Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – La longue marche de l’Eglise vers une entente Chine-Vatican (1/3)

Publié le 22/01/2018




« Prions pour que les chrétiens, ainsi que les autres minorités religieuses, puissent vivre leur foi en toute liberté dans les pays asiatiques » : telle est l’intention de prière du pape François pour le mois de janvier. A cette occasion, le P. Jean Charbonnier, prêtre des Missions Etrangères de Paris (MEP) et spécialiste du christianisme chinois, revient sur la longue histoire sino-vaticane.

La lenteur des pourparlers entre les autorités romaines et chinoises ne doit pas nous surprendre. Quelle que soit l’habileté diplomatique des Italiens et des Chinois, les uns et les autres ne sont que des représentants éphémères de deux mondes de civilisations millénaires très différentes. L’Eglise catholique en vingt siècles d’histoire s’est moulée dans le cadre de la société occidentale qui nous est familière. Depuis un millénaire, elle s’est distinguée de l’Eglise orthodoxe et depuis quatre siècles des églises protestantes. Après des siècles de croissance dans le cadre des absolutismes royaux, elle s’est adaptée depuis deux siècles aux processus de démocratisation des divers Etats européens ainsi qu’à leurs formulations américaines.

I. LE POIDS DE L’ERE COLONIALE : UNE EUROPE CONQUERANTE, UNE CHINE HUMILIEE

De cette longue histoire, l’Eglise catholique conserve encore une certaine nostalgie de son pouvoir tout en mettant en avant sa mission évangélique de service de l’humanité. Sa mission dans le monde s’est longuement présentée comme une expansion de son statut occidental. En Chine en particulier, la grande avancée missionnaire s’est produite au XIXe siècle dans le cadre de l’expansion coloniale liée au développement d’une économie capitaliste de marché. Les entreprises exploratrices, coloniales et commerciales visaient avant tout au bénéfice des nations conquérantes. Après la Guerre de l’opium en 1840, marquant une première affirmation du prestige de la Grande Bretagne et de ses intérêts, la France a disputé sa part d’avantages en signant avec la Chine des Traités qualifiés par les Chinois d’« illégaux » parce qu’imposés par des forces supérieures.

Le gouvernement français, bien que politiquement laïc a pour sa part fait valoir un atout moral en introduisant dans les traités des clauses de protection des missionnaires et même des Chinois convertis au christianisme, ce qui les assimilaient à des étrangers traîtres à leur peuple. Le protectorat français sur les missions de Chine a sans doute permis le développement d’œuvres humanitaires, mais souvent dans des conditions humiliantes pour les Chinois. Une tentative d’ouverture de relations directes entre le Saint Siège et le gouvernement chinois a même été sabotée par le gouvernement français soucieux de maintenir son protectorat.

1919, année charnière

Un renversement du patronage missionnaire se produit à la fin de la première Guerre mondiale avec la publication par le pape Benoît XV de l’encyclique Maximum Illud en 1919. La mission d’évangélisation se désolidarise de l’entreprise de domination coloniale. Mgr de Guébriant, vicaire apostolique à Canton, fut alors nommé visiteur apostolique de toutes les missions de Chine. Il recommanda la nomination d’un délégué apostolique en Chine et la convocation d’un concile général des missions de Chine. Mgr Celso Costantini fut nommé délégué apostolique en 1922 et le concile souhaité prit place en 1924 à Shanghai. Mais tous les délégués qui prirent part au concile étaient encore des étrangers.

Il faut attendre octobre 1926 pour que six prêtres chinois soient ordonnés évêques à Rome par le pape Pie XI. Le lazariste belge Vincent Lebbe s’est fait le promoteur actif de cette nomination d’évêques. Mais les évêques chinois disposaient de peu de moyens et leur personnel composé de prêtres chinois était peu nombreux. Les évêques missionnaires ne se hâtèrent pas de transférer une partie de leur territoire à des responsables chinois et le gros des financements provenait de leurs pays chrétiens d’origine.

Les retards de l’Eglise face aux mouvements d’indépendance

L’Eglise prend du retard sur le développement de la Révolution chinoise lancée puissamment lors du Mouvement universitaire du 4 mai 1919 sous les étendards de Science et Démocratie. A la recherche d’une théorie révolutionnaire capable de sauver leur pays certains jeunes intellectuels fondent en 1921 le Parti communiste chinois. Craignant la montée de forces révolutionnaires d’inspiration marxiste, l’Eglise conseille à ses fidèles d’adopter une position neutre.

Après 1927, le Guomindang de Tchiang Kai-shek prend violemment position contre les éléments communistes et unifie la Chine sous le pouvoir nationaliste de Nankin. Les catholiques d’esprit civique coopèrent alors au mouvement Vie nouvelle lancé par le Guomindang dans l’esprit de la tradition morale confucéenne. Mgr Costantini, premier délégué apostolique en Chine quitte le pays en février 1933 après dix ans de service très appréciés. Le 28 novembre de la même année, Pie XI nomme à sa place Mgr Marius Zanin. Le nouveau délégué apostolique est reçu à Nankin par le président Lin Sen le 14 mars 1934. En juillet 1937, Le Japon entre en guerre ouverte contre la Chine. Des catholiques patriotes se distinguent dans la guerre de résistance contre l’envahisseur japonais. Mais le délégué Mgr Zanin adopte une position ambigue. Mgr Zanin s’installe à Hankou d’où il écrit une lettre à tous les évêques de Chine le 31 octobre, leur demandant de faire face à cet état de guerre en multipliant les secours aux victimes. Wuhan étant occupé par les Japonais, il se rend à Pékin. Le 14 mars 1939, il écrit une lettre au clergé de Chine, lui dernandant d’adopter une attitude purement spirituelle en se tenant à l’écart du conflit politique, évitant de s’engager ‘ni à droite ni à gauche’. Dans un pays en guerre, cette phrase malheureuse est fort mal interprétée par tous les Chinois. Aussi bien nationalistes que communistes forment alors un front uni contre l’envahisseur japonais.

Ouverture des relations diplomatiques Chine-Vatican

Au cours de la guerre en 1942, des relations diplomatiques sont finalement établies entre la Chine et le Vatican. M. Xie Shoukang 谢寿康 alors en Suisse, est nommé premier ambassadeur de Chine au Vatican. Cette décision fut sans doute précipitée du fait que le Japon venait d’obtenir le même avantage et que la Chine ne pouvait rester ignorée alors même qu’elle était victime de l’agresseur japonais. La politique vaticane jusque là favorable au Japon se devait d’ailleurs de prendre un nouveau tournant après l’attaque japonaise contre Pearl Harbour et sa déclaration de Guerre à l’Amérique.

Ces relations portent leur fruit après guerre en 1946. A Rome, Pie XII multiplie les gestes en faveur de la Chine : Mgr Tian Gengxin 田耕辛, évêque de Qingdao, reçoit le chapeau de cardinal le 18 février. Le 11 avril, le pape établit la hiérarchie en Chine. Le cardinal Tian est nommé archevêque de Pékin et Mgr Paul Yubin archevêque de Nankin. Les vicaires apostoliques deviennent des évêques résidentiels directement responsables de leurs diocèses. La hiérarchie est instituée en Chine. Tous les vicaires apostoliques deviennent officiellement évêques de leur diocèse. Les quelque 130 évêchés sont répartis en 20 circonscriptions ecclésiastiques sous l’autorité d’archevêques. Enfin le 6 juillet Mgr Riberi est nommé premier internonce apostolique en Chine. Mgr Zanin, rappelé en Italie, est nommé représentant du St Siège au Chili. Pour sa part, le gouvernement chinois de retour à Nankin nomme M. Jean Wu Ching-hsioung 吴经熊 ambassadeur au Vatican le 16 février 1947 en remplacement de M. Xie Shoukang. De 1946 à 1949, I’Eglise catholique en Chine panse ses plaies et connaît un nouvel essor d’une ampleur encore jamais atteinte.

Après guerre, nouvel afflux de missionnaires

Malheureusement, il n’y a alors qu’une poignée de diocèses sous l’autorité d’évêques chinois. En 1948, d’après l’Annuaire de l’Eglise Catholique en Chine 1949, y a en Chine 139 divisions eccIésiastiques: 20 archevêchés, 84 évêchés et 35 préfectures apostoliques. De ces 139 diocèses, 26 seulement sont administrés par des Chinois : 16 évêchés et 7 préfectures par le clergé séculier, deux diocèses par les lazaristes et un par les franciscains. Les victoires de l’armée rouge sur les troupes nationalistes minées par la corruption des généraux mènent alors à l’établissement de la République Populaire de Chine sous la direction de Mao Zedong le 1er octobre 1949. La Chine nouvelle marque alors son indépendance de tout pouvoir étranger en dénonçant «l’impérialisme » de tout le personnel d’Eglise étranger et en expulsant du pays environ 5000 évêques, prêtres et religieuses, soit plus des deux tiers du personnel religieux. Reste dans le pays une minorité squelettique de prêtres chinois dans des locaux au trois quart vides qui sont bientôt confisqués.

Le nonce apostolique ne suit pas le gouvernement nationaliste en exil à Taiwan, attendant des directives du nouveau gouvernement de la Chine. Il organise l’action catholique et soutient le développement de la Légion de Marie, un mouvement jugé anti-communiste. Il est chassé à Hongkong en mai 1952. De là, il se rend à Taïwan où il consacre Mgr Joseph Kuo , archevêque de Talpei le 25 octobre. Des relations diplomatiques s’ établissent avec le gouvernent de la République de Chine en exil à Taipei. Bien que réduites plus tard au plus bas niveau d’un chargé d’affaires, le gouvernement « dissident » de Taipei bénéficie d’une ambassade au Vatican, la seule en Europe. C’est un obstacle majeur à une entente officielle entre Rome et Pékin. D’un autre côté, le refuge de Taiwan a offert aux catholiques chinois plus de trente années d’intégration culturelle chinoise de premier ordre. Les productions catholiques de Taiwan, dans les domaines théologique, littéraire et artistique permettront un renouveau rapide de la vie d’Eglise sur le continent après 30 ans d’isolement et de disette.

II. LE SOCIALISME AUX COULEURS CHINOISES N’EST PLUS LE COMMUNISME CONDAMNE PAR L’EGLISE – à paraître

III. DEPUIS DECEMBRE 1978, ESSOR CONTINU DES RELIGIONS EN CHINE – à paraître