Eglises d'Asie

La nouvelle condamnation d’un responsable islamiste à la prison à vie n’empêche pas l’essor du radicalisme islamique

Publié le 19/05/2017




Alors que le radicalisme islamique ne cesse de gagner du terrain au Bangladesh, la Cour suprême a condamné, le 15 mai dernier, Delwar Hossain Sayedee, haut dirigeant du parti islamiste Jamaat-e-Islami, à la réclusion criminelle à perpétuité. Jugé pour des crimes de guerre commis lors de la guerre …

… d’indépendance de 1971, il avait été condamné à la peine capitale en première instance en 2013. Contestée par certains, cette décision a été accueillie avec une certaine sérénité par l’Eglise catholique.

Membre du Parlement de 1996 à 2008, élu à deux reprises, Sayedee avait été condamné le 28 février 2013 à la peine de mort par le « Tribunal pour les crimes de droit international ». Des émeutes avaient alors éclaté à travers tout le pays, faisant de ce jour « la pire journée de violences politiques au Bangladesh depuis des décennies » selon la BBC. Plusieurs dizaines de morts étaient à déplorer. En appel, Sayedee avait à nouveau été condamné, cette fois-ci à la prison à vie (le verdict avait été prononcé le 17 septembre 2014).

En condamnant Sayedee à la réclusion criminelle à perpétuité, les cinq juges de la juridiction suprême ont rejeté les prétentions des deux parties : l’acquittement, sollicité par la défense, et la peine de mort, que demandait le ministère public.

A l’issue de l’audience, le procureur général, Mahbubey Alam, n’a pas caché sa déception, qualifiant Sayedee de « plus rusé et plus nuisible des criminels de guerre condamnés ». Les partisans de Sayedee ont contesté une décision politique, un communiqué du Jamaat-e-Islami en date du 15 mai dénonçant un jugement reposant sur des « accusations fabriquées ». A contrario, un représentant du Ganajagaran Mancha, mouvement qui réclame la peine de mort pour les personnes reconnues coupables de crimes de guerre commis pendant la lutte pour l’indépendance, n’a pas caché sa déception, dénonçant la clémence des juges. Un de ses porte-paroles a ainsi déclaré que les juges n’avaient pas « répondu aux attentions de la nation » et que le gouvernement tentait d’ « apaiser l’organisation criminelle Jamaat-e-Islami ».

La petite Eglise catholique du Bangladesh semble avoir sereinement accueilli cette décision. Mgr Gervas Rozario, évêque de Rajshahi, président de la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence épiscopale, a reconnu que « cette décision [était] juste » et rappelé que l’Eglise « n’[était] pas favorable à la peine de mort ». Quant à l’éventuelle incidence sur les juges des violences provoquées par la décision de 2014, il a déclaré : « Nous ne pensons pas que les violences de 2014 aient influencé les magistrats. » Pour autant, le prélat n’a pas caché une certaine déception, mettant en cause les « défaillances » du ministère public.

Une décision politique ?

Outil de « vengeance politique » pour les uns, de « guérison nationale » pour les autres, la légitimité du « Tribunal pour les crimes de droit international » est, sans surprise, contestée par certains responsables politiques. Son fonctionnement fait lui aussi l’objet de réserves, formulées par de nombreux observateurs internationaux. Human Rights Watch et Amnesty International ont notamment déploré « l’absence de procès équitable ».

Mis en place en 2010 par Sheikh Hasina, de la Ligue Awani, cette juridiction d’exception a pour ambition de « rendre justice aux victimes des atrocités de la guerre d’indépendance de 1971 ». Dans ce cadre de ce conflit particulièrement violent, qui a fait entre 300 000 et trois millions de mort, et près de dix millions de réfugiés, l’aile orientale du Pakistan s’est séparée du reste du pays pour devenir le Bangladesh. Les partis islamistes de cette région, tels que le Jamaat-e-Islami, sont accusés d’avoir apporté leur soutien à l’armée pakistanaise et d’avoir commis des crimes de guerre.

Depuis 1990, deux partis dominent la vie politique locale : le Bangladesh Nationalist Party (BNP) et la Ligue Awani. De 2001 à 2006, le BNP a formé une coalition avec le Jamaat-e-Islami, dont est issu Sayedee. Elue en 2009 à la présidence de la République pour un mandat de cinq ans, Sheikh Hasina dispose de la majorité au Jatiya Sangsad (Chambre des Nations) depuis les élections législatives du 5 janvier 2014. L’opposition conteste le fonctionnement du tribunal, accusé d’être un outil politique destiné à décimer les opposants politiques.

Une décision efficace ?

Delwar Hossain Sayedee n’est pas le premier responsable du Jamaat-e-Islami à être ainsi condamné : le tribunal a déjà condamné plusieurs dizaines de personnes à la peine capitale ou à la réclusion criminelle à perpétuité.

Si ces procès permettent d’écarter quelques responsables islamistes de la scène politique, alliés du BNP, ils ne suffisent pour l’instant pas à endiguer la montée du fondamentalisme islamique dans le pays qui frappe le pays depuis quelques années.

Dans son rapport annuel, publié le 26 avril 2017, la Commission des Etats-Unis sur la liberté religieuse dans le monde consacre trois pages au Bangladesh. Depuis les élections législatives de 2014, le Bangladesh est confronté à une multiplication des violences contre « les minorités religieuses, les blogueurs laïcs, les intellectuels et les étrangers », organisées par des groupes extrémistes, locaux et internationaux. Ce rapport dénonce le climat de « peur » qui s’est installé dans le pays.

Un autre rapport, celui de la Conférence chrétienne d’Asie, publié le 17 mai dernier, fait part d’une manipulation des « sentiments religieux » par certains partis politiques afin d’« intensifier les tensions religieuses » et constate que « les minorités bengalaises vivent dans la terreur et la peur ».

Alors que l’Arabie saoudite finance la construction de 560 mosquées à travers le pays, certains observateurs redoutant la promotion du wahhabisme, Mgr Patrick D’Rozario, premier cardinal de l’histoire du Bangladesh, a rappelé l’importance du dialogue interreligieux dans le pays. Dans le troisième pays musulman du monde, après l’Indonésie et le Pakistan, la situation demeure préoccupante pour l’Eglise catholique locale, qui constitue une très petite minorité (0,5 % de la population) et qui s’apprête à accueillir le pape François d’ici la fin de l’année.

Les dates de la visite pastorale du Saint Père n’ont pas encore été communiquées.

(eda/pm)