Eglises d'Asie

Inquiétude après l’enlèvement en plein jour d’un pasteur protestant

Publié le 22/02/2017




Le 13 février dernier, un pasteur protestant a été enlevé en plein jour et en pleine rue dans la ville de Petaling Jaya. L’enlèvement n’a pas été revendiqué, et aucune demande de rançon n’a été communiquée à la famille ni aux autorités. Dix jours après le kidnapping, l’inquiétude grandit au sein de …

… la communauté chrétienne de Malaisie, une communauté qui représente 10 % de ce pays à majorité musulmane.

L’enlèvement a eu lieu à Kelana Jaya, un quartier de Petaling Jaya, vaste zone urbaine située au Selangor, l’Etat qui entoure les districts fédéraux de Kuala Lumpur et de Putrajaya. Il s’est produit peu après 10h30 du matin. Selon les enregistrements des caméras de surveillance, saisis par la police, trois gros véhicules noirs de type SUV ont encadré la voiture du pasteur, le Rév. Raymond Koh Keng Joo, pour la forcer à s’arrêter. En pleine rue, on aperçoit sur les images un homme qui détourne le trafic tandis que quatre autres hommes, le visage caché par des cagoules noires, agissent. Les caméras n’ont pas saisis la totalité de la scène (des allées et venues des hommes masqués, on ne voit que leurs pieds), mais le cortège repart rapidement après, la voiture du pasteur étant encadrée par deux SUV à l’avant et un troisième à l’arrière.

Des ravisseurs « professionnels »

L’épouse du pasteur, Mme Susanna Liew Sow Yoke, a rapidement contacté la police pour signaler « la disparition inquiétante » de son époux. Après un début d’enquête rapide, les policiers ont estimé qu’il s’agissait d’un enlèvement et ont ouvert une enquête à ce titre, selon l’article 365 du Code pénal. Un porte-parole de la police a déclaré le 15 février : « A ce stade, nous ne connaissons pas le motif de cet enlèvement et la famille de la victime n’a reçu aucune demande de rançon de la part des kidnappeurs. »

Pour l’épouse du pasteur, « l’enlèvement a été exécuté de manière professionnelle ; selon les images des caméras de surveillance, il a été mené en moins d’une minute ». Très inquiète, la famille du pasteur a promis, le 19 février, une récompense de 10 000 ringgits (2 100 euros), somme portée dès le lendemain à 100 000 ringgits grâce à l’aide de « bienfaiteurs », à toute personne qui serait en mesure de fournir des informations sur le rapt.

Pour la famille comme pour ses proches, il est impensable que l’enlèvement obéisse à un motif crapuleux. Agé de 62 ans, le Rév. Raymond Koh était apprécié de tout son entourage, ont expliqué les membres de la famille. Engagé dans de nombreuses actions caritatives menées par son Eglise, il avait fondé il y a dix ans un groupe baptisé Harapan Komuniti (‘Communauté Espoir’) qui dispensait notamment des cours gratuits d’anglais aux adultes et des classes de soutien scolaire aux enfants. Son action s’adressait à tous, quelle que soit leur appartenance ethnique et religieuse

« Profonde inquiétude » des Eglises chrétiennes

Dix jours après l’enlèvement, la famille s’inquiète de l’absence de nouvelles. Dès le 16 février, elle a dû démentir des informations qui circulaient sur les réseaux sociaux. Un message sur Facebook et WhatsApp annonçait ainsi la remise en liberté du pasteur. « Nous sommes attristés et inquiets du fait que de fausses nouvelles circulent au sujet du retour du Rév. Raymond auprès de sa famille. Il n’y a rien de vrai là-dedans », a déclaré un représentant de la famille le 16 février.

Le 19 février, la Fédération chrétienne de Malaisie (Christian Federation of Malaysia – CFM), instance qui réunit la quasi-totalité des dénominations chrétiennes du pays (dont l’Eglise catholique), a publié un communiqué pour dire « sa profonde inquiétude » au sujet de l’enlèvement et de la disparition de Raymond Koh, et demander aux autorités « une enquête rapide et approfondie sur cet incident » afin que le pasteur retrouve sans délai ses proches et que ces ravisseurs soient traduits en justice. Le communiqué du CFM est intitulé : « Les hommes de religion ne doivent pas faire l’objet de menaces de violence ou d’intimidation. »

Un motif religieux destiné à « punir » un pasteur trop entreprenant ?

Dans un pays où les équilibres entre communautés religieuses sont très sensibles, les médias classiques comme les réseaux sociaux se sont saisi de cette nouvelle, en posant tous, de manière plus ou moins explicite, la question de savoir si cet enlèvement devait être considéré sous un angle religieux. Un grand nombre de médias ont ainsi rapporté que le Rév. Raymond Koh avait été impliqué en 2011 dans une controverse : le JAIS de Selangor, le Bureau des Affaires islamiques de Selangor, l’avait accusé de faire œuvre de prosélytisme en direction des musulmans sous couvert d’action caritative et avait diligenté un raid contre une soirée de levée de fonds organisée par lui à l’Eglise méthodiste Damansara Utama (DUMC). Ainsi que le relève un commentateur sur Malaysiakini, l’un des principaux médias indépendants en ligne du pays, la plupart des médias, lorsqu’ils mentionnent cette action diligentée par le JAIS de Selangor, omettent de préciser que ce raid fut mené sans mandat de justice et qu’aucun élément ne put être retenu contre le pasteur protestant. « Maintenant que les médias ont établi un lien entre le JAIS et la disparition de Koh, que cela soit justifié ou non, les autorités islamiques du Selangor doivent faire la lumière sur ces accusations. Les autorités religieuses fédérales doivent faire de même. En toile de fond, on trouve cette question de savoir si les projets de loi portés par l’UMNO et le PAS à propos de la charia et des hudud concerneront, oui ou non, les non-musulmans », analyse ainsi un certain Bob Teoh sur Malaysiakini.

Sur un autre site d’information en ligne, Free Malaysia Today, un autre commentateur, Tony Yao, s’inquiète : la disparition du Rév. Raymond Koh, « un citoyen qui se conforme aux lois et qui n’a rien fait de plus que de venir en aide aux personnes défavorisées, quelle que soit leur appartenance de race, de religion ou de nationalité », « a de graves implications pour tous les Malaisiens : aucun de nous n’est en sûreté, même dans une rue très fréquentée ». « Nous entendons parler d’enlèvements de ce type dans des pays arriérés, où l’Etat de droit est faible, mais le fait que cela a pu se produire au cœur d’un important centre urbain de Malaisie est tout simplement impensable. (…) nous n’avons pas encore entendu un seul de nos dirigeants au pouvoir dénoncer cet enlèvement et assurer tous les Malaisiens que tout est fait pour retrouver le Rév. Raymond et traduire ses ravisseurs en justice », écrit ce commentateur.

(eda/ra)