Eglises d'Asie

Une mère prie pour la libération de son fils

Publié le 15/03/2018




Cinq ans après l’attaque du quartier chrétien de Joseph Colony, à Lahore, le voisinage tente de retrouver la paix et d’améliorer leurs conditions de vie. Témoignage de Chaman Masih et Billo Bibi, les parents de Sawan Masih, accusé de blasphème en 2013.

Deux caméras gisent encore à l’entrée du quartier de Joseph Colony, à Lahore, cinq ans après l’incendie criminel provoqué par une foule de plusieurs milliers d’attaquants, en réaction à des accusations de blasphème. Sawan Masih, 30 ans avait alors été condamné pour des remarques désobligeantes envers le prophète Mohammed, proférées lors d’une dispute avec un ami musulman. Sa maison, reconstruite depuis, se trouve près de l’entrée du quartier chrétien de la ville. Ce père de trois enfants est toujours emprisonné à la prison centrale de Faisalabad, où il attend un appel contre une peine de mort prononcée en 2014. Sa mère, Billo Bibi, 50 ans, lui rend visite chaque mois avec ses filles.
« Nous prions toujours pour qu’il soit relâché. Mon mari est âgé et depuis l’arrestation de Sawan, il a des problèmes respiratoires. Il ne parle plus. Ma belle-fille est retournée vivre chez ses parents », témoigne Billo. « Les autorités carcérales prévoient de le transférer à Sahiwal [à 170 kilomètres de Lahore]. Aller jusqu’à Faisalabad était déjà difficile. Maintenant, ils l’envoient encore plus loin. » Chaque année, le 9 mars, elle participe à une veillée aux chandelles devant les portes du quartier de Joseph Colony, en commémoration de l’attaque de 2013, dont les responsables ont pillé et détruit 116 maisons et deux églises.

Le 9 mars, commémoration des attaques de 2013

Environ trente personnes, dont des militants et des locaux, ont participé à un temps de prière le 9 mars. Des prières particulières ont également été dites dans les deux églises du quartier. Rawadari Tehreek, un mouvement qui soutient le pluralisme, a voulu marquer cet anniversaire de l’attaque par une grève de la faim, le même soir, devant l’assemblée du Pendjab. Plusieurs responsables chrétiens locaux ont participé au rassemblement, dont l’évêque anglican de Raiwind, Mgr Azad Marshall, ainsi que Patras Masih, l’avocat de l’accusé.
Environ 100 manifestants ont dénoncé les attaques fréquentes contre les minorités religieuses au Pakistan, utilisant le prétexte du blasphème, et demandent que le gouvernement légifère contre le recours abusif aux lois sur le blasphème. Ils ont également lancé des slogans en l’honneur de Sajid Masih, un jeune de 26 ans qui a sauté du quatrième étage des quartiers pendjabi de l’agence fédérale d’instruction le 23 février, durant son interrogatoire en présence de son cousin accusé de blasphème.
Également en février, six chrétiens de Faisalabad ont été arrêtés par la police après avoir été accusés de blasphème en critiquant la poésie glorifiant le prophète Mohammed. Le plaignant musulman a également prétendu que les accusés l’avaient empêché d’inscrire la Kalima (la déclaration de foi des musulmans) sur un mur. Plus tôt le même mois, une foule s’est attaquée aux fidèles de l’Église pentecôtiste Gospel Assembly du Pakistan, dans le district de Sahiwal au Pendjab.

74 % des affaires de blasphème au Pendjab

Durant la période de reconstruction du quartier, les Églises chrétiennes au Pakistan et les ONG ont financé des camps de soins, de la nourriture pour six mois et autres besoins ménagers aux familles touchées par les attaques. Mais rien n’a été fait pour améliorer leurs conditions de vie, la majorité d’entre eux étant travaillant comme agents d’entretien. « Très souvent, le quartier est plein de poussière à cause des fonderies et des aciéries alentour » explique Tariq Anthony, conseiller auprès des minorités. « Il n’y a aucun établissement de soins. La seule école du quartier n’enseigne que jusqu’au primaire. L’eau courante est chargée en zinc entre autres particules. Les allergies sont fréquentes. La station d’épuration la plus proche est à cinq kilomètres. »
Le militant chrétien a déposé une plainte pour fraude contre le comité du district, composé de politiciens locaux et de pasteurs, qu’il accuse de s’être approprié un don en provenance du Canada. La cour de Lahore l’a renvoyé vers le bureau de la comptabilité nationale ce mois-ci. « Les victimes devaient recevoir 120 millions de roupies (185 000 dollars américains), 84 motos, 34 vélos, 20 ordinateurs portables et trois ‘tuk-tuks’. La police a refusé d’enregistrer ma version des choses. Trois membres du comité sont morts. Les autres devraient craindre Dieu », dénonce Anthony, inquiet à propos de la croissance du nombre de chrétiens accusés de blasphème.
« Quand les militants de Tehreek-e-Labaik [un parti politique islamiste] ont mis le feu aux pneus et bloqué une partie de la Grand Trunk road le mois dernier, plusieurs personnes de mon voisinage ont confié leurs filles à leurs proches pour quelques jours, de peur d’une nouvelle attaque », explique-t-il. « La majorité pense que c’est une bonne action et encourage de tuer les personnes accusées de blasphème. Les chrétiens sont peu nombreux et ne peuvent pas former de foule. Nous sommes faibles. Pour nous, il devient plus sûr de livrer les accusés que de risquer la vie de toute la communauté. Les minorités religieuses au Pakistan sont souvent suspectées d’être liés à des influences étrangères. Dans les autres pays, ils sont considérés comme extrémistes. »
Selon le centre pour la justice sociale, 74 % des affaires de blasphème au Pakistan sont enregistrées au Pendjab, dont 11 % (173) pour la seule ville de Lahore. Au moins 75 personnes ont été tuées après avoir été accusées d’insulter l’islam. Parmi eux, un juge à la retraite, Arif Iqbal Bhatti, qui fait partie des deux juges qui ont acquitté deux adolescents chrétiens accusés de blasphème.

(Avec Ucanews, Kamran Chaudhry, Lahore)