Quand le bout de papier chiffonné est tombé sur le trottoir, Siti ne s’attendait pas à ce qu’il renferme un appel à l’aide. « Je me dirigeais à l’arrêt de bus ce matin quand j’ai entendu quelqu’un appeler ‘psst, psst’ »… raconte cette employée de maison indonésienne, immigrée en Malaisie, sur Facebook. Siti se souvient s’être retournée pour voir une femme agiter sa main à travers les barreaux d’une fenêtre d’un appartement. « Quand elle a vu que je l’avais aperçue, elle m’a lancé un papier avant de s’enfuir brusquement. Je l’ai ramassé et je l’ai ouvert. Il disait : ‘Aidez-moi, appelez mon mari. Qu’il informe l’agent que mon employeur ne me m’a pas payée et refuse de me laisser partir.’ »
Siti a tout de suite appelé le numéro indiqué et transmit le message au mari de cette femme. Il lui a répondu qu’il ne savait pas comment contacter l’agent qui avait recruté sa femme pour un emploi en Malaisie. Comprenant que le couple n’avait aucun ami ici, Siti prit l’initiative d’informer l’ambassade indonésienne. Mais elle ne sait pas ce qu’est devenue cette femme. Durant des années, des femmes originaires de la région ont afflué en Malaisie pour des emplois domestiques à bas coût. Pour beaucoup d’entre elles, faire le ménage ou d’autres taches précaires sont une façon de sortir de la pauvreté. Mais le danger que représente ce genre d’emplois n’est que trop répandu.
Rapport 2017 alarmant
La plupart des travailleurs étrangers en Malaisie sont recrutés via des systèmes de parrainage, liant leur statut d’immigrés à leurs employeurs. Ceux-ci peuvent les renvoyer quand ils veulent et les empêcher de changer de travail. Cela entraîne l’exploitation et les abus en toute impunité, alertent les militants.
En février, une domestique indonésienne est morte dans des conditions douteuses. Adelina Jemira Sau travaillait pour une famille de Penang. Ses employeurs sont accusés de l’avoir privée de nourriture et de soins. Elle a été secourue et envoyée à l’hôpital le 10 février, après l’appel d’un voisin, mais elle est morte le jour suivant. Ses employeurs, une femme de 36 ans et son frère, font aujourd’hui l’objet d’une enquête pour meurtre, selon la police, citée par l’agence de presse malaisienne Bernama.
En février 2017, une autre employée indonésienne, Jubaedah, 38 ans, est également morte à cause de l’exploitation de son employeur. En 2015, un couple a été condamné à mort par la cour d’appel pour le meurtre de leur aide cambodgienne âge de 24 ans, Mey Sichan. Le verdict a par la suite conclu à un homicide et la peine fut réduite à dix ans de prison. Mey est morte de faim.
L’une des affaires qui fit le plus de bruit est celle de Nirmala Bonat, employée de maison en 2004. Durant le jugement de son employeur en 2014, elle a accusé celui-ci de l’avoir torturée avec un fer à repasser brûlant. En 2015, le gouvernement népalais a révélé que 461 travailleurs népalais sont morts en Malaisie. Une organisation internationale du travail rapporte que ces morts sont dues à leurs « conditions de travail pénibles, au stress et à un manque d’accès aux soins ».
Le rapport 2017 du département d’état américain sur la traite des personnes se révèle alarmant sur les conditions des étrangers « travaillant dans l’huile de palme, pour des exploitations agricoles, sur des chantiers, dans l’industrie électronique ou comme employés de maison. Ils sont soumis à des pratiques telles que le travail forcé, en voyant par exemple leur passeport confisqué… mais ils subissent aussi les violations de contrat, les privations de liberté, les exploitations salariales, ou encore se voient criblés de dettes par les agents de recrutement et par les employeurs… »
« Les autorités ferment les yeux »
Une telle situation révèle le manque de protection des travailleurs en Malaisie. Clorene Das, directrice de Tenaganita, une organisation de défense des droits de l’homme à Kuala Lumpur en Malaisie, qui vient en aide aux migrants. Son organisation a recensé, entre juin et décembre 2017, 120 cas d’abus et d’exploitation. « Le nombre de cas et leur gravité sont révoltants. Tout comme la façon dont ces abus sont acceptés. Dès qu’une affaire ne fait plus parler d’elle dans les médias, les autorités ferment presque toujours les yeux » explique Das.
Tenaganita alerte sur cette situation depuis vingt ans, mais l’effort du gouvernement pour mieux protéger les travailleurs a été jusqu’ici minime. Le refus de les reconnaître comme travailleurs les empêche d’avoir accès aux mêmes protections que les travailleurs malaisiens. Les gouvernements malaisiens sont, de fait, complices de la traite des personnes et de l’exploitation des travailleurs. Les ministres ignorent le problème. La collaboration de la police et des services d’immigration, entre autres, avec les agents de recrutement et les employeurs, favorisent les abus.
En 2016, le sous-ministre malaisien de l’intérieur, Nur Jazlan Mohamed, a reconnu les mauvais traitements des employeurs malaisiens : « Les employeurs ne veulent pas être tenus responsables du bien-être des travailleurs étrangers. »
Le gouvernement a déclaré qu’environ 1,8 million de travailleurs étrangers étaient enregistrés en Malaisie en juin 2017. Plus du double travaillerait dans le pays illégalement. La mort d’Adelina le mois dernier montre que la situation a peu évolué. L’expérience de Siti, toutefois, donne espoir. Elle montre que les employés domestiques ont compensé l’échec des gouvernements en tissant un réseau de soutien via des applications mobiles et sur les médias sociaux, pour partager et veiller les uns sur les autres.
(Ucanews, Kuala Lumpur)