Eglises d'Asie

Henry Van Thio, l’ascension controversée d’un chrétien au sommet de l’Etat

Publié le 16/03/2016




Henry Van Thio, ancien officier de l’armée birmane originaire de l’ethnie chin, a été élu, mardi 15 mars, vice-président de la Birmanie. A la surprise générale, ce chrétien pentecôtiste a été propulsé sur le devant de la scène politique par le parti d’opposition pro-démocratique – et désormais majoritaire au Parlement – …

… d’Aung San Suu Kyi. Ses relations avec le ministre de l’Industrie de l’ancienne junte militaire suscitent déjà la critique.

C’est un inconnu. Même son âge est sujet à débat, les médias birmans hésitant entre 57 et 59 ans. Son nom a été écorché à de multiples reprises dans la presse internationale, surprise lorsque les députés de la Chambre haute ont annoncé, jeudi 10 mars, qu’Henry Van Thio serait le candidat de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) pour le poste de vice-président. Même ses collègues parlementaires semblent peu le connaître. « Il va falloir voter dans les ténèbres, sans détenir d’informations sur lui », ironisait dans les colonnes du Myanmar Times, un député du Parti pour le développement et la solidarité dans l’Union (USDP), le parti proche des militaires. Les deux chambres parlementaires ont voté solennellement mardi 15 mars. Elles ont élu Henry Van Thio au poste de vice-président avec 79 voix recueillies sur un total de 352. L’intéressé, qui n’a pas répondu aux multiples sollicitations d’Eglises d’Asie pour cette dépêche, a reconnu avoir été informé qu’il était pressenti pour ce poste « quatre ou cinq jours » seulement avant que sa candidature n’ait été rendue publique.

Chrétien pentecôtiste et ancien militaire

Henry Van Thio est né dans les montagnes de l’Etat chin, un Etat majoritairement chrétien, non loin de la frontière indienne, dans l’ouest du pays. Ce chrétien pentecôtiste père de trois enfants a gravi les échelons dans l’armée birmane pendant une vingtaine d’années. D’après Paul Htan Htaing, un ancien parlementaire chin originaire de la même circonscription qu’Henry Van Thio, le nouveau vice-président birman a atteint dans l’armée, le grade de major. En général, il s’agit du grade le plus élevé que parviennent à occuper les personnes originaires des minorités ethniques en Birmanie, quand elles ne sont pas bouddhistes.

« Il était le bras droit d’U Aung Thaung », précise Paul Htan Htaing, qui l’a rencontré à de nombreuses reprises. U Aung Thaung est un des personnages de l’ancienne junte militaire les plus critiqués en Birmanie. Il a occupé différents postes de ministre, dont celui de l’Industrie jusqu’en 2011, avant d’entrer au Parlement national. D’après le Bureau des contrôles des avoirs étrangers des Etats-Unis, U Aung Thaung s’est rendu responsable de « violences, d’oppression et de corruption ». Il était un des dirigeants de l’USDA, l’association qui a planifié l’attaque du convoi d’Aung San Suu Kyi en 2003, au cours de laquelle plusieurs de ses partisans ont été tués. U Aung Thaung a toujours nié avoir préparé cette embuscade. Son nom figurait sur la liste noire du département du Trésor américain, interdisant les entreprises américaines de faire affaire avec lui, et gelant ses éventuels avoirs aux Etats-Unis. L’homme s’est éteint en juillet dernier dans un hôpital de Singapour, à l’âge de 74 ans. « Henry Van Thio était le subordonné d’U Aung Thaung et il avait de très bonnes relations avec lui, poursuit Paul Htan Htaing. Quand il a pris sa retraite militaire, il voulait s’engager en politique. U Aung Thaung souhaitait qu’il rejoigne son parti. Mais Henry Van Thio ne voulait pas. U Aung Thaung l’a alors transféré à la direction d’une usine de tabac à Mandalay [la deuxième ville du pays]. Henry Van Thio ne s’est donc engagé dans aucun parti politique jusqu’au décès d’U Aung Thaung. »

Une personnalité diversement appréciée

Son passé de militaire et d’homme d’affaires proche de l’armée lui a permis de « gagner beaucoup d’argent pour lui-même », a critiqué, sur le site d’information The Irrawaddy, Bertil Lintner, un auteur suédois qui écrit sur la Birmanie. Et l’écrivain de commenter : « La LND a fait des choix de personnes issues des minorités ethniques très étonnants. » Le parti d’Aung San Suu Kyi a également nommé T Khun Myat au poste de vice-président de la Chambre basse du Parlement. Cet homme d’ethnie kachin est suspecté d’entretenir des liens avec une milice locale impliquée dans le trafic de drogue.

Mais d’autres défendent Henry Van Thio. « Il n’est pas riche, il n’a qu’une maison et une voiture à Rangoun, confie Paul Htan Htaing. Il n’a pas pu refuser quand son chef l’a appelé pour diriger cette usine de tabac. » Et l’homme politique de vanter les qualités du nouveau vice-président : « Il est responsable. Il ne s’emporte pas. Il a voyagé en Nouvelle-Zélande, aux Etats-Unis et aux Philippines. Il a une expérience internationale, même s’il en a moins en politique. C’est un industriel courageux. »

Une nomination symbolique

Pour le poste de président, Aung San Suu Kyi a choisi un fidèle, elle-même ne pouvant accéder à la fonction suprême puisqu’une clause de la Constitution l’en empêche. Elle a nommé U Htin Kyaw, un ami d’enfance, un économiste qui a étudié à Oxford. Sa candidature a recueilli 360 voix au Parlement (1). Aung San Suu Kyi a donc choisi un homme de confiance à qui elle pourra donner ses directives. Elle avait auparavant indiqué qu’elle se positionnerait « au-dessus » du président.

Le choix d’Henry Van Thio répond à une toute autre logique. « Aung San Suu Kyi ne le connaît que depuis un mois. Il a rejoint la LND il y a environ un an », explique U Han Tha Myint, membre du comité exécutif central de la LND. Elle ne l’a pas choisi pour ses qualités personnelles ni pour son expérience. « Elle a proposé aux parlementaires chin de lui soumettre un nom pour le poste de vice-président », poursuit U Han Tha Myint. La dirigeante de la LND souhaite en réalité promouvoir des membres des minorités ethniques aux plus hautes fonctions de l’exécutif et du Parlement. « Il a été choisi afin d’inclure toutes les ethnies [dans le nouveau gouvernement] et relancer le processus de paix », analyse U Mahn Johnny, un député LND réélu en novembre. Sa nomination est donc avant tout symbolique. « Pourquoi la LND choisit-elle des membres des minorités ethniques qui ont mauvaise réputation et qui n’ont jamais contribué à la réconciliation nationale ? interroge Khon Ja, coordinatrice pour l’ONG Réseau kachin pour la paix. Il y en a tant qui ont une bonne renommée. C’est malsain. »

(eda/rf)