Eglises d'Asie

Aung San Suu Kyi parvient à rassembler la plupart des acteurs des conflits ethniques

Publié le 30/08/2016




La conseillère d’Etat birmane a invité l’armée, les rébellions ethniques, les parties politiques et les organisations non gouvernementales à des discussions de paix. La majorité des groupes insurgés ont promis de participer à cette seconde Conférence de Panglong, qui doit s’ouvrir mercredi 31 août à …

… Naypyidaw, la capitale. Au pouvoir depuis cinq mois, Aung San Suu Kyi gère le dossier ethnique avec détermination, et avec un certain succès.

Sauf coup de théâtre de dernière minute, les rébellions palaung, kokang et arakanaise ne participeront pas. Bien qu’elles souhaitent se joindre à la Conférence, elles n’ont pas trouvé de terrain d’entente avec l’armée birmane, qui exige d’elles qu’elles déposent les armes pour adhérer au processus de paix. « Nous voulons assister à la Conférence mais nous ne le pouvons pas », résume un responsable de la rébellion palaung dans la presse birmane.

Malgré leur probable absence, la Conférence sur la paix convoquée par Aung San Suu Kyi est déjà un succès. Environ quinze groupes ethniques armés doivent se rendre, mercredi 31 août, à Naypyidaw pour y participer. Jamais les deux insurrections les plus puissantes du pays, celles des Was et des Kachins, n’ont rencontré, ensemble, les représentants du gouvernement birman et de l’armée pour discuter de paix. « Au cours de la longue histoire de notre pays, c’est la première fois que s’offre à nous une telle occasion, une très grande occasion, celle de faire la paix », s’enthousiasme Lian Sakhong, vice-président du Front national chin (CNF), un groupe rebelle chrétien de l’ouest de la Birmanie. Quelque 1 800 délégués sont attendus (dont deux cents militaires).

En février 1947, les groupes minoritaires kachin, chin et shan avaient scellé l’union du pays avec la majorité bamar au cours de la Conférence de Panglong. Peu après, ils s’étaient soulevés contre le pouvoir central, exigeant une redistribution plus équitable des richesses, davantage de droits politiques ainsi que la formation d’un Etat fédéral. Près de soixante-dix ans plus tard, Aung San Suu Kyi convoque une seconde Conférence de Panglong pour mettre fin à ces décennies de guerre civile. Arrivée au pouvoir en avril, elle hérite d’un dossier délicat. Les rébellions ethniques en effet sont divisées. En octobre dernier, huit d’entre elles ont signé un accord de paix avec le précédent gouvernement des anciens militaires. Trois autres ont été exclues du processus qui a conduit à la conclusion du texte. D’autres encore, comme les insurrections wa et kachin, ont choisi de ne pas parapher le document.

Pressentant un possible échec face à de telles dissensions, le cardinal Charles Maung Bo a lancé un appel pour que les organisations ethniques non signataires de l’accord d’octobre dernier « soient représentées » à la Conférence. Une paix authentique ne se construit qu’« en incluant les principales parties intéressées et non pas en les laissant en dehors de la prochaine conférence de la paix du Myanmar [l’autre nom de la Birmanie] », a expliqué l’archevêque de Rangoun à l’agence Fides.

Aung San Suu Kyi a déployé d’intenses efforts diplomatiques pour rassembler cette myriade d’acteurs ethniques et militaires. Elle a tissé des liens avec certaines rébellions, dont celle des Was, en envoyant ses émissaires sur le terrain. Puis, du 17 au 21 août derniers, elle a effectué une visite officielle en Chine. De nombreuses rébellions, dont celles des Was, des Kokangs, et des Kachins, ont leur quartier général adossé à la frontière chinoise. Certains chefs rebelles menacés en Birmanie trouvent régulièrement refuge sur le territoire voisin. Aung San Suu Kyi sait que la solution aux conflits ethniques dans son pays passe en partie par Pékin. La participation confirmée des Was et des Kachins à la Conférence sur la paix n’est sans doute pas étrangère à ce voyage diplomatique ni à la probable intervention de Pékin dans le dossier.

Lian Sakhong a participé à de nombreuses réunions préparatoires avec Aung San Suu Kyi. « Elle est très déterminée. Elle sait ce qu’elle fait, relate-t-il. Elle prend des décisions plus rapidement que les négociateurs de l’ancien gouvernement, qui, en cas d’impasse, devaient décrocher leur téléphone pour joindre le président ou le chef de l’armée. Ils ne savaient pas résoudre une question directement. Il est plus facile de négocier avec Aung San Suu Kyi. »

Lian Sakhong estime que la conseillère d’Etat a fait preuve d’une grande souplesse jusqu’à présent. « Si vous lui proposez un argument sensé, elle est d’accord rapidement. Elle peut changer d’avis facilement », poursuit-il. Et l’homme de citer en exemple l’invitation des partis politiques à la Conférence sur la paix. Initialement, Aung San Suu Kyi ne souhaitait convier que les formations qui avaient remporté des sièges aux législatives de novembre. Pressée par les groupes ethniques de revoir sa position, elle a finalement accepté d’étendre son invitation à ceux qui ont échoué au scrutin, dont de nombreux petits partis ethniques. Sui Khar, lui aussi membre du CNF, estime qu’ « elle est prête à faire des compromis ».

Cette méthode ouverte et pragmatique séduit, y compris l’Eglise catholique de Birmanie. En voyage ce mois-ci au Canada, Mgr Charles Maung Bo a indiqué que les nouveaux dirigeants « [faisaient] de leur mieux » pour résoudre les problèmes du pays. Il a demandé aux démocraties occidentales de faire preuve de patience. « Parfois, l’Occident pousse trop » et cherche « des solutions du jour au lendemain », a-t-il expliqué au site d’information The Observer.

Les rares critiques à l’action d’Aung San Suu Kyi proviennent des organisations non gouvernementales, qui peinent à décrypter sa stratégie. « Elle n’a pas expliqué comment elle comptait faire la paix », confie à Eglises d’Asie Thwin Lin Aung, directeur de l’association Genuine People’s Servants, qui observe le processus de paix. Il estime qu’Aung San Suu Kyi a privilégié sa relation avec les militaires au détriment de celle avec le peuple. Mais il reconnait que ses rapports réguliers avec l’armée ont porté du fruit : ils ont permis d’« infléchir la position des militaires » sur les conditions de participation des groupes rebelles à la Conférence.

Comme souvent à l’approche de nouveaux pourparlers de paix, la situation s’est tendue sur le terrain. Mi- août, d’intenses combats à proximité des mines de jade de Hpakant entre l’Armée pour l’indépendance kachin (KIA) et l’armée birmane ont obligé un millier de personnes à fuir leurs villages dans cette région qui compte déjà cent mille déplacés. La semaine dernière, la KIA a accusé l’armée birmane d’attaquer ses positions au moyen d’hélicoptères de combat. ND-Burma, une association qui recense les violations des droits de l’homme dans le pays, s’inquiète d’une « forte augmentation » du nombre des meurtres et des cas de torture dans le nord et le nord-est de la Birmanie. Elle en a dénombrés davantage depuis janvier qu’au cours de toute l’année 2015.

(eda/rf)