Eglises d'Asie – Bangladesh
« Le réchauffement climatique, un enjeu spirituel pour l’humanité » – Mgr Theotonius Gomes
Publié le 28/05/2015
… une voix écoutée dans la défense des populations les plus vulnérables face aux changements induits par le réchauffement climatique. Invité en France par le Secours catholique, Mgr Gomes a répondu aux questions d’Eglises d’Asie à Paris, ce 28 mai 2015.
Eglises d’Asie : En quoi le Bangladesh est-il affecté par le réchauffement climatique ? Parmi les 160 millions de Bangladais, quels sont ceux qui sont les plus affectés ?
Mgr Theotonius Gomes : Comme vous le savez, le Bangladesh se trouve situé dans une région chaude du globe. Au fil des millénaires, la nature, la végétation puis, avec les hommes, la production agricole se sont adaptées à ces conditions climatiques. Aujourd’hui, le riz constitue la base de notre alimentation mais je dirais que la vie même du Bangladesh est étroitement liée aux conditions qui gouvernent notre agriculture. Dans ce contexte, le réchauffement climatique est un facteur supplémentaire qui s’ajoute à tous les paramètres qui font que, bon an mal an, notre pays conserve la faculté de nourrir sa population.
Le réchauffement a déjà entraîné une élévation du niveau de la mer et, pour nous, dans un pays dont les quatre cinquièmes de la superficie sont situés à une altitude très basse, cela se traduit par un allongement très net du phénomène des hautes eaux. Celles-ci gagnent en amplitude. Le réchauffement se traduit aussi par des variations dans le cycle des cultures ; le cycle de la culture du riz est affecté (la date des semailles et des moissons) ; le calendrier et l’ampleur des pluies changent également. Dans une économie nationale qui dépend encore de manière très importante de l’agriculture, tous ces changements ont un impact sur la façon dont les paysans et, par ricochet, l’ensemble de la population vivent.
Le réchauffement climatique introduit un nouvel élément d’incertitude dans le travail des agriculteurs. Pour vous donner un exemple, de tout temps, le Bangladesh a essuyé des cyclones, qui faisaient que les gens perdaient leurs maisons, leurs récoltes ; mais ils finissaient par revenir sur leurs terres. Aujourd’hui, les cyclones se font plus violents, plus fréquents, plus imprévisibles ; les inondations perdurent et des paysans perdent définitivement les terres qu’ils cultivaient. Ils partent donc pour s’installer ailleurs mais le Bangladesh est déjà l’un des pays les plus densément peuplé de la planète et ces migrations intérieures ajoutent aux difficultés auxquelles nous devons déjà faire face en tant que pays pauvre. L’exode rural s’accélère et l’urbanisation s’accentue.
Ces cyclones plus fréquents et plus violents ont aussi un autre impact. Il y a quelques décennies de cela, pour lutter contre les morts à répétition que provoquaient les cyclones, le gouvernement, avec l’aide de la communauté internationale, a développé toute une infrastructure faite d’abris anticycloniques et de système d’alerte des populations. Ces efforts ont porté du fruit dans la mesure où la mortalité due aux cyclones a baissé. Mais, aujourd’hui, le réchauffement climatique et ses conséquences menacent de ruiner tout ce qui a été entrepris ; les cyclones redeviennent un facteur très réel de mortalité. Nous n’éliminerons pas les cyclones mais nous nous devons de lutter contre ce qui renforce ces événements climatiques. C’est une nécessité car le Bangladesh souffre de suffisamment de difficultés pour que nous ne lui en rajoutions pas de nouvelles qui pourraient être évitées si le développement industriel et commercial était mieux contrôlé.
En soi, le développement industriel et les bienfaits apportés par le développement économique sont bons mais ce sont les excès de ce développement qui sont à combattre. Gardons aussi à l’esprit que les bons côtés du développement ne bénéficient pas à tous les hommes sur terre et que les méfaits du développement sont souvent endurés par ceux-là même qui ne jouissent pas des retombées positives du développement économique. Nous avons donc une double responsabilité : envers la communauté humaine toute entière qui aura à souffrir des effets induits par le réchauffement, et envers ceux qui endurent les à-côtés négatifs produits par le développement économique sans bénéficier des bons côtés de ce dernier.
Dans un mois environ, le pape va publier une encyclique sur l’écologie humaine. Qu’attendez-vous d’un tel texte ?
L’écologie dans son ensemble, et notamment l’écologie humaine, brassent des enjeux qui dépassent la seule question du réchauffement climatique. Nous ne parlons pas tant ici de techniques visant, par exemple, à réduire les gaz à effet de serre, que d’enjeux de civilisation – et, à mon sens, nous abordons là une dimension religieuse de l’existence humaine.
L’encyclique, pour autant que je puisse en préjuger, va aborder cette question du réchauffement climatique d’un point de vue beaucoup plus large. Elle insistera sans doute sur le fait que nous avons le devoir de prendre soin de tout ce qui existe, les êtres humains bien sûr, mais aussi tous les êtres vivants qui sont sur cette planète, et notre planète elle-même. L’idée est que nous, les êtres humains, formons une communauté avec cette Terre, qu’il existe une communion entre nous et notre environnement, que le don de la vie, les talents qui nous sont donnés, les dons que nous offre la nature sont étroitement liés.
L’encyclique sera certainement un texte spirituel, notamment dans la mesure où l’homme est appelé à contrôler ses désirs, à ne pas seulement et toujours chercher à tirer un profit des dons qui lui sont offerts par la Création. Le pape rappellera que si l’homme a une dignité particulière en tant qu’être créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, notre Terre, les différents états de la vie sur notre planète ont aussi une dignité propre. Le texte interrogera chacun sur le fait de savoir si nous faisons à tous une place sur cette Terre, si nous sommes attentifs à chacun, si chacun de nous peut se sentir ‘at home’ sur cette Terre.
Je ne suis pas impliqué dans la rédaction de cette encyclique. Nous la découvrirons donc lorsqu’elle sera rendue publique, mais au fil de ces dernières années où je me suis impliqué dans différents sommets internationaux consacrés à l’environnement et au réchauffement climatique, j’ai constaté que le débat, de technique au départ, est devenu plus large : comment prendre mieux soin de notre planète, comment faire en sorte que la vie soit plus vivable pour tous, comment intégrer tous les aspects de la vie sur Terre pour que chacun vive dignement, comment faire pour que chacun vive non pas seulement pour lui-même mais pour contribuer à la vie des autres.
Dans cette perspective, nous avons une responsabilité et le devoir de respecter tout ce qui se trouve sur cette Terre. Ne pas seulement user et utiliser ce qui nous offert, mais le respecter. Il est aussi essentiel de réaliser que chacun a sa part et son mot à dire dans ce processus qui doit nous conduire à préserver la vie sur notre planète. L’encyclique du pape François sera donc spirituelle en cela qu’elle appellera chacun à développer un sens plus grand de l’amour pour l’autre et la Création.
Quel rôle particulier peuvent jouer les responsables religieux dans les négociations qui se nouent dès à présent dans la perspective de la tenue à Paris de la COP 21 (30 novembre-11 décembre 2015) ?
Les responsables religieux pointent le doigt sur ce qui est dans le cœur de chacun en élargissant la perspective des négociations. Les nations en tant que telles peuvent chercher à accroître leurs richesses par un développement économique et industriel accru. C’est l’objectif qu’elles poursuivent, mais il est de notre devoir de rappeler que ce n’est pas là l’objectif ultime. Ce n’est qu’une partie de l’objectif. Les experts ont coutume de parler des pays développés et des pays sous-développés ou en voie de développement. Mais de quel développement parle-t-on ici ?
Il y a bien sûr le développement industriel, technologique, commercial, mais il y a aussi un autre développement, celui qui advient au sein de la masse des populations. Les responsables religieux peuvent apporter ce souci de penser plus largement, de réfléchir plus globalement aux finalités du développement de la personne humaine et de celui des nations.
Il reste que les responsables religieux ont encore à parler d’une seule voix sur ces questions.
Les Eglises chrétiennes qui sont en Asie ont-elles un message particulier à porter au monde ? La FABC (Fédération des Conférences épiscopales d’Asie) se mobilise-t-elle sur ces questions ?
Les chrétiens étant très minoritaires en Asie, la FABC insiste depuis longtemps sur la nécessité d’un triple dialogue : dialogue avec les autres religions, dialogue avec les cultures et dialogue avec les pauvres. Pour ce qui regarde les débats sur l’écologie, on retrouve la même nécessité de dialoguer à ces trois niveaux : les religions, les cultures, les pauvres. Concrètement parlant, cela s’est traduit par la création d’un Bureau spécifiquement chargé des questions liées au changement climatique au sein de la FABC et les différents acteurs régionaux concernés se réuniront pour un séminaire de travail à Manille les 2 et 3 juillet prochains.
Au Bangladesh, parvenez-vous à sensibiliser les autres responsables religieux sur ces questions, notamment parmi les responsables musulmans ?
L’Eglise forme une petite communauté au Bangladesh mais je constate que, petit à petit, sa voix porte sur les questions environnementales et d’écologie. Les gens sont ouverts et disposés à l’écouter sur ces questions. Face aux calamités naturelles mais aussi aux difficultés nées de notre Histoire (la guerre d’indépendance de 1971, par exemple), l’Eglise apporte une œuvre de miséricorde partout où elle le peut et auprès de tous, sans distinction d’appartenance religieuse. Nos écoles, nos actions menées via la Caritas locale sont toutes entreprises au bénéfice de tous. Nous sommes présents auprès des minorités tout comme auprès de la majorité musulmane de la population. Dès lors que nous abordons des questions qui ont un impact sur la vie de chacun, qui intéressent chacun, les gens écoutent l’Eglise.
Légende photo : Mgr Theotonius Gomes, évêque auxiliaire de Dacca, au Bangladesh. DR
(eda/ra)