Eglises d'Asie

Des fonctionnaires chinois dans des familles ouïghoures pour mieux les contrôler

Publié le 14/06/2017




Le contrôle de la communauté musulmane ouïghoure se fait de plus en plus envahissant au Xinjiang, la région autonome de l’Ouest chinois. Dans certaines localités, des responsables locaux emménagent avec des familles pendant la durée du ramadan et les empêchent de pratiquer le jeûne, rapporte …

Radio Free Asia (RFA). Dans le même temps, des milliers de défilés à la gloire du Parti communiste ont été organisés le 29 mai à travers la région, habitée à 45 % par la minorité ouïghoure, musulmane et turcophone.

Ces nouvelles mesures interviennent dans un contexte de fuite en avant de la politique gouvernementale visant à contrôler au plus près les religions dans cette province en proie à des violences récurrentes impliquant des Ouïghours. Sous prétexte de lutte contre l’extrémisme religieux, des pratiques comme le port de la barbe pour les hommes, du voile pour les femmes, ou la pratique du ramadan, sont combattues. Depuis fin 2016, il est aussi officiellement interdit aux parents de transmettre leur foi à leurs enfants.

« Ensemble pour cinq choses »

Ailleurs en Chine pourtant, une autre minorité musulmane, les Hui, peut pratiquer beaucoup plus librement sa religion. Mais au Xinjiang, le jeûne du ramadan est de plus en plus sévèrement encadré, voire combattu de diverses manières. Les fonctionnaires et les étudiants ouïghours en sont empêchés. Les restaurants tenus par des musulmans sont forcées de continuer à ouvrir leurs portes pendant le mois sacré. Pour les autorités locales, enhardies par un chef de la région présenté comme un « dur », tous les moyens soient bons pour faire reculer la pratique religieuse associée au terrorisme.

Dans ce contexte, le gouvernement de Hotan, une préfecture au sud du Xinjiang, majoritairement ouïghoure, et considérée comme plus radicale, a lancé une campagne nommée « Ensemble pour cinq choses », la veille du ramadan, qui a lieu cette année du 26 mai au 24 juin. D’après un policier local interrogé par RFA, site d’information financé par le Congrès américain, elle consiste à accompagner les Ouïghours dans cinq activités, comme travailler ensemble, dîner ensemble, et habiter ensemble… (il ne précise pas les deux activités restantes). « Le but, c’est d’être proches des gens. Pendant cette période, les fonctionnaires apprennent à mieux connaître la vie des gens, les aident dans leurs activités quotidiennes, à la ferme par exemple, et diffusent en même temps les lois et les règlements, l’éthique du parti et du gouvernement et les politiques religieuses », détaille cet officier de police qui s’exprime sous couvert d’anonymat.

En plus de fouilles régulières de logements de Ouïghours, des patrouilles spéciales ont été mises en place pour le ramadan. « Des inspections sont menées pendant l’« iftar » (le repas pris à la tombée du jour pendant le ramadan). Les maisons où la lumière est allumée sont inspectées : c’est comme ça qu’on fait nos patrouilles et nos inspections », explique le policier. Des fonctionnaires locaux rendent visite à certaines familles tous les jours, raconte aussi ce policier.

Des cadres « invités » dans les familles

Mais du point de vue des familles « hôtes », la perception est différente. « Ils habitent chez des paysans pour découvrir leur positions idéologiques », rapporte un paysan du comté de Hotan, préférant lui aussi garder l’anonymat. « On a des cadres de différentes administrations, y compris certains qui viennent d’Urumuqi (capitale de la région) et d’ailleurs. Ils restent jusqu’à quinze jours, et n’arrêtent pas de nous dire de ne pas jeûner. Pour nous, c’est impossible de prier et de jeûner. »

Un autre fonctionnaire interrogé par RFA, en poste dans un autre village du territoire de Hotan, confirme au journaliste que la même politique y est appliquée. « Des responsables habitent chez les paysans en ce moment. Un cadre dans chaque maison, déclare-t-il. D’abord, ils s’assurent qu’aucune pratique religieuse non autorisée officiellement n’a lieu à la maison. Ensuite, ils observent la famille. Je n’en sais pas plus. »

Par ailleurs, les fonctionnaires ouïghours ont dû signer une lettre d’engagement promettant de ne pas pratiquer le jeûne, pour donner l’exemple. Ce n’est pas nouveau, d’après RFA, mais cette année, le texte qui leur a été imposé les poussait aussi à s’assurer que leurs proches n’observent pas non plus les prescriptions religieuses liées au ramadan. Plusieurs témoignages recueillis par RFA montrent que beaucoup de fonctionnaires prennent au sérieux cette promesse. Un étudiant ouïghour installé aux Etats-Unis rapporte par exemple que son père fonctionnaire lui a demandé de ne pas jeûner, et a même tenter de dissuader ses propres parents, pourtant très pieux, de jeûner pendant le mois sacré.

Autres mesures symboliques adoptées récemment au Xinjiang, l’interdiction, depuis début 2017, de tous les corans édités avant 2012, qui contiendraient selon les autorités des propos extrémistes. Les livres religieux publiés en Chine doivent pourtant être systématiquement revus par les autorités religieuses, mais certains passages ont été considérés comme problématiques. Les musulmans ont donc été forcés de livrer leurs corans aux autorités locales, y compris certaines éditions transmises par leurs aïeux, rapporte encore RFA. Cette campagne de rappel a été initié le 15 janvier dernier.

Enfin, une liste de prénoms, considérés comme « extrémistes », ont aussi été interdits. « Islam », « Coran », « Mecque », « Djihad », « Imam », « Hadj », « Médine », mais aussi des noms plus courants comme « Saddam » ou « Arafat » sont désormais interdits. La mesure, adoptée en avril, a été étendue début juin à tous les jeunes de moins de 16 ans, obligeant certains à changer de nom.

(eda/sl)