Eglises d'Asie – Chine
En amont du 19ème congrès du Parti communiste, les internements en camps de « rééducation » se multiplient au Xinjiang
Publié le 17/10/2017
Depuis cette année au moins, de plus en plus de Ouïghours, mais aussi des membres des minorités kazakhe et kirghize, également musulmans, disparaissent sur des suspicions. Les autorités locales ayant un usage très libre du terme d’« extrémisme », le port de la barbe, la possession de contenu religieux sur un smartphone ou le fait d’envoyer ses enfants à l’école coranique, peuvent suffire à se voir envoyer dans ces camps.
Des lieux fermés, pour recevoir « une éducation politique et religieuse »
L’organisation non gouvernementale Human Rights Watch (HRW) a dénoncé leur existence le 10 septembre dernier. Dans un communiqué, l’ONG demandait officiellement la libération des personnes détenues dans ces camps de façon illégale. Elle fait remonter les internements massifs à avril 2017. « Les autorités chinoises détiennent ces personnes dans ces centres d’éducation politique non pas parce qu’ils ont commis des crimes, mais parce qu’ils sont considérés comme non fiables, politiquement. Le gouvernement n’a pas fourni de raison crédible pour détenir ces personnes et devrait les libérer immédiatement », a déclaré Sophie Richardson, directrice pour la Chine de HRW.
Dans une série d’enquêtes, Radio Free Asia (RFA), un média spécialisé sur les questions des droits humains qui dispose d’un service en langue ouïghoure, apporte des précisions sur ces camps. Il s’agit de lieux fermés, où des personnes sont « détenues nuit et jour, et reçoivent constamment une éducation politique et religieuse », ont indiqué des policiers au média, financé par le Congrès américain. « Personne ne sait combien de temps l’éducation fermée dure. Les détenus sont d’abord interrogés par la police, puis ils sont envoyés dans différents camps d’éducation. Quelques-uns sont libérés après deux ou trois mois, mais la plupart sont détenus indéfiniment. »
Plusieurs catégories de personnes sont visées par ces internements préventifs. Les anciens criminels, condamnés jusqu’à une vingtaine d’années plus tôt, y sont envoyés. Un enseignant dans un de ces camps cite notamment des anciens prisonniers ayant participé à des soulèvements contre les autorités en 1997. Autre catégorie, de loin la plus large : les religieux, au sens très large. « La raison la plus courante pour être interné est d’avoir participé ou entendu des enseignements religieux illégaux », indique cet enseignant, qui cite encore « des hommes qui se sont laissé pousser la barbe il y a dix ans » ou « des parents qui ont envoyé leurs enfants dans des écoles religieuses souterraines ». Une information confirmée par les agents de police interrogés par RFA : « La plupart des anciennes personnalités religieuses, y compris des intellectuels, ou simplement des laïcs ayant des connaissances en religion, sont détenus et envoyés dans ces camps. »
Aucun chiffre n’est disponible, mais les différents rapports font état de nombreux camps dans la région autonome du Xinjiang, dont les capacités d’accueil varient entre une centaine et 3000 places. D’après RFA, la police locale est poussée par les autorités de la province à envoyer un maximum de personnes dans ces camps. Dans un des camps, les « étudiants » sont âgés de 19 à 66 ans, indique l’enseignant interrogé par RFA. Mais le rapport de HRW fait état de familles entières détenues. D’après des proches, interrogés par l’organisation de défense de droits humains, une famille a été arrêtée pour avoir tenté de voyager à la Mecque pour accomplir le pèlerinage, jusqu’ici toléré, quoique très encadré. L’un des parents, et l’un des enfants ont été libérés au bout de trois mois, alors que l’autre parent et un autre enfant sont toujours détenus, d’après le rapport.
Une politique similaire à celle mise en place au Tibet
Après avoir été nommés « Ecole de formation anti-extrémisme », puis « Ecole de formation socialiste », ces camps sont désormais appelés de façon édulcorée « Ecoles d’éducation professionnelle », rapporte aussi RFA. Dans le cas d’un site en particulier, les enseignants interrogés par RFA affirment avoir du mal à se souvenir du nom actuel du centre (« Centre pour le développement des capacités professionnelles »), parce qu’il a changé quatre fois en huit mois d’existence. « Clairement, la raison pour ces changements de nom est d’éviter de donner une mauvaise impression », estime l’enseignant.
La période n’y est pas pour rien : le 18 octobre prochain, le XIXe Congrès du Parti Communiste sera ouvert à Pékin, une échéance cruciale qui doit reconduire à leurs postes pour cinq ans le président Xi Jinping et le Premier ministre Li Keqiang, mais doit aussi renouveler les cinq autres postes du Comité permanent du bureau politique du Parti. Plus le congrès approche et plus le pays se tend de toutes parts : chaque responsable, chaque administration faisant preuve d’un zèle extraordinaire pour éviter tout accroc avant le congrès, qui pourrait lui coûter une promotion. Or parmi ceux qui peuvent espérer un des sept postes du Comité permanent, se trouve Chen Quangbo, secrétaire du Parti communiste de la Région autonome ouïghoure du Xinjiang. En poste depuis août 2016, il mène d’une main de fer une politique similaire à celle qu’il avait mise en place au Tibet, son précédent poste de 2012 à 2016 qui tient en deux axes : contrôle militaire et « rééducation » idéologique.
Arrivé à son nouveau poste, Chen Quangbo n’a pas tardé à mettre en place ses méthodes. D’abord en renforçant les effectifs de police et de l’armée. Entre janvier et août cette année, pas moins de 53 000 offres d’emplois pour divers postes de sécurité au Xinjiang ont été publiées. Des mesures qui se traduisent sur le terrain par la présence permanente de forces de sécurité : militaires qui patrouillent en camions ou blindés, police, ou gardes de sécurité faisant passer des contrôles avec des détecteurs de métaux, par exemple à l’entrée des hôtels ou à chaque arrêt de bus dans certaines villes.
L’aspect idéologique semble avoir été développé de manière plus aléatoire, avec des mesures allant parfois jusqu’à l’absurde dans certaines localités. Ainsi, la décision d’envoyer des fonctionnaires locaux à demeure dans des familles ouïgoures pendant le ramadan, avec pour mission officiellement de vivre et travailler ensemble pour « mieux se connaître », mais de fait plutôt d’empêcher les familles de jeûner. Plus tôt cette année, une règlementation considérait comme potentiellement « extrémiste » le fait de « rejeter ou de refuser la radio, la télévision et autres services publics » chinois, qui diffusent pourtant seulement en mandarin, langue que beaucoup de Ouïghours ignorent. Avec ce programme de détentions arbitraire, tous ces comportements jugés suspects peuvent désormais conduire à un internement.
(eda/sl)