Eglises d'Asie

Caritas apporte son soutien aux travailleurs migrants birmans en Thaïlande

Publié le 16/01/2018




En Thaïlande, de nouvelles mesures restrictives à l’encontre des travailleurs migrants non enregistrés et de leurs employeurs sont entrées en vigueur le 1er janvier dernier. Destinées à lutter contre le trafic d’êtres humains, elles avaient été vivement critiquées par les organisations de la société civile et leur application avait été suspendue pendant six mois. 

La situation de plus d’un million de travailleurs migrants birmans et de centaines de milliers de travailleurs migrants cambodgiens et laotiens est devenue très incertaine depuis le 1er janvier, jour où la période de grâce pour l’application d’un décret répressif à l’encontre des travailleurs migrants non enregistrés s’est terminée. Ce décret, pris par la junte thaïlandaise le 23 juin dernier, avait été vivement critiqué par les organisations de la société civile, y compris la Commission nationale catholique sur la migration (NCCM) – un organisme sous l’égide Caritas Thaïlande -, le Groupe de travail sur la migration (MWG) et le Réseau du Mékong sur la migration (MMN). Depuis le début de l’année, plusieurs raids de la police ont eu lieu à Nonthaburi, à l’ouest de Bangkok, et environ 200 travailleurs migrants birmans ont été arrêtés.

Une mesure prise pour lutter contre le trafic d’êtres humains

Le décret punit de peines très sévères à la fois les employeurs de travailleurs migrants non enregistrés (c’est-à-dire qui n’ont pas de permis de travail thaïlandais), mais aussi les travailleurs migrants eux-mêmes. Par exemple, une personne qui emploie un travailleur migrant sans permis de travail ou pour un emploi différent de celui spécifié sur le permis de travail est passible d’une amende entre 10 000 et 20 000 euros. Quant au travailleur migrant qui travaille sans permis de travail ou qui exerce un emploi différent de celui spécifié sur son permis, il est passible, dans le premier cas, d’une peine de prison maximale de cinq ans couplée à une amende maximale de 2 500 euros et, dans le second cas, d’une amende maximale du même montant.

« Ce projet de loi est mal conçu. Il criminalise les travailleurs migrants et les fait vivre dans la peur. D’un autre côté, je ne suis pas du tout sûr de son efficacité pour lutter contre le trafic humain », a confié à Eglises d’Asie le P. John P. Murray, directeur du NCCM. Ce décret répressif a été pris en grande partie pour tenter d’améliorer le classement de la Thaïlande dans la classification américaine sur le trafic humain. La Thaïlande est actuellement classée au niveau Tier 2 dans le rapport Trafficking in Persons (TIP) du département d’Etat américain ; elle craint par-dessus tout d’être rétrogradée au niveau Tier 3 – une classification qui pourrait entrainer certaines restrictions sur l’assistance américaine à la Thaïlande.

Un décret suspendu pendant 6 mois

« Lorsque le décret a été annoncé en juin dernier, des dizaines de milliers de Birmans, mais aussi des Cambodgiens et, dans une moindre mesure, des Laotiens ont pris peur et sont repartis précipitamment dans leur pays », indique le P. Murray. Selon le ministère birman de l’Intérieur, 155 169 travailleurs illégaux birmans sont rentrés au pays entre le 23 juin et début décembre, dont 66 980 femmes. Beaucoup depuis ont essayé de revenir, soit en obtenant les documents par des agences légales de brokers basées en Birmanie, soit – et c’est environ 70 % des cas – par l’intermédiaire de brokers clandestins. Par ailleurs, le nouveau décret ouvre la porte à une corruption accrue, du fait de la sévérité des peines. « Si vous augmentez de manière drastique, les amendes, vous risquez aussi d’augmenter le niveau de corruption », estime le P. Murray, lequel indique que les employeurs seront incités à contourner les dispositions légales et ceux qui peuvent les aider dans ce sens seront incités à demander des pots-de-vin proportionnés aux amendes.

La junte thaïlandaise s’est toutefois vite rendu compte de l’effet désastreux de son décret. « Le décret est contre l’intérêt de la Thaïlande et contre l’intérêt des entreprises thaïlandaises, car la Thaïlande a besoin des travailleurs migrants », indique le P. Murray. Le gouvernement militaire a, dès le 29 juin, accordé une période de grâce de 180 jours, notamment pour permettre aux travailleurs migrants birmans illégaux restés en Thaïlande de s’enregistrer légalement sur place. Pour ce faire, six centres ont été ouverts dans différentes provinces du royaume, dans lesquels les travailleurs birmans peuvent obtenir un « certificat d’identité » délivré par des fonctionnaires birmans, puis un visa et un permis de travail, tous deux délivrés par les autorités thaïlandaises. La procédure au sein de ces centres, perturbée par des brokers qui sont de mèche avec certains fonctionnaires, laisse toutefois à désirer et seule une partie des 800 000 travailleurs illégaux birmans restés sur le sol thaïlandais ont pu s’enregistrer dans les temps.

Une coopération accrue entre la Birmanie et la Thaïlande

Parallèlement, un memorandum of understanding a été conclu entre la Birmanie et la Thaïlande, qui établit un processus légal pour que les travailleurs birmans puissent arriver légalement en Thaïlande. Pour ce faire, ils doivent passer par les agences de brokers reconnues par le gouvernement birman et être accepté, dès le départ, par un employeur précis en Thaïlande. « Ces agences légales sont en nombre suffisant pour s’occuper du grand nombre de travailleurs migrants birmans, mais le problème est qu’elles passent parfois par des sub-brokers (des agents sous-traitants) pour atteindre les travailleurs, et ce sont ces sub-brokers clandestins qui escroquent les travailleurs », indique à Eglises d’Asie Saw Khu, du Groupe de travail sur la migration. Ce jeune birman estime que le décret répressif n’a pas eu que effets négatifs. « Ce décret a le mérite de rendre les choses plus difficiles pour les brokers clandestins, car il leur interdit sous peine de forte amende d’escroquer les travailleurs. Il permet aussi aux travailleurs d’avoir plus d’arguments pour exiger de leurs employeurs de régulariser leur situation », affirme-t-il.

Le P. Murray, qui dirige une équipe de quinze personnes au sein de la Commission nationale catholique sur la migration, insiste sur le fait qu’il n’est guère possible avec aussi peu de moyens « de résoudre tous les problèmes des migrants ». « Mais nous faisons une contribution au nom de l’Eglise », dit-il. Le NCCM mène ainsi plusieurs projets pour aider les travailleurs migrants, notamment une campagne pour les informer des dangers du trafic humain, des sessions de formation en langues (anglais et thaï) et de formation professionnelle pour améliorer la qualification des travailleurs et de leur famille qui souvent les accompagne, ainsi qu’une campagne pour donner conscience aux migrants de l’importance de faire valoir leurs droits d’accéder à certains services qui leur sont légalement dus par l’Etat thaïlandais, notamment dans le domaine médical. « Et pour ce faire, il faut qu’ils soient enregistrés, donc la meilleure manière de les aider de notre point de vue, c’est de les aider à s’enregistrer auprès des autorités », estime le P. Murray.