Eglises d'Asie

Une fée bleue, une martyre oubliée et une famille en deuil

Publié le 23/02/2018




La famille d’une Missionnaire de la Charité demande à l’Église de préserver la mémoire d’une martyre oubliée. Sœur Sueva, originaire du groupe ethnique garo, communauté indigène bangladaise, a été tuée par des rebelles au Sierra Leone en 1999.

Dans le petit village de Madhabpur, dans le nord-est du Bangladesh, le soleil matinal fait briller une petite croix blanche, au pied des collines et forêts alentours. Cette croix a été posée en mémoire de sœur Sueva, Missionnaire de la Charité, la congrégation fondée par sainte Mère Teresa. Surnommé « fée bleue » à cause de ses dons pour la danse et le théâtre, révélés durant sa scolarité, sœur Sueva a été tuée par des rebelles au Sierra Leone en 1999, durant la guerre civile de ce pays d’Afrique de l’Ouest.
Nidra Chanchala Asacra, 45 ans, confie à propos sœur Sueva, sa grande sœur : « Elle a dit un jour qu’elle avait rejoint les Missionnaires de la Charité parce qu’elle aimait les pauvres. Elle aimait ce sari blanc et bleu que portent les soeurs, aujourd’hui célèbre. Sa vie a été courte, mais nous croyons qu’au ciel, elle continue de porter ce sari, aujourd’hui taché du sang d’une martyre. Elle nous manque tous les jours. »
Sœur Sueva et sa communauté s’occupaient d’un centre pour les enfants handicapés à Freetown, la capitale du Sierra Leone. Ils y servaient aussi les pauvres et les victimes de la guerre en leur donnant de la nourriture, des médicaments et des habits, avant que des rebelles ne demandent aux sœurs d’arrêter ces activités. Les jeunes rebelles ont tenu les cinq sœurs en otage durant deux semaines. Un des rebelle a tué par balles deux des sœurs, dont sœur Sueva, le 22 janvier 1999. Deux jours plus tard, ils ont relâché les trois autres sœurs. La « fée bleue » de Madhabpur est morte à l’âge de 43 ans. Elle a été enterrée au Sierra Leone avec l’autre sœur tuée, d’origine kényane. Les Missionnaires de la Charité du Bangladesh ont pu rapporter à sa famille de la terre provenant de sa tombe.

Une aventure hors du commun

Sœur Sueva est née le 6 janvier 1956, d’une famille non chrétienne du groupe ethnique garo, une ethnie originaire d’Asie centrale. Cinquième sur sept enfants, elle a été appelée Sujila Susans Asacra. La famille était fidèle de la religion traditionnelle garo, Sangsarek. De quatre à huit ans, elle a été placée dans l’école catholique Saint-Joseph de Ranikhong, du district de Netrokona, dépendant du diocèse de Mymensingh dont la population est majoritairement garo. « Nous sommes allés ensemble à l’école. Nous étions passionnés de musique et de théâtre. C’était une fille adorable, elle était proche de tout le monde et s’inquiétait du bien-être de tous ceux qui l’entouraient », se souvient son frère, Shachindra Asacra, 75 ans.
Ces quatre années ont changé la vie de Sujila pour toujours. Elle était attirée par le christianisme et a demandé à son père de l’autoriser à devenir catholique. Au début, son père était déçu, mais il a fini par accorder à sa fille ce qu’elle désirait. Sujila est donc devenue catholique à l’âge de 12 ans, en 1968. Ses frères et sœurs l’ont suivi peu après, mais ses parents ont continué de pratiquer leur religion traditionnelle. En 1980, elle a rejoint les Missionnaires de la Charité. Elle a prononcé ses vœux temporaires à Calcuta, en Inde, en 1984, puis ses vœux perpétuels à Rome, le 24 mai 1989. Plusieurs années avant sa mort, toute sa famille, y compris son père, est devenue catholique, inspirés par l’exemple de sœur Sueva.
Sujila était une élève médiocre. Elle a raté deux fois ses examens de fin de collège et ses professeurs critiquaient son anglais. Pourtant, contre toute attente, elle est devenue une missionnaire dévouée et a servi aux Pays-Bas, en France, au Portugal, au Japon, en Israël, en Yougoslavie, en Côte d’Ivoire et au Sierra Leone. Elle voulait faire une visite au Bangladesh en 2000, voyage qu’elle n’a jamais pu entreprendre. « Ma sœur a beaucoup travaillé au nom de Jésus, et a connu la mort d’une martyre. Je crois qu’elle est au ciel et que l’Église devrait la faire connaître aux gens », soutien son frère.

Martyre oubliée

Sœur Sueva est devenue la première catholique bangladaise à mourir en martyr sur une terre étrangère. Sa mort soudaine a attristé les chrétiens comme les non chrétiens. Durant des mois, sa vie, son travail et son martyre ont été donnés en exemple par les médias locaux et nationaux, qu’ils soient chrétiens ou non. En 2000, le diocèse de Mymensingh a organisé un programme important en commémoration de la sœur, un an après sa mort. La même année, un prêtre italien de l’Institut pontifical pour les missions étrangères a publié une biographie de sœur Sueva. Cette biographie est devenue si populaire que l’éditeur dut publier une seconde édition.
Depuis, l’anniversaire de la mort de sœur Sueva, le 22 janvier, est ignoré, sans commémorations ni publications. Sa famille organise toujours une messe dans leur maison, où les villageois se rassemblent en sa mémoire. En 2014, le père Arturo Speciale, un autre prêtre de l’Institut pontifical pour les missions, a financé l’installation de la croix commémorant la sœur, à l’endroit où vit sa famille. L’Église catholique du Bangladesh attend la canonisation de deux personnalités : Mgr Theotonius Amal Ganguly, premier archevêque bengali de l’archidiocèse de Dhaka et décédé en 1977, et le frère Flavian Laplante de Chittagong. Ils ont tous deux été déclarés serviteurs de Dieu par leurs diocèses respectifs, première étape pour leur canonisation.
Cependant, sœur Sueva est tombée dans l’oubli. « C’est très décevant », regrette un écrivain et chercheur garo réputé, Subhash Jengcham. « C’est la première martyre venant de la communauté garo. Pourtant, l’Église locale et la communauté garo n’ont rien fait de particulier en sa mémoire, ni publié des écrits sur sa vie et son travail. Elle sera peut-être canonisée un jour, mais quelqu’un doit prendre l’initiative. »

Première martyre garo

Sa sœur, Nidra Asacra, a du mal à comprendre ce manque d’intérêt : « Elle paraît oubliée, alors qu’elle devrait être présentée comme un modèle pour la jeunesse bangladaise d’aujourd’hui. Cela pourrait nourrir leur foi. » Nidra explique que la famille voudrait qu’une statue puisse être érigée près de la maison familiale de sœur Sueva, pour permettre aux gens de venir y prier. « Beaucoup de gens viennent rendre visite à la petite croix blanche. Ils nous offrent des bougies en nous demandant de prier à plusieurs intentions. Ils reviennent nous dire que leurs prières ont été exaucées. Cet endroit devrait être arrangé pour pouvoir recevoir plus de monde. »
Toutefois, pour le père Plinson Mankin, curé de la paroisse de Ranikhong, la demande de la famille n’est pas cohérente : « Sœur Sueva a quitté sa famille pour Dieu et pour l’Église. Tout monument en sa mémoire devrait se trouver dans l’église, pour que plus de gens lui rendent visite et puissent la connaître. » Pourtant, le prêtre reconnaît que la sœur mérite d’être plus connue : « Nous en avons parlé en paroisse et au niveau diocésain. Nous réfléchissons sur ce que nous pouvons faire à propos de sœur Sueva. »
Le père Niren Norbert Mrong, chancelier du diocèse de Mymensingh, partage lui aussi ce sentiment : « C’est triste, mais nous avons manqué l’initiative de la faire connaître ces dernières années. Durant la prochaine assemblée pastorale, nous allons en discuter pour mieux la faire connaître aux gens, pour que tout puisse être fait en sa mémoire. »

(Ucanews)