Eglises d'Asie

Violences religieuses : le couvre feu est levé mais l’état d’urgence maintenu

Publié le 13/03/2018




Le Sri Lanka a levé le couvre-feu à Kandy, au centre du pays, installé la semaine dernière suite aux violences entre bouddhistes et musulmans. L’état d’urgence est maintenu et les musulmans font part de leur peur d’autres attaques. La population accuse des groupes bouddhistes nationalistes dont Bodu Bala Sena. Le gouvernement a nommé une commission afin d’enquêter sur les attaques.

Le président Maithripala Sirisena doit nommer les trois membres d’une commission chargée d’enquêter sur les attaques de groupes bouddhistes contre des musulmans, survenues la semaine dernière au Sri Lanka. La police avait imposé un couvre-feu dans le district de Kandy, le 6 mars, qui a été levé le 10 mars. En revanche, l’état d’urgence nationale déclarée le 6 mars pour une durée de dix jours est maintenue. Le premier ministre Ranil Wickremesinghe confie que les responsables des attaques seront bientôt dénoncés. Il assure que les familles des victimes recevront une compensation.
Selon la police, 465 maisons, véhicules et commerces ont été détruits ou endommagés durant les violences religieuses, alors même que le pays se remet péniblement de la guerre civile (1983 – 2009) qui a causé des pertes et destructions sans nombre. Beaucoup d’habitants ont été témoins d’incendies ayant brûlé maisons, commerces et véhicules appartenant à des musulmans, malgré une forte présence militaire et policière. Les musulmans confient vivre dans la peur dans le district de Kandy. Il est courant de voir les musulmans, jeunes et anciens, se rassembler devant les maisons, boutiques et véhicules ainsi ravagés. Quelques villages du district de Kandy ne sont plus habités que par des policiers et des soldats. Beaucoup de boutiques musulmanes ont été fermées. La police, les soldats et des véhicules armés patrouillent les rues. Des postes de contrôle ont été installés pour contrôler ceux qui entrent dans la région.

« Nous avons perdu tous nos biens »

M. Saleem, 69 ans et ses proches ont vu les flammes détruire leur nouvelle maison tout juste construite et leurs véhicules à Mullegama-Abathenna, un quartier de Kandy. « Nous avons perdu tous les biens de la famille. Mes enfants et mes proches sont effrayés et choqués » confie Saleem en pleurant. Le 5 mars, vers 9 heures du matin, quand plus de 500 personnes sont arrivées dans le village en criant des propos injurieux, Saleem et sa fille de cinq ans ont tout laissé et se sont enfuis. Saleem assure que deux véhicules de police étaient proches de sa maison quand la foule bouddhiste a attaqué près de vingt maisons. « Ils ont attaqué sans que la police intervienne – nous ne pouvons pas leur faire confiance. Nous avons été attaqués alors qu’ils étaient présents, et nous ignorons ce qu’il pourrait arriver la semaine prochaine », regrette-t-il.
« Le couvre-feu et la présence des militaires ont été bénéfiques aux attaquants, puisqu’il n’y avait personne sur les routes, même après le 5 mars. C’est une honte que le gouvernement laisse ces groupes bouddhistes créer une atmosphère de violence et d’insécurité au sein de toutes les communautés minoritaires du pays. Nos enfants voient cette forte présence militaire armée et ils refusent de sortir jouer avec leurs amis. Nous avons peur de retourner au village » témoigne Saleem.
Les tensions ont éclaté après qu’un chauffeur cingalais a été tué par un groupe d’hommes musulmans à Kandy. Selon les résidents, les foules bouddhistes venaient de l’extérieur de la région et leurs attaques étaient planifiées. La police a demandé aux victimes de venir faire leur rapport à la station de police la plus proche le 11 mars. M. Nisamdeen, 51 ans, père de cinq enfants à Kubukkadura, raconte que beaucoup d’attaquants étaient des enfants qui avaient l’âge d’être à l’école ; ils sont entrés à Kandy avec des bâtons et des pierres. « Il y avait un moine bouddhiste qui guidait la foule », ajoute-t-il. Abdeen Shakilabibi, 53 ans, confie, alors qu’elle nettoie sa maison endommagée, que la minorité musulmane a peur de vivre parmi la majorité bouddhiste.

Des groupes nationalistes accusés

La mosquée de Kandy a ouvert un bureau d’information pour rassembler les détails de l’attaque. Selon ce bureau, 25 mosquées auraient été attaquées et deux personnes sont mortes. Des violences antimusulmanes similaires ont éclaté dans l’est du Sri Lanka fin février après qu’une fausse rumeur rapportait que des pilules contraceptives étaient servies aux clients cingalais dans un restaurant musulman d’Ampara. Cela a nourri la peur cingalaise d’une conspiration visant à réduire la population cingalaise.
Le ministre Thilina Bandara Tennakoon assure que le gouvernement s’efforce de compenser les victimes pour leurs pertes : « Le gouvernement a déjà commencé à rassembler les informations village par village. La police et les militaires ont été déployés jour et nuit pour assurer la sécurité. » Les attaques ont conduit à l’arrestation de 161 suspects. Deux étudiants ont été arrêtés pour avoir répandu de fausses informations sur les médias sociaux.
Les habitants de Kandy ont accusé des groupes racistes, et non la communauté cingalaise dans son ensemble. Ils affirment que des groupes extrémistes détruisent l’harmonie et font des ravages au Sri Lanka. Le groupe nationaliste bouddhiste Bodu Bala Sena a prétendu que les minorités devraient savoir rester à leur place. Bodu Bala Sena, Mahason Balaya, Rawana Balaya, Sinhala Rawaya et Sinhale sont la main droite de quelques moines bouddhistes nationalistes. L’ancien président manda rajapaksa est accusé d’avoir aidé ces groupes dans le passé.

(Avec Ucanews, Quintus Colombage et Niranjani Roland, Kandy)