Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Former et réformer la vie religieuse féminine en Chine aujourd’hui (1/3)

Publié le 15/11/2017




Dans un récent numéro, la revue Religion et Christianisme en Chine Aujourd’hui rapportait que la Chine compterait 3170 religieuses dans 87 congrégations officielles du pays, ainsi que 1391 religieuses dans les 37 congrégations non-enregistrées. Mais derrière les chiffres, quelle est la réalité concrète des religieuses et de leurs congrégations en Chine ?

Dans un récent numéro, la revue Religion et Christianisme en Chine Aujourd’hui rapportait que la Chine compterait 3170 religieuses dans 87 congrégations officielles du pays, ainsi que 1391 religieuses dans les 37 congrégations non-enregistrées (de l’Eglise dite souterraine). Au même moment, on estime que le nombre des catholiques chinois oscille entre 8 et 10 millions. Même si ces chiffres sont à prendre avec une extrême prudence tant il est difficile de conduire des recensements précis en Chine, il donne un premier aperçu de la vie religieuse en Chine aujourd’hui.

Mais derrière les chiffres, quelle est la réalité concrète de ces religieuses et de leurs congrégations ? Pascale Sidi-Brette et Michel Chambon se proposent d’explorer plus avant la réalité diverse et mouvante de la vie religieuse féminine en Chine. Quelles sont les types de vie consacrée présents aujourd’hui ? Comment cela s’inscrit-il dans la vie de l’Eglise et dans la société chinoise actuelle ? Et quels en sont les défis majeurs ?

Dans un premier temps, nous présentons une forme très ancienne de vie consacrée : les vierges consacrées. Ce type de vie religieuse, historiquement à l’origine de bien des congrégations religieuses de la Chine d’aujourd’hui, subsiste encore en certains endroits. Néanmoins, sous l’influence des évolutions de la société et de l’Eglise, elle tend à disparaître et ce sont désormais les congrégations qui incarnent la forme la plus répandue de vie religieuse. Après avoir présenté la réalité et la diversité de ces congrégations religieuses féminines, nous terminerons par un rapide tour des défis qu’elles affrontent. Ces éléments feront l’objet de trois publications distinctes.

I. LES VIERGES CONSACREES D’HIER A AUJOURD’HUI

Historiquement, la vie consacrée en Chine catholique a commencé sous la forme des vierges consacrées. La première d’entre elles serait une jeune femme du nord Fujian qui aurait prononcé sa consécration religieuse en 1650. En écho à des pratiques espagnoles, de plus en plus de jeunes femmes chinoises firent le vœu de rester célibataires et de se mettre entièrement au service des communautés catholiques et de leurs pasteurs. Dans une Chine souvent rurale, ces jeunes femmes restaient vivre dans leur famille, ou dans leur village, s’occupant de l’entretien du lieu de culte, de la récitation des prières quotidiennes et de la visite des malades. Il ne s’agissait pas tant de se mettre à part de la société que de se mettre au service de sa communauté catholique.

La première forme de vie consacrée en Chine

Cette forme de vie consacrée existe toujours dans le sud du pays. A titre d’exemple, dans les quatre diocèses officiels du Fujian, il y a environ 90 vierges consacrées. Les femmes affiliées aux communautés non-enregistrées seraient, quant à elles, plusieurs centaines, mais leur mode de vie est similaire. Les vierges consacrées servent la vie des communautés catholiques locales, renonçant à se marier et à fonder leur propre famille. Elles n’ont donc pas de communauté religieuse cultivant un entre-soi à part et ne prononcent pas de vœux à strictement parler. Néanmoins elles sont communément désignées comme « sœur » ou « religieuses ».

C’est le cas de sœur Thérèse qui est originaire de Fuzhou. En 1988 alors qu’elle est encore jeune, elle passe deux ans à servir en paroisse en guise de postulat. Puis en 1990, le diocèse de Fuzhou organisa pour elle et onze autres jeunes filles de la province deux ans et demi de formation commune. Ces jeunes filles vécurent ensemble en communauté, sous la supervision d’une vierge consacrée âgée qui avait connu l’Eglise d’avant l’époque communiste. Le diocèse de Fuzhou fit venir divers professeurs pour leur donner une formation de base en Bible, catéchisme, histoire de l’Eglise, musique, mathématiques, anglais, politique, et soins médicaux. Selon sœur Thérèse, il y eut six promotions similaires entre 1990 et le milieu des années 2000.

Un engagement dans tous les aspects de la vie paroissiale

Après ces premières années de formation, puis quelques années de service à Fuzhou, sœur Thérèse accepta de rejoindre en 2000 un autre diocèse de la province, territoire montagnard et rural, pauvre en religieuses et prêtres. Aujourd’hui, ce diocèse compte 9 prêtres et 3 sœurs. Il y a peu, il y avait encore 8 sœurs. Mais trois d’entre elles se sont récemment mariées, une est partie en formation afin d’affermir son choix de vie, une autre est retournée dans son diocèse. Sœur Thérèse ne cache pas sa perplexité devant une telle fragilité de l’Eglise locale. En théorie, les prêtres et les sœurs travaillent par binôme sur un même territoire, et tous les cinq ans, les binômes alternent. Cela permet d’une part de se soutenir mutuellement tout en évitant que le prêtre et la sœur ne s’attachent trop l’un à l’autre. Sœur Thérèse travaille dans la paroisse de l’administrateur diocésain, un homme souvent accaparé par des réunions avec des officiels ou des responsables catholiques. C’est donc elle qui assure une présence plus continue dans la paroisse qui ne compte qu’une seule église ainsi que quelques lieux de rassemblement pour un territoire qui s’étend sur plus de 150 kilomètres. Sur les 400 000 habitants, seuls quelques milliers sont catholiques. Ainsi, sœur Thérèse aide dans tous les aspects de la vie paroissiale : elle vieille à ce que l’Eglise reste ouverte, entretenue et accueillante. C’est elle qui supervise les personnes engagées dans la vie matérielle de la paroisse (ménage, cuisine). Lorsque des travaux plus conséquents sont entrepris, c’est aussi elle qui assure le suivi concret, choisissant les matériaux et surveillant les travaux. Chaque matin où le prêtre est là, elle assure la préparation matérielle de la messe. Elle accompagne aussi une partie de la préparation aux baptêmes et mariages. Durant les vacances d’été, elle est responsable de l’organisation du camp des jeunes et guide énergiquement le séminariste du diocèse qui passe ses congés estivaux dans la paroisse. Lors d’un décès dans une famille, elle visite la famille et s’assure que le défunt soit veillé et que les prières soient dites. De manière générale, il n’y a pas de réunion ou de discussion qui ne lui échappent et si le curé – administrateur diocésain- est réputé pour son tempérament doux et conciliant, sœur Thérèse a une personnalité plus vive et tranchée.

Dans ce type de vie consacrée, la religieuse est très proche des catholiques qu’elle sert. Sa communauté d’appartenance est la communauté des croyants que la religieuse sert au quotidien. Le fait qu’elle vive dans l’église, seule, ou parfois avec le prêtre, lui assure un rôle de premier plan. De plus, la relation avec le prêtre est basée sur la complémentarité dans une certaine égalité. Les deux vivent des dons que les catholiques donnent à la paroisse, tout en partageant une portion avec le reste du diocèse. Dans ce diocèse, tous les prêtres et les religieuses bénéficient par exemple de la couverture sociale. Par ailleurs, les religieuses se retrouvent toutes une fois par trimestre. Parfois l’une ou l’autre va en formation quelque part en Chine ou à Hong Kong, ou retrouve d’autres sœurs d’une province pour une retraite spirituelle. D’après sœur Thérèse, cela est suffisant. Certes les prêtres et sœurs du diocèse ont bien pensé construire une sorte de couvent pour les religieuses. Ce lieu pourrait faire office de lieu de ressourcement, surtout lorsque celles-ci traversent un moment difficile. Mais du fait de leur faible nombre et de leur dispersion, ce lieu n’a toujours pas vu le jour. De plus, ce diocèse a très peu de revenus et aux yeux de tous, il est plus important de faire construire (ou réparer) les églises au lieu de donner aux sœurs un lieu distinct qui les séparerait de leur communauté paroissiale.

Un modèle appelé à disparaître ?

Sœur Thérèse connait l’existence de congrégations religieuses en Chine, et sait combien celles-ci sont devenues la norme – nous y reviendrons. Mais lorsqu’elle participe à des formations avec d’autres religieuses venant d’autres provinces, mais surtout des religieuses qui vivent en communauté, elle constate combien ces dernières passent du temps à se plaindre du poids et des tracasseries de la vie communautaire. Pour sœur Thérèse, il est peut-être bon que sa vie religieuse à elle soit sans communauté, sans habits reconnaissables et vœux distinctifs. Sœur Thérèse se rappelle combien les sœurs anciennes étaient déjà méfiantes vis-à-vis de la création de congrégation tant encouragée par les évêques. Pour ces femmes, former une communauté, c’était déjà entrer dans des enjeux de pouvoir. Ainsi, sœur Thérèse n’ignore pas le fait qu’elle n’est pas une véritable sœur aux yeux des critères désormais officiels de l’Eglise. Mais elle continue à croire que le modèle des sœurs âgées qu’elle a suivi depuis sa jeunesse a du bon pour aujourd’hui. À la vue des tensions et conflits qui traversent le catholicisme chinois, sœur Thérèse aime rappeler : « les sœurs ne sont pas là pour diriger, mais pour servir ».

Mais depuis 7 ans déjà, aucune jeune fille du Fujian n’a rejoint ce type de vie religieuse. Si la très grande majorité des vierges consacrées du Fujian ont entre une quarantaine et une cinquantaine d’années, elles savent que leur type de service à l’Eglise est appelée à disparaitre. Sœur Thérèse insiste pour dire que leur mode de vie, pour les vierges consacrées venant de Fuzhou, est différent de celles du nord de la province : à Fuzhou, ces femmes furent formées et reçurent un rôle de premier plan, ainsi qu’une reconnaissance officielle des communautés catholiques. Dans le nord du Fujian, les vierges consacrées demeurent plus des femmes engagées dans le célibat, vivant dans leur famille, travaillant modestement en dehors pour subvenir à leurs besoins, mais restant disponibles pour servir à l’Eglise dès que le besoin se fait sentir (cuisiner lors d’une grosse activité, etc.). A Fuzhou, le modèle de vierges consacrées a donc évolué. Mais il semble correspondre à un monde plutôt rural où les communautés catholiques restent à taille humaine et stable. Or, dans une Chine en grande mutation, où le niveau d’éducation évolue rapidement et où le coût de la vie grimpe sans cesse, vivre ainsi n’attire plus. Le modèle des vierges consacrées ne parle plus guère aux jeunes générations ni aux communautés catholiques embrassant la modernité chinoise. De fait, la majorité des clergés diocésains n’encourage plus vraiment ce type de consécration religieuse et en dehors de la province du Fujian, il a quasiment disparu.

II. NAISSANCE ET RENAISSANCE DES CONGREGATIONS DIOCESAINES – à paraître
III. LES DEFIS DES RELIGIEUSES EN CHINE – à paraître