Eglises d'Asie

Malgré ses promesses de restaurer la laïcité, le gouvernement maintient officiellement l’islam comme religion d’Etat

Publié le 25/06/2011




Mardi 21 juin, lors de sa réunion hebdomadaire, le Conseil des ministres a approuvé les propositions d’amendement de la Constitution, dont le maintien de l’islam en tant que religion d’Etat. Un revirement qui surprend et inquiète les minorités religieuses du Bangladesh.A l’issue d’une réunion particulièrement houleuse où le Premier ministre Sheikh Hasina Wajed … 

… et une grande partie des membres de son cabinet semblent avoir eu des échanges très vifs, le gouvernement a déclaré officiellement que, contrairement à ce qui avait été annoncé ces derniers mois, le Bangladesh ne restaurerait pas la laïcité dans sa Constitution.

Les minorités religieuses, chrétiennes, hindoues et bouddhistes (1), ne cachent pas leur déception et leur inquiétude. « Les minorités religieuses, les intellectuels, les militants de la société civile réclament aujourd’hui le retour à la Constitution de 1972 qui s’appuyait sur des fondements laïcs. Le gouvernement, qui dans un premier temps, s’était déclaré disposé à le faire, a aujourd’hui peur des réactions des islamiques radicaux et a fait un pas en arrière », analyse un catholique de Dacca auprès de l’agence Fides.

Le projet de la Commission parlementaire spéciale, nommée par Sheikh Hasina, a été présenté au Conseil des ministres par Shafique Ahmed, ministre de la Justice et des Affaires parlementaires. Parmi les nombreuses recommandations faites par le comité (et rendues publiques le lundi 20 juin), les plus importantes concernaient les fondements religieux de la Constitution et préconisaient que l’islam demeure religion d’Etat, que soit maintenu le Bismillah (2) dans le préambule de la Constitution, que l’existence de partis religieux soit conservée, tout en concédant que la laïcité « restait un point important de la Constitution, assurant des droits égaux aux différentes religions ».

Cette contradiction d’une Constitution proclamant « l’islam religion d’Etat au sein d’une République assurant des droits égaux aux autres religions », soulignée à de nombreuses reprises par les militants des droits de l’homme comme par les représentants des minorités religieuses ou encore par certains mouvements musulmans eux-mêmes, était pourtant à l’origine de la demande d’amendement confiée à la commission spéciale.

Déjà en 2010, la Cour suprême avait confirmé une décision déclarant nul et non avenu le 5e amendement qui avait supprimé la laïcité en tant que principe constitutionnel en 1975. Tout récemment, le 10 juin dernier, c’était au tour de la Haute Cour de déclarer qu’il n’y avait aucun empêchement à considérer comme invalide le 8e amendement à la Constitution ayant institué l’islam comme religion d’Etat en 1988 (3). Les responsables catholiques avaient accueilli avec espoir cette déclaration de la Haute Cour qui semblait augurer d’un dénouement proche. « Je me félicite de cette décision », avait déclaré Mgr Bejoy D’Cruze, évêque de Khulna et président de la Commission épiscopale pour l’oecuménisme et le dialogue interreligieux, ajoutant qu’il était temps que le Bangladesh « revienne enfin à la Constitution originale de 1972 ».

Le projet du comité spécial et surtout son approbation par le Conseil des ministres ont réduit à néant les espoirs des minorités religieuses, en particulier des communautés chrétiennes. Ces dernières restent convaincues que le Premier ministre et présidente de la Ligue Awami, Sheikh Hasina, a cédé à la pression des partis islamistes qui ces derniers mois ont multiplié les manifestations et démonstrations de force à chaque tentative du gouvernement pour sanctionner les pratiques issues de la charia, ainsi que les fatwas et condamnations à mort par des tribunaux religieux de village (4).

Selon ceux qui y ont assisté, la réunion du Conseil des ministres au cours de laquelle le projet d’amendement a été avalisé était particulièrement tendue, le débat tournant parfois au règlement de comptes. Au ministre de la Planification, AK Khandaker, qui faisait remarquer que le maintien d’une religion d’Etat s’opposait au principe de laïcité à la base de la Constitution de 1972, Sheikh Hasina a rétorqué que la réalité politique actuelle n’avait plus grand-chose à voir avec celle de 1972, ajoutant : « Pourquoi ne vous êtes-vous pas opposé à ce que l’islam soit religion d’Etat quand vous faisiez partie du cabinet d’Ershad ? », avant de s’adresser à l’ensemble des ministres : « Je sais tout ce que vous avez fait les uns et les autres. Vous n’êtes même pas allés voir le corps de Bangabandhu quand il a été assassiné en 1975 ! » (5).

Fille de Bangabandhu Sheikh Mujib Ur-Rahman, premier président du Bangladesh et artisan de la Constitution de 1972, Sheik Hasina a fait de la restauration de la laïcité son argument de campagne électorale en 2008. En février dernier encore, elle déclarait que « désormais il n’y avait plus aucun obstacle au retour des quatre principes –démocratie, nationalisme, laïcité et socialisme – proclamés dans le statut de l’Etat de 1972 » (6).