Eglises d'Asie – Birmanie
POUR APPROFONDIR – Histoire de l’Eglise catholique en Birmanie
Publié le 27/10/2017
Le P. Joseph Ruellen, membre de la société des Missions Etrangères de Paris, 91 ans, est un ancien missionnaire de Birmanie. Expulsé du pays en 1966, il a ensuite oeuvré à Madagascar. De retour en France, il se consacre désormais à la recherche historique sur l’Eglise en Birmanie. Il est l’auteur du texte ci-dessous.
Les premiers catholiques de Birmanie furent des Portugais : dès 1510, ceux-ci entrèrent en contact avec la Birmanie, souvent mêlés comme mercenaires à la solde des divers royaumes et principautés et peu à peu obtinrent des comptoirs où s’installer, particulièrement à Syriam. La brutale ambition du chef de cette colonie de 5 000 âmes, Felipe de Britto, entraina leur déportation dans le Nord du pays, en 1613, par le roi d’Ava, nom donné au royaume birman du nord. Ce dernier les utilisa comme une réserve de gardes royaux, fusiliers et canonniers, tout en leur laissant la liberté de pratiquer leur religion.
A partir de 1722 des Barnabites italiens obtinrent le droit de s’occuper de ces communautés chrétiennes, mais les guerres continuelles auxquelles devaient participer les chrétiens affaiblirent considérablement leur nombre. Un séminaire ouvrit en 1772, un collège fut fondé à Rangoun et forma les trois premiers prêtres. Deux d’entre eux, Joseph Maung Gyi et Andrew Koo, furent ordonnés dès 1793 à Amarapura. A l’endroit même où cent ans auparavant les PP. Jean Jorret et Jean Genoud, des Missions Etrangères de Paris, avaient été condamnés à être jetés au fleuve dans des sacs en raison de leur apostolat.
Le roi Mindon, protecteur des missionnaires
Les guerres de cette époque contre le Siam, la Chine, l’Arakan et l’Assam n’empêchèrent pas le petit troupeau de chrétiens de subsister, tant bien que mal. Lorsqu’à partir de 1816 les troupes birmanes se trouvèrent face aux Anglais de la Compagnie des Indes, en Assam et en Arakan, à chaque attaque anglaise les villages chrétiens du nord eurent à subir des avanies de la part de leurs voisins bouddhistes. Cependant, les rois les gardaient à leur service et les protégeaient. Plus tard, après 1830, d’autres prêtres italiens, surtout des Oblats, vinrent prendre charge des diverses chrétientés. Mais lors du second assaut anglais de 1852, tous les prêtres furent capturés et torturés, et ce fut Mindon, le nouveau roi d’Ava, qui les fit libérer lui-même. Ces guerres anglo-birmanes avaient provoqué un certain déclin des missions.
En 1856, les missionnaires italiens firent appel aux Missions Etrangères de Paris. Mgr Paul Bigandet, missionnaire dans la province de Tenasserim depuis 1838, obtint la faveur du Roi Mindon par son entregent et sa connaissance du bouddhisme. Cela permit aux missionnaires d’aller prêcher l’Evangile chez les minorités où le bouddhisme n’avait pas pris racine : c’est ainsi que furent fondées les premières communautés chrétiennes chez les Karens dans le sud vers Pathein et Mergui, chez les Kachins au nord-est et chez les Chins à l’ouest. Dès 1866, les Missionnaires de Milan prirent charge de Taungu et des provinces de l’ouest, ouvrant de nouvelles chrétientés chez les Karens. Des jeunes furent envoyés se former au séminaire de Penang et un clergé local se développa. En un siècle, 334 étudiants furent envoyés à Penang et 153 devinrent prêtres. Au décès de Mgr Bigandet en 1893, l’Eglise était solidement implantée en Birmanie, et toutes les voix s’unirent pour faire son éloge. Anglais, Birmans, Indiens et autres rappelèrent surtout son action d’éducateur.
En 1934, les missionnaires de St Colomban s’occupèrent des territoires kachins à la frontière de Chine tandis que des missionnaires américains de La Salette s’installaient à l’est à Akyab, puis à Prome au centre. A la veille de l’attaque japonaise en 1942, l’Eglise de Birmanie était en plein essor sur tous les points, avec de nombreuses œuvres sociales, notamment dans la lutte contre la lèpre. Le leader indépendantiste Aung San avait dès 1941 levé une armée birmane pour lutter contre l’occupant anglais, mais certains groupes indisciplinés attaquèrent des villages chrétiens, essentiellement dans le delta ; des massacres furent à déplorer.
Les catholiques, un exemple d’union dans une nation déchirée
Pendant la guerre, Aung San avait fait l’expérience des divisions de son pays, particulièrement du côté des Karens et des Shans. Après la défaite japonaise en août 1945, il songeait à organiser une rencontre interethnique à Panglong pour créer une véritable Union Birmane. Six mois avant l’indépendance, obtenue le 4 janvier 1948, il fut assassiné par des opposants politiques à Rangoun. Les troubles qui suivirent dans tout le pays furent l’occasion pour toutes sortes de bandes armées de régler des comptes avec leurs voisins. Si au début ce furent surtout les baptistes karens qui furent visés, très vite tous ceux qui n’étaient pas bouddhistes se virent assimilés à des ennemis : des débordements eurent lieu, surtout dans le delta, des villages attaqués et plusieurs prêtres européens et locaux furent tués. Les évêques firent de leur mieux pour ne pas en faire grief au gouvernement, qui apprécia d’autant plus la fidélité des catholiques que les baptistes, nombreux chez les Karens et les Kachins, avaient au contraire réagi violemment et appuyé des mouvements rebelles. Mais peu à peu, le calme revint sous un gouvernement civil et les communautés chrétiennes se développèrent. Les divisions politiques n’en demeurèrent pas moins profondes et l’action du gouvernement affaiblie.
En 1954, une délégation de prêtres de Birmanie se rendit à Rome, et la hiérarchie fut fondée : deux d’entre eux furent en effet nommés évêques, Mgr Joseph U Win, birman, à Mandalay, et Mgr George U Kyaw, karen, à Pathein. Ce fut l’occasion pour le premier ministre U Nu de montrer aux autorités catholiques combien il appréciait l’action de l’Eglise catholique dans le pays. Mais il incita en parallèle l’apostolat bouddhiste en envoyant des bonzes chez les minorités, même aux Chin Hills, à la frontière de l’Inde au nord-ouest, où la population en majorité chrétienne n’en demandait pas : les prêtres catholiques birmans y étaient très bien accueillis, mais pas les officiels birmans.
En 1956, on célébra à Rangoun le centième anniversaire de l’arrivée de Mgr Bigandet et la fondation d’un grand séminaire par un Congrès eucharistique où l’Eglise catholique réunit 50.000 fidèles, venus de tout le pays. A cette occasion, le délégué apostolique et le cardinal Gracias, légat du pape, furent reçus par le Premier ministre U Nu qui fit l’éloge de l’union dont les catholiques donnaient un admirable exemple à toute la nation. Les plus nombreux étaient les Karens, mais les costumes distinguaient bien les Kachins, les Shans, les Labus, et autres ethnies où les Pères italiens avaient répandu l’Evangile. Les 40 délégués venus des collines Chin s’ébaudirent de participer à cette fête ; vraiment l’Eglise catholique était le rassemblement de tous les peuples.
La rupture de 1966 : « Nous sommes devenus pauvres en l’espace d’une nuit »
Après une démonstration de force en 1962, l’armée prit le pouvoir en 1966 et exigea le départ de tous les missionnaires arrivés depuis l’indépendance. Toutes les institutions éducatives et caritatives de l’Eglise furent nationalisées. En témoignent notamment les locaux de la « Basic Education High School N° 6 », lycée d’Etat connu auparavant sous le nom de « Saint Paul’s High School », adjacents à la cathédrale Sainte-Marie, à Rangoun.
« Nous sommes devenus pauvres en l’espace d’une nuit. Et pourtant l’évangélisation et le travail de la charité ont continué. De huit diocèses, nous sommes passés à seize ; de 300 000, le nombre des fidèles est passé à 750 000. Les prêtres étaient 150, ils sont aujourd’hui 750 ; les religieuses étaient 400, elles sont désormais 1 600. Quant aux catéchistes, ils se comptent par centaines. Tous les diocèses ont établi une Caritas et mènent des activités tant pastorales que caritatives », expliquait l’archevêque de Rangoun, Mgr Charles Bo, en 2011.
Mais les catholiques continuèrent à vivre et à se développer, en nombre et en autonomie, sans se mêler de politique. Tel n’a pas toujours été le cas chez les baptistes, karens et kachins, et même aujourd’hui encore ces rébellions ne se sont pas totalement apaisées.
Les évêques de Birmanie ont toujours prêché la paix, sans se présenter en opposants à la junte militaire, et l’Eglise donna l’exemple de l’union des diverses ethnies. Ainsi, des prêtres birmans qui avaient depuis le début participé au développement missionnaire chez les Chins et Kachins remplacèrent dans leurs fonctions les européens expulsés et peu à peu des évêques furent nommés dans tous les diocèses sans distinction d’origine. C’est ainsi par exemple qu’aujourd’hui le cardinal archevêque de Rangoun, Mgr Charles Bo, est originaire de Monhla, un des plus vieux villages chrétiens au nord de Mandalay, après avoir été évêque à Lashio, à la frontière de la Chine. L’archevêque de Mandalay, Mgr Nicholas Mang Thang, est un Chin de Mindat qui a d’abord dirigé le diocèse de Haka-Kalemyo. Ce transfert des responsabilités ecclésiales d’une région à l’autre du pays est le signe que dans l’Eglise catholique l’union nationale est une réalité.
Le discret soutien des évêques birmans à Aung San Su Kyi
En 1988, le peuple se souleva contre une dictature trop pesante. Les diverses populations se trouvèrent unies dans la contestation et ce fut avec soulagement que toutes accueillirent Aung Sang Suu Kyi, devenue depuis 1988 la personnification d’une nation birmane idéalisée. En la mettant en prison ou en résidence surveillée, la junte militaire ne fit qu’augmenter l’enthousiasme populaire en sa faveur et dut finalement céder la place à un gouvernement où elle a, sinon le pouvoir, du moins une prépondérance morale de conseillère nationale. Lors de ces évènements, l’Eglise catholique laissa ses fidèles libres face à leurs choix politiques, faisant preuve d’une prudente discrétion.
En 2011, l’archevêque de Rangoun, Mgr Charles Bo organisa un jubilé pour le centième anniversaire de la cathédrale : 400 prêtres, 21 évêques et trois archevêques, entourés d’une foule immense remplirent la cathédrale rénovée. Ce fut aussi l’occasion d’inviter des représentants du clergé bouddhiste et surtout Aung San Su Kyi, championne de la liberté et de la démocratie. On lui fit une ovation, et ce fut une fois de plus la manifestation de l’union réalisée par des catholiques de toutes les ethnies composant la nation.
Malgré les réticences des militaires, Aung San Suu Kyi obtint la reprise en 2016 des pourparlers de Panglong que son père avait prévus pour fonder l’Union nationale sur la concertation entre les groupes ethniques, et non sur la répression. Le résultat n’est pas encore évident, mais tous savent que c’est sa présence qui unifie le pays. Aujourd’hui certains se demandent si elle a assez d’autorité pour s’imposer à l’armée, qui s’érige en force de défense de la nation et du bouddhisme. Malgré les récents évènements en Arakan, il semble bien que les évêques birmans continuent à la soutenir, voyant en elle le seul contrepoids à l’arrogance de l’armée.
P. Joseph Ruellen (octobre 2017)