Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – La longue marche de l’Eglise vers une entente Chine-Vatican (3/3)

Publié le 26/01/2018




« Prions pour que les chrétiens, ainsi que les autres minorités religieuses, puissent vivre leur foi en toute liberté dans les pays asiatiques » : telle est l’intention de prière du pape François pour le mois de janvier. A cette occasion, le P. Jean Charbonnier, prêtre des Missions Etrangères de Paris (MEP) et spécialiste du christianisme chinois, revient sur la longue histoire sino-vaticane. En voici la troisième et ultime partie.

I. LE POIDS DE L’ERE COLONIALE : UNE EUROPE CONQUERANTE, UNE CHINE HUMILIEE

II. LE SOCIALISME AUX COULEURS CHINOISES N’EST PLUS LE COMMUNISME CONDAMNE PAR L’EGLISE

III. DEPUIS DECEMBRE 1978, ESSOR CONTINU DES RELIGIONS EN CHINE

Mao Zedong meurt en septembre 1976. Un changement radical de la politique gouvernementale se produit alors sur l’impulsion de Deng Xiaoping. Son orientation résolument réaliste et pragmatique dénonce les abus de l’idéologie révolutionnaire. Le délire de l’activisme inspiré de la lutte des classes prend fin. Les forcenés de la « Bande des Quatre » conduits par Jiang Qing, l’épouse de Mao, sont arrêtés et jugés. Deng propose une politique de Front Uni pour la modenisation du pays. Les religions retrouvent droit de cité dans le cadre de la Conférence Consultative Politique du Peuple Chinois. Cet organisme fonctionne à l’échelon national en se réunissant juste avant la session de l’Assemblée populaire nationale. Au niveau cantonal, la CCPPC (Zhengxie) réunit chaque mois les représentants des cinq religions reconnues officiellement : prêtre catholique, pasteur protestant, moine bouddhiste, prêtre taoiste, imam musulman. Ces religions ne sont pas considérées comme des superstitions car elles ont des Ecritures et enseignent une bonne morale. En outre, elles sont de longue durée et ne peuvent être éliminées en quelques décennies.

L’Eglise catholique se relève de ses ruines et entre en relation avec l’Eglise à l’étranger. Les directives nouvelles du 2ème concile du Vatican ont été traduites en chinois à Taiwan et Hongkong. Elles commencent à être connues en Chine à partir de 1982. Bibles, missels, Code de Droit canonique, manuels de théologie, sont diffusés en Chine à partir de Taiwan, Hongkong et Singapour. En 1992, l’Association patriotique des catholiques approuve officiellement la réforme liturgique. Les grands séminaires régionaux sont ouverts. Des professeurs enseignant dans les séminaires de Taiwan et Hongkong sont invités à enseigner dans les grands séminaires de Chine. A partir de 1992 de nombreux prêtres, séminaristes et religieuses sont autorisés à poursuivre leurs études en Amérique, en Europe et aux Philippines. L’Eglise en Chine se met rapidement au rythme de la vie de l’Eglise dans le monde. Peu à peu les évêques nommés sans l’accord de Rome obtiennent discrètement leur validation. La situation de persécution qui avait justifié la consécration d’évêques clandestins étant largement dépassée, Rome interdit pratiquement la consécration d’évêques clandestins de façon à ménager un accord avec le gouvernement chinois.

Persistance d’un conflit entre catholiques chinois suivant leur interprétation de l’indépendance

Un fossé s’est malheureusement creusé entre les catholiques qui pratiquent leur foi ouvertement sous l’égide de l’Association patriotique et ceux qui par souci de fidélité totale à Rome refusent de collaborer. En 2007, le pape Benoît XVI écrit une lettre adressée à tous les évêques, prêtres, religieuses et catholiques de Chine pour les inviter à se réconcilier entre eux et même à rejoindre le statut officiel là où ils peuvent disposer d’une liberté religieuse suffisante. La revendication d’’indépendance vis-à-vis de l’autorité vaticane est tolérée par le Saint Siège en tant qu’exigence politique du gouvernement chinois. Le président chinois,successeur actuel de l’empereur, ne veut pas que ce pape, appelé autrefois en chinois « Empereur de la religion » jiaohuang 教皇, s’ingère dans les affaires chinoises. Mais une communion spirituelle des catholiques chinois avec le pape est autorisée. Les prêtres et religieuses compensent cette prise de position officielle par un attachement plus marqué qu’en Europe aux directives du pape et à leur communion spirituelle avec le Saint-Père. Pour les Chinois, indépendance et communion vont de pair et n’implique aucune contradiction. C’est un aspect de leur culture qui peut paraître déroutant pour nos esprits occidentaux. C’est précisément là que la culture chinoise peut aider à assouplir notre vie d’Eglise de façon positive.

Quoiqu’il en soit, une osmose se poursuit entre le monde chinois et l’Occident depuis les débuts du XXe siècle. La Chine a digéré plus qu’on ne le croit de nombreux éléments de la culture occidentale chrétienne. Le marxisme lui-même a introduit en Chine de nombreux atouts pour la vie de l’Eglise : « servir le peuple » demeure une requête de base du Parti et certains cadres en témoignent, en dépit de la corruption généralisée.

Vers un apport positif des catholiques de Chine à la vie de l’Eglise universelle

L’Eglise livrée à ses seules ressources chinoises est enfin devenue pleinement responsable de ses destinées. Mao Zedong a précipité la sinisation de l’Eglise en chassant tout le personnel étranger. L’expérience fut cruelle. Mais il a rendu un immense service à l’Eglise en permettant aux catholiques chinois d’être eux-mêmes, de prendre leurs responsabiités et d’oeuvrer envers et contre tout à la survie de l’Eglise en Chine. Ils sont maintenant en mesure d’exprimer leurs convictions chrétiennes sur la base de leurs courants spirituels proprement chinois.

Avant guerre, des chrétiens chinois, religieux et laïcs, ont entrepris d’exprimer leur foi en puisant aux sources de leurs traditions taoïste, bouddhiste et confucéenne. Le diplomate chinois devenu moine bénédictin Dom Lou Tseng-siang a ouvert un nouvel espace à la tradition confucéenne de piété filiale en la situant dans le sillage de l’amour de Jésus pour son Père céleste. Le P. François Houang a mis la petite voie de Sainte Thérèse en relation avec l’humilité et la simplicité des maîtres à penser taoïstes. Aujourd’hui, des jeunes prêtres étudiants en France ont pris la peine de traduire en chinois ces bases de réflexion que leurs prédécesseurs avaient établies à l’usage des Français.

Maintenant que la Chine, devenue un pays grand et fort, prend dans le monde la place qui lui revient, il est temps que la chrétienté, demeurée encore très occidentale, fasse un nouvel effort d’ouverture dans le sillage des initiatives lancées par le jésuite italien Matteo Ricci il y a plus de quatre siècles. Matteo Ricci a ouvert la voie du dialogue en publiant en chinois un « Traité de l’Amitié ». Le pape François, lui-même jésuite, adopte résolument cette approche amicale.

Perspectives œcuméniques chinoises

L’ouverture actuelle de la Chine au christianisme se produit largement sous l’égide des protestants de diverses origines. De majoritaires en 1950, les catholiques sont devenus de loin minoritaires. Moins engagés dans la vie urbaine, plus exigeants dans l’acquisition par les catéchumènes d’un bagage ecclésial comportant des règles liturgiques et des lois d’Eglise, les catholiques progressent plus lentement et peinent à maintenir leur pourcentage dans la population chinoise. Les protestants par contre ont fait un grand bond en avant dans leur puissant témoignage évangélique. Ils bénéficient d’un avantage linguistique. Ils ne s’appellent plus protestants mais simplement « chrétiens» , « la religion du Christ » 基督教, au point que leurs convertis se demandent si les catholiques sont « chrétiens » ou s’ils sont la religion de Marie comme les noms de leurs églises ou leurs dévotions semblent l’indiquer. On admire pourtant leur unité et la qualité de leurs célébrations. On ne les appelle plus « la religion ancienne » Jiujiao 旧教 au profit du protestantisme appelé « la religion nouvelle » Xinjiao 新教. On les intègre en principe sous le vocable général de « croyants en Jésus » Xin Yesu 信耶苏的.

Les chrétiens chinois (protestants) ont fait un énorme effort pour adopter une catéchèse commune. Diverses dénominations ont pris l’habitude de célébrer leur cullte dans une même église. Ils envient quelquefois la grande unité qui règne chez les catholiques. Certains rejoignent les catholiques pour la solidité de leur doctrine, leurs racines historiques et leur unité dans le monde entier. Familiers les uns des autres grâce à leur relation citoyenne du Zhengxie (Conférence Consultative Politique du Peuple Chinois), il leur arrive de s’entraider mutuellement .
L’oecuménisme entre chrétiens protestants et catholiques s’étend d’ailleurs au respect des autres religions du pays et à des relations amicales sans qu’il y ait pour autant de « dialogue » interreligieux. Il y a seulement partage de préoccupations communes dans les domaines financiers, immobiliers, et pour la formation d’un personnel religieux. On peut ainsi se demander si le primat en Chine de la citoyenneté politique n’est pas finalement favorable à l’épanouissement des religions.