Eglises d'Asie

Près du tiers de la population rohingya de Birmanie réfugiée au Bangladesh

Publié le 11/09/2017




Plus de 300 000 musulmans de l’Arakan, Etat de l’ouest de la Birmanie, ont fui les opérations militaires, après qu’une organisation armée rohingya a attaqué, le 25 août dernier, plusieurs dizaines de postes de police.

Ils arrivent au Bangladesh, épuisés, affamés, parfois blessés. En un peu plus de deux semaines, près de trois cent mille Rohingyas, ces musulmans de l’ouest de la Birmanie, ont traversé la frontière pour échapper aux « opérations de sécurité » de l’armée birmane. Cette dernière n’a pas arrêté beaucoup de suspects – une cinquantaine – ni saisi d’importantes quantités d’armes. Mais les victimes de ses opérations sont extrêmement nombreuses : entre quatre cents et mille morts selon les sources. Les militaires affirment rechercher les assaillants de l’ARSA, l’Armée du salut rohingya de l’Arakan, qui a revendiqué les attaques simultanées contre une trentaine de postes de police, le 25 août dernier. Une quinzaine de membres des forces de l’ordre birmanes avaient péri dans ces assauts coordonnés, menés par une organisation considérée comme terroriste par le gouvernement birman, et encore inconnue il y a un an. La plupart des organisations musulmanes de Birmanie ont condamné ces violences. L’ARSA a annoncé hier, lundi 10 septembre, un cessez-le-feu temporaire, d’une durée d’un mois, « pour permettre aux acteurs humanitaires d’analyser et de répondre à la crise ». Le gouvernement a refusé au motif qu’il « ne négociait pas avec des terroristes », a déclaré Zaw Htay, son porte-parole.

« La situation ressemble à un parfait exemple de nettoyage ethnique » s’alarme le Haut-commissaire des Nations Unies

Au Bangladesh, l’aide humanitaire manque cruellement. Les Nations-Unies ont besoin de plus de soixante-dix millions de dollars pour gérer la crise humanitaire. Pour le moment, les réfugiés s’entassent aux abords du camp de fortune de Kutupalong, formé de piètres abris érigés par des réfugiés lors de précédentes vagues de migration.

Depuis le 25 août, entre un quart et un tiers des musulmans de l’Arakan ont été chassés. « La situation ressemble à un parfait exemple de nettoyage ethnique », a renchéri le Haut-commissaire des Nations Unies pour les droits de l’Homme. Le 8 septembre dernier, l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch renouvelait ses accusations de « nettoyage ethnique », publiant sur son site les témoignages de nombreux réfugiés blessés par balle alors qu’ils fuyaient simplement les opérations de l’armée ou qu’ils se cachaient dans les forêts avoisinant leurs villages.

Ces violences rappellent immanquablement celles perpétrées d’octobre 2016 à janvier 2017, lorsque l’armée birmane avait mené une campagne de représailles contre les Rohingyas après l’attaque de trois postes de police par des insurgés musulmans. Près de 70 000 Rohingyas avaient fui. Les Nations-Unies avaient évoqué la possibilité de crimes contre l’humanité.

Aung San Suu Kyi dénonce un « iceberg de désinformation »

La suspicion de nettoyage ethnique est renforcée par les déclarations du conseiller à la sécurité nationale du gouvernement birman, qui a évoqué le possible rapatriement des réfugiés en ces termes dans le magazine Frontier : « S’ils [les réfugiés rohingyas] ont des preuves [de leurs origines], nous pourrons les accepter comme lors des années précédentes. S’ils n’en ont pas, alors ce ne sera pas possible. » Le conseiller n’a pas précisé les preuves que les réfugiés devraient produire pour prétendre à un retour en Birmanie. La grande majorité des Rohingyas sont apatrides et le gouvernement birman leur a retiré leurs papiers d’identité provisoires quelques mois avant les élections de novembre 2015. Il leur a ainsi ôté toute possibilité de prouver leur origine, rendant leur retour en Birmanie plus qu’hypothétique.

La lauréate du Prix Nobel de la Paix Aung San Suu Kyi, qui dirige de fait le gouvernement birman, ne s’est pas émue du sort de ceux qui souffrent dans l’Arakan. Elle a déclaré que son équipe faisait de « son mieux » pour assurer une protection à tous les citoyens en accord avec la loi et dénoncé un « iceberg de désinformation ». Les pays d’Asie du Sud-Est semblent d’ailleurs ne plus faire confiance à la dirigeante birmane : la Malaisie a indiqué qu’elle ne fermerait pas sa frontière aux Rohingyas qui fuiraient par la mer et le Bangladesh a choisi de demander l’aide des pays de l’Organisation de coopération islamique pour faire pression sur la Birmanie afin de résoudre la crise. Deux lauréats du prix Nobel de la Paix, Malala Yousafzai et Desmond Tutu, ainsi que l’actuel dalaï lama ont appelé Aung San Suu Kyi à réagir.

Face à cette situation tragique et tendue, l’Eglise de Birmanie promeut l’apaisement. En juin dernier, l’archevêque de Rangoun, le cardinal Charles Bo, avait réclamé une enquête indépendante sur les allégations de « prétendus nettoyage ethnique, crimes de guerre et crimes contre l’humanité » dans l’Etat de l’Arakan, mais également dans les régions shan et kachin, également en proie à des insurrections. Le cardinal s’est souvent fait le porte-parole des souffrances endurées par la minorité rohingya, n’hésitant pas à employer le mot ‘Rohingya’ dont l’utilisation est décriée. La plupart des Birmans considèrent les musulmans de l’Arakan comme des immigrés illégaux venus du Bangladesh voisin. Ils les nomment « Bengalis » et refusent de leur reconnaître une quelconque appartenance ethnique. Aung San Suu Kyi, elle aussi, évite ce terme afin de ne pas créer davantage de tensions, dit-elle. Le pape François, de son côté, a utilisé à maintes reprises le mot tabou dans ses prières. Dimanche 27 août, le Saint-Père a ainsi encore déclaré qu’Il suivait « les tristes nouvelles des persécutions religieuses de nos frères et sœurs rohingyas », réclamant qu’ils puissent bénéficier de « tous les droits ». Le pape François prévoit de se rendre en Birmanie fin novembre.

(eda/rf)