Eglises d'Asie

Le combat d’un prêtre contre les violences policières

Publié le 16/02/2018




La brutalité et les tortures semblent devenir la normalité pour la police sri-lankaise. Le père Nandana Manatunga, directeur du bureau des droits de l’homme de Kandy, se bat depuis des années pour y mettre fin.

Chamila Bandara connaît bien les tortures que fait subir la police. L’homme de 31 ans s’est fait battre froidement par la police alors qu’elle l’interrogeait à propos d’un vol dont le jeune homme affirme ne rien connaître, qui aurait eu lieu en 2003. Voulant le plier à leur volonté, les officiers de la station de police d’Ankumbura, dans l’ancienne capitale de Kandy, auraient rempli un sac plastique d’essence avant de l’attacher autour de sa tête. Les coups ont continué de pleuvoir sur lui, les gardes utilisant leurs bottes, leurs poings et même des battes de cricket, pour le persuader, témoigne Chamila.
Des groupes d’opposants et de survivants à la torture policière – tous n’en sortent pas vivants – affirment que cette pratique est largement répandue dans le pays, si ce n’est institutionnalisée. Ils ajoutent que la situation a empiré ces dernières années, malgré les dires du gouvernement affirmant que les forces de l’ordre ne punissent pas les suspects ainsi. Même le bureau des personnes disparues (Office of missing persons), lancé en 2016, serait concerné par le problème. Les Nations Unies ont mis en garde le gouvernement à propos de ces accusations.

Mise en garde des Nations Unies

Chamila Bandara est reconnu pour sa bravoure, même si d’autres n’ont pas eu la chance d’en sortir vivants. Le 10 décembre, il a reçu un prix pour son courage face à la cruauté, offert par une organisation catholique sri-lankaise pour la défense des droits de l’homme, le 10 décembre. Son combat contre les violences policières continue, et ne semble pas prêt d’être terminé. Beaucoup de suspects ont été battus, même pour des infractions mineures. L’an dernier, deux personnes sont mortes sous la garde de la police, après avoir été arrêtées en février 2017. La commission asiatique des droits de l’homme a rapporté, pour l’année 2017, neuf morts du même type ainsi qu’une autre tentative sur un suspect.
Une des victimes, Gamini Edward, est morte le 4 octobre dans la prison de Negombo, sur la côte ouest du pays. Le médecin légiste de l’hôpital de Negombo a rapporté des hémorragies internes. Kariyawasam Gamage, 39 ans, a été arrêté par la police de Nagoda le 9 février ; il est mort le matin suivant. Des sources rapportent que son corps était couvert de blessures. Ces deux affaires ont fait l’objet de plaintes, mais des avocats estiment que dans ce pays, plus connu pour ses plantations de thé luxuriantes et ses plages limpides, elles seront étouffées.

Un combat encore long

Selon le rapport du ministère des affaires étrangères, 33 policiers ont été convoqués l’année dernière, alors qu’une centaine ont été accusés d’agression et de tortures. Le nombre d’accusations devrait grimper l’année prochaine. « La torture est la routine dans les stations de police ici », confie le père Nandana Manatunga, directeur du bureau des droits de l’homme de Kandy. Il a organisé une pétition en 2016, pressant le procureur général du Sri Lanka. « Nous avons classé le cas de Chamila Bandara comme une affaire concernant les droits fondamentaux, et nous l’avons déposé à la Cour Suprême », ajoute le prêtre. « Le problème vient du fait que la plupart des dossiers sont détenus par la police ; ce n’est pas difficile pour elle de les modifier. »
Le prêtre utilise le cas de Bandara pour illustrer cette situation. Celui-ci explique avoir été détenu pendant une semaine, une affirmation contredite par le rapport de la police. Le père Manatunga reconnaît que le combat sera difficile, mais pas forcément impossible. « Nous avons déjà gagné une affaire de torture contre la police. Rohita Liyanage a été torturé par deux policiers en 2005 ; ils ont tous les deux été condamnés à sept ans de prison par la Haute Cour de Kandy il y a quelques années. » Le prêtre confie que la police essaie de « briser » les suspects pour les forcer à avouer, les poussant à bout avant de glisser sous leur nez une feuille et un stylo. « Ils doivent être formés correctement sur les méthodes d’investigation, des méthodes qui n’incluent pas la torture », demande le prêtre.
Selon Ruwan Gunesekera, un porte-parole de la police sri-lankaise, affirme que pour les cas de torture et de violences envers les suspects, la politique nationale est la « tolérance zéro ». Des ateliers ont été mis en place pour mieux former les officiers, précise Ruwan. « Nous avons demandé à tous nos officiers d’entreprendre immédiatement des actions disciplinaires contre tous ceux qui seraient liés à des épisodes de torture. Selon nos rapports, le nombre de ce type d’affaire diminue. »
Le père Manatuga n’est pas convaincu. Il ne croit pas que ces ateliers auront beaucoup d’impact sur une mentalité déjà bien enracinée. Le Sri Lanka a appliqué la convention des Nations Unies pour la prévention de la torture en 1994. La constitution stipule que nul ne doit être sujet à la torture ou à des traitements dégradants.

(Ucanews)