association patriotique est une question qui appartient à tous les catholiques que vous êtes », nous a déclaré Xi Zhongxun. « Votre devoir est de l’organiser. Si, à un moment donné, vous avez besoin de l’assistance du gouvernement, le gouvernement vous aidera certainement et fortement. Le gouvernement populaire agit en faveur du peuple. Il a la responsabilité et le devoir de faire tout ce qui profite au peupleA partir de ce jourlà, l’Association patriotique des catholiques de Chine, au niveau national, a commencé à prendre forme… (41). « L’élimination des bases influentes de l’impérialisme et de la contrerévolutionà laquelle se réfère Yang Shida, revêt des caractéristiques bien précises. Depuis des années, une action constante était menée à l’encontre des personnalités, évêques, prêtres et laïcs, considérées comme difficilement malléables et rebelles même à une collaboration tacite. Il ne restait plus au régime que l’option de leur arrestation et de leur disparition dans le système carcéral d’Etat.
Les prêtres disparurent littéralement par centaines et il est impossible de suivre ici leur destinée. Mais le régime s’intéressa surtout aux administrateurs diocésains, évêques ou prêtres. Je ne citerai que deux cas parmi tant d’autres. Le nouvel évêque de Xiwanzi (Hebei), Mgr Melchior Zhang, fut arrêté au début de 1952 : il sortira de prison « pour raisons de santé » et sera placé en liberté surveillée en mars 1985. L’évêque de Shanghai, Mgr Ignace Gong Pinmei (42), sera arrêté le 8 septembre 1955 (43). Environ soixantedix prêtres et des centaines de fidèles partagèrent son sort. Mgr Gong passera 30 ans en prison et trois autres en résidence surveillée avant de prendre la voie de l’exil vers les EtatsUnis, en 1988.
L’action politique s’étendit bien audelà de Shanghai. Le message était clair: ou bien l’on s’adaptait, ou bien il fallait payer un prix très élevé. Les victimes de ces coups de filet disparurent dans les goulags du régime. Beaucoup y moururent et ceux qui survécurent en sortirent après des décennies. Le P. Linus Wong, administrateur diocésain du diocèse de Jiangmen (Guangdong), passa 30 ans dans un camp de travaux forcés dans le Qinghai. le P. Philippe Wang Ziyang, administrateur du diocèse de Yanggu (Shandong), mourut en prison le 31 janvier 1990, après plus de 36 ans de détention.
III- LA PREPARATION IMMEDIATE : L’ANNEE 1956
De janvier à juillet 1956, tous les bureaux locaux et provinciaux des Affaires religieuses et tous les principaux responsables des associations patriotiques travaillèrent fébrilement pour préparer la convocation à Pékin d’une « Réunion préliminaire d’un Comité préparatoire de l’Association patriotique nationale ».
Une de leurs principales tâches consistait à « inviter » les évêques et les administrateurs diocésains chinois à apporter leur adhésion à cette première réunion préparatoire. Le terme « invitation » est dans ce cas un euphémisme notoire. Il se réfère en effet à l’utilisation de tout moyen de pression possible pour extorquer l’adhésion « volontaire et libre » des plus hautes autorités ecclésiastiques. Des lettres et informations de l’époque, et surtout les témoignages recueillis de vive voix au cours des dix dernières années, expliquent les méthodes utilisées pour convaincre. « Un groupe de catholiques patriotiques a organisé une série de réunions contre l’évêque pour le contraindre à adhérer à la politique religieuse du gouvernement. Les accusations contenaient les terminologies habituelles de contrerévolutionnaire, espion à la solde des impérialistes, saboteur… » (44).
A la suite de ce travail de préparation, 4 évêques, 11 vicaires généraux ou administrateurs diocésains et 10 laïcs se réunirent à Pékin du 19 au 25 juillet 1956 pour devenir les promoteurs officiels de l’Association nationale patriotique des catholiques de Chine. Au total, donc, 36 personnalités catholiques appartenant à 23 diocèses différents, sur les 139 circonscriptions ecclésiastiques que comptait le pays, selon l’annuaire des Missions catholiques de Chine, de 1949. Le P. Zhang Shilang, vicaire capitulaire de Shanghai, ne put se rendre à Pékin pour raisons de santé, mais son nom fut quand même ajouté à la liste, portant le nombre des « promoteurs » à 37.
Je rapporte cidessous les textes de l’époque qui relatent le cours des événements et leur signification.
La réunion préliminaire du Comité préparatoire
« La réunion préliminaire du Comité préparatoire de l’Association patriotique des catholiques chinois s’est achevée avec succès à Pékin » (45), écrit un correspondant de Chine.
« La réunion préliminaire du Comité préparatoire de l’Association patriotique des catholiques chinois a été annoncée par les neuf personnalités catholiques, ecclésiastiques et laïques, qui avaient participé à la seconde session plénière du second comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois. La réunion préliminaire s’est déroulée à Pékin du 19 au 25 juillet 1956 et s’est achevée avec succès.
Parmi les participants se trouvaient Mgr Wang Wencheng, évêque de Nanchong (Sichuan), Mgr Zhao Zhensheng, évêque de Xianxian (Hebei), Mgr Yi Huanhua, évêque de Xiangfan (Hubei) et Mgr Li Boyu, évêque de Zhouzhi (Shaanxi). Etaient également présents les prêtres Li Weiguang, administrateur apostolique de Nankin (Jiangsu), Dong Wenlong, vicaire général de Jinan (Shandong), Li Chunwu, vicaire général de Pékin, Li Debei, de Tianjin, et le laïc Yang Shida, de Shanghai. En tout 36 personnes.
Le 19 juillet 1956, après l’adoption de l’ordre du jour et du comité de présidence, Mgr Wang Wencheng prononça le discours d’ouverture. A l’invitation de la présidence, le directeur du bureau des Affaires religieuses du Conseil d’Etat, He Chengxiang, a participé aux travaux et présenté la politique religieuse du gouvernement en commentant des faits d’actualité. En particulier, He Chengxiang s’est attardé sur la présentation des succès obtenus dans la construction socialiste du pays, sur la politique du gouvernement concernant la protection de la liberté de la foi religieuse et sur la signification du mouvement patriotique et antiimpérialiste des catholiques.
Dans les discussions de groupe et lors des sessions plénières, les ecclésiastiques et les laïcs catholiques ont pris la parole avec enthousiasme et ont reconnu à l’unanimité que pour mieux mettre en oeuvre le travail « d’amour de la patrie et de la religion » il était absolument nécessaire de fonder une organisation patriotique au niveau national et qu’il était opportun de fonder une telle organisation. Tous ont exprimé leur ferme confiance pour ce qui est de mobiliser effectivement les forces des ecclésiastiques et des laïcs catholiques afin de bien diriger l’Eglise catholique.
Le 24 juillet 1956, au cours de la réunion plénière, Dong Wenlong, vicaire général du diocèse de Jinan, fournit des explications sur le projet de constitution et de règlement du Comité préparatoire de l’Association patriotique des catholiques chinois. Li Debei, prêtre du diocèse de Tianjin, ajouta quelques explications sur la procédure suivie dans la rédaction du message’ rédigé par le Comité préparatoire de l’Association patriotique des catholiques chinois. Li Chunwu, vicaire général du diocèse de Pékin, a proposé d’établir une liste de membres constituants et de mettre au point les services d’organisation d’un Bureau du Comité préparatoire de l’Association patriotique des catholiques chinois. Après la réunion, tous les groupes ont eu des discussions approfondies sur les explications et les propositions mentionnées plus haut, en exprimant leurs avis et en proposant des amendements.
Le 25 juillet 1956 a eu lieu la dernière session plénière de cette assemblée, sous la présidence de Li Weiguang, administrateur du diocèse de Nankin. Les membres ont adopté à l’unanimité, avec enthousiasme et en levant la main, le texte du message du Comité préparatoire de l’Association patriotique des catholiques chinois. Ils sont tombés pleinement d’accord pour jeter les bases des services d’organisation d’un bureau chargé de préparer l’Association patriotique des catholiques chinois. Au cours de cette session, ils ont réuni les diverses propositions avancées pour l’amendement du projet de constitution du Comité préparatoire de l’Association patriotique des catholiques chinois. La session a confié au Bureau préparatoire le pouvoir d’introduire les amendements. Après le discours de clôture prononcé par le catholique Yang Shida, la réunion préliminaire s’est achevée avec succès. Le jour même, dans l’aprèsmidi, les autorités ecclésiastiques et les laïcs catholiques qui avaient participé à la réunion apposèrent leurs noms à la fin du texte du message.
L’assemblée préliminaire a reçu des télégrammes et des lettres de félicitations des ecclésiastiques, des laïcs catholiques et des organisations patriotiques de Pékin, Tianjin, Shenyang, Shanghai, Wuhan, de la région autonome de la MongoIie intérieure, de Shenba (Shaanxi), Jining, Heze (Shandong), etc… Conduits par les représentants des catholiques de Pékin, des enfants ont offert des fleurs et présenté leurs félicitations à cette assemblée préliminaire.
Le dimanche 22 juillet 1956, tous les membres qui ont participé à la Réunion préliminaire du Comité préparatoire de l’Association patriotique des catholiques chinois se sont unis aux autorités ecclésiastiques du diocèse de Pékin et à plus de 2 000 catholiques pour participer, dans l’église de l’ouest de la capitale, à une messe solennelle au cours de laquelle ils ont prié pour la paix. Mgr Wang Wencheng a célébré le saint sacrifice, assisté des évêques Zhao Zhensheng, Yi Huanhua, Li Boyu et Zhong Huaimu ».
Les rencontres avec les hiérarques du Parti
Pendant la période où se déroulait la Réunion préliminaire, Xi Zhongxun, secrétaire général du Conseil d’ Etat, utilisa le club culturel de la Conférence consultative politique du peuple chinois pour inviter les ecclésiastiques et laïcs catholiques participant à la réunion à prendre part à des « conversations ». Cellesci se déroulèrent dans l’aprèsmidi du 22 juillet 1956. Les représentants catholiques expliquèrent comment la politique religieuse du Parti était appliquée dans les différentes parties du pays et affirme le rapport de cette rencontre – « exprimèrent l’espoir d’une plus grande aide du gouvernement pour développer les activités religieuses normales dans tous les diocèsesXi, de son côté, profita de l’occasion pour expliquer une fois encore la politique religieuse du Centre et « parla ouvertement et avec sincérité à tous, s’engageant dans un intense échange de vuesSans manquer d’« impartir des directives urgentes » de caractère politique sur le mouvement patriotique.
Quatre jours plus tard, le 26 juillet, ce fut au tour du premier ministre, Zhou Enlai, de recevoir en audience « les évêques, les administrateurs apostoliques, les vicaires généraux, les prêtres et les catholiques des diverses régions de la Chine » qui avaient participé à la Réunion préliminaire du Comité préparatoire de l’Association patriotique des catholiques chinois. Le premier ministre Zhou, assisté de He Chengxiang et de Xu Ying (respectivement directeur et vicedirecteur du bureau des Affaires religieuses) et de Gao Shan, directeur du premier bureau du Conseil d’Etat, salua personnellement tous les intervenants, leur posant ensuite de nombreuses questions sur la vie religieuse des diocèses et sur les progrès qu’avait accomplis le mouvement patriotique en milieu catholique. L’évêque de Nanchong, Mgr Wang Wencheng, fit un bref discours au nom de tous les « représentants » catholiques présents et présenta au premier ministre et au président Mao l’hommage des catholiques. Le compte rendu public apparu dans un périodique de Tianjin ne mentionne pas le contenu de la « conversation » et ne précise pas non plus quelles ont été « les indications et les directives » transmises aux catholiques par le premier ministre (46).
Les promoteurs
Le même journal de Tianjin publie en septembre une liste de 36 noms de personnalités connues qu’il qualifie de « promoteurs » de l’initiative visant à constituer une Association patriotique pour les catholiques (47). Cette liste est intéressante : bon nombre de ces personnalités joueront un rôle déterminant jusqu’à nos jours.
Sur les 24 évêques chinois de l’époque, on n’en retrouve que 4 sur cette liste: Wang Wencheng de Nanchong (Sichuan), Zhao Zhensheng de Xianxian (Hebei), Li Boyu de Zhouzhi (Shaanxi) et Yi Xuanhua de Xianyang (Hubei). Parmi les vicaires généraux et les administrateurs diocésains figurent celui de Pékin, Li Chunwu, et 10 autres qui seront ordonnés illégalement évêques par la suite : Li Weiguang de Nankin, Dong Wenlung de Jinan, Li Debei de Tianjin, Yang Gaojian de Changde (Hunan), He Chunming de Kaifeng (Henan), Zhao Jingnong de Tianshui (Gansu), Zhang Jiashu et Li Side de Shanghai, Wang Qiwei de Baoding (Hebei) et Lin Quan de Fuzhou (Fujian).
D’autres noms illustres sont Wang Liangzuo, prêtre du diocèse de Chengdu (Sichuan) auquel on doit la proclamation de Guangyuan qui appelle à la réforme de l’Eglise dès 1950, Yang Shida, universitaire de Shanghai et député au Parlement national et, enfin, l’unique femme provenant de Guangzhou (Guangdong), Chen Jihong, qui deviendra tristement célèbre pour les humiliations infligées à l’archevêque Mgr Dominique Tang. Bien qu’il ait été absent pour raisons de santé, le communiqué mentionne le nom de Zhang Shilang, administrateur du diocèse de Shanghai. Lui aussi sera compté parmi les « promoteurs » de l’initiative.
Le message
Le 25 juillet 1956, au terme de la réunion préliminaire de Pékin, les participants envoyèrent le message suivant:
« Chers et vénérés supérieurs ecclésiastiques, chers fidèles,
Depuis la libération, notre grande patrie, sous la direction du gouvernement populaire, a lancé des mouvements politiques, mis en oeuvre des réformes sociales, entrepris la construction socialiste en cours et provoqué des changements fondamentaux. La patrie s’est débarrassée des conditions à demi coloniales et à demi féodales qui l’avaient caractérisée par le passé et a obtenu des résultats sans précédent dans la politique, dans l’économie, sur le plan culturel, dans la morale sociale et sur divers autres plans. En conséquence, elle a rehaussé sa position internationale et est devenue une force puissante pour protéger la paix du monde.
En même temps, nos convictions religieuses ont également obtenu une protection réelle. Face à ce magnifique spectacle qui suscite l’accueil enthousiaste des gens, nous ressentons que la gloire du peuple chinois rejaillit sur nos personnes et du profond de notre coeur nous louons et remercions Dieu car Ses voies de paix et de justice sont en train de se réaliser.
L’amour ardent pour la patrie et l’obéissance au gouvernement constituent en euxmêmes un commandement de Dieu. Notre Seigneur JésusChrist nous a dit : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Ceci démontre clairement que nous avons le devoir sacré d’aimer la patrie et d’aimer l’Eglise catholique. Les saints apôtres Pierre et Paul et tous les saints des générations suivantes nous ont enseigné comment nous devons obéir au gouvernement. Les saints qui se sont sacrifiés depuis l’antiquité pour la patrie et la justice, comme sainte Jeanne d’Arc, ont obtenu la plus grande vénération de l’Eglise catholique. Ceci témoigne vraiment qu’aimer et protéger sa patrie est le devoir de chaque ecclésiastique et de chaque catholique, et c’est pour cela que l’amour de la patrie et l’amour de l’Eglise catholique sont inséparables.
Dans les années qui ont suivi la libération, les ecclésiastiques et les catholiques des diverses régions ont participé au mouvement pour « Aimer et protéger la patrie, protéger la paix du monde ». Ils ont élevé leur conscience patriotique. Ils ont fondé des organisations patriotiques, au point que notre « mouvement d’opposition à l’impérialisme et d’amour de la patrie » a obtenu de grands résultats.
Afin de resserrer encore plus l’union des ecclésiastiques et des catholiques du pays tout entier, afin de développer davantage l’esprit patriotique,