Eglises d'Asie – Bangladesh
Les ouvriers catholiques s’efforcent de conjuguer foi et travail
Publié le 20/03/2018
Pour Raphael Hembrom, un catholique de la tribu Santal, du diocèse de Rajshahi dans le nord du Bangladesh, l’arrivée du Carême chaque année jette un peu un froid. Raphael, 35 ans, travaille pour une usine textile à Zirani, un centre industriel du district de Gazipur, à environ 40 kilomètres au nord de la capitale, Dhaka. Il est venu emménager ici il y a huit ans, à la recherche d’un travail. Il a fini par en trouver un dans l’industrie textile, très dynamique au Bangladesh.
« Je me souviens du temps où j’habitais encore au village. Durant le Carême, je participais au chemin de croix les vendredis, avec mes amis. Je trouvais les chants rappelant la souffrance du Christ très émouvants », raconte Raphael. Il s’est marié il y a deux ans et vit aujourd’hui près de son lieu de travail avec sa femme, qui s’occupe de la plupart des tâches ménagères. « Depuis que je suis venu à Dhaka, je ne peux plus participer au chemin de croix, à la messe du dimanche, ni à aucune pratique religieuse », explique-t-il. « Je voudrais jeûner le vendredi, mais ce n’est pas possible. Nous travaillons en équipe et en général, je travaille le vendredi. Je le regrette, mais il n’y a rien à faire. »
Raphael travaille environ 10 à 13 heures par jour, en comprenant les heures supplémentaires, et ne dispose que d’un jour de repos par semaine. Il gagne entre 13 000 et 15 000 takas par mois (entre 125 et 145 euros). Il ne lui reste que très peu d’économies à la fin du mois, après avoir déduit les dépenses de sa famille, l’argent qu’il envoie à ses parents et ses 4 000 takas de loyers qu’il paie pour une petite maison d’une pièce au toit de zinc. « Même si nous travaillons dur jour et nuit, nous ne gagnons pas beaucoup. Quand je rentre à la maison, le soir, je me sens tellement épuisé que je m’écroule juste après le dîner, car je dois me lever tôt le jour suivant. Au village, nous avions l’habitude de prier tous les soirs en famille. Mais ce n’est plus possible », confie-t-il.
Un « Centre Jésus Ouvrier » consacré aux travailleurs
Raphael s’inquiète de l’éducation de ses futurs enfants, il voudrait leur transmettre de solides bases chrétiennes. « J’ai toujours la foi et je suis les enseignements de l’Église. Je me souviens de ce que j’ai appris quand j’étais enfant. Mais j’ai un peu peur de l’avenir – quand nous aurons des enfants, j’ignore ce qu’ils pourront recevoir comme enseignement religieux, comme catéchisme », ajoute Raphael.
L’Église catholique offre un soutien spirituel et pastoral aux travailleurs migrants chrétiens du Bangladesh, mais l’étendue de ce soutien est limitée aux moyens financiers et au personnel dont elle dispose. Pour pallier aux besoins, des missionnaires italiens de l’Institut pontifical pour les missions étrangères (PIME) ont ouvert le Centre Jésus ouvrier (Jesus Worker Center) en 2009, l’un des quelques programmes qui proposent leur aide aux travailleurs migrants. Ce centre propose également de loger les nouveaux arrivants, le temps qu’ils trouvent un lieu où s’installer.
Mais Raphael, comme beaucoup d’autres de ses semblables, manque de temps pour rendre visite au Centre, et ne parvient donc pas à bénéficier de ses services. « Environ 2 000 travailleurs migrants chrétiens, soit près de 800 familles, visitent le centre occasionnellement. La plupart d’entre eux viennent de tribus autochtones », explique un prêtre du PIME, qui fait partie de l’équipe du centre. Il préfère rester anonyme. « Ils ont des emplois éreintants dans divers secteurs industriels. Le défi majeur est leur emploi du temps extrêmement chargé, qui ne leur laisse aucun temps libre pour la prière ou toute activité spirituelle. Ils travaillent d’arrache-pied de jour comme de nuit… »
15 000 takas par mois (145 euros)
Pour s’attaquer au problème, le centre organise des rencontres et des séminaires pour les ouvriers durant les jours fériés. « Nous mettons des programmes en place et nous nous rendons dans les zones où vivent la plupart des ouvriers. Nous visitons leurs familles, nous essayons d’être à l’écoute de leurs problèmes et de trouver des solutions. Parfois, nous célébrons la messe chez eux. Durant le Carême, avant Pâques, nous organisons un chemin de croix et un programme de soutien spirituel », ajoute le prêtre.
Kakoli Marandy, 30 ans, est également de l’ethnie Santal et mère de deux enfants. Elle vient du district de Naogaon, dans le nord du pays. Elle travaille dans une usine de conditionnement à Pagla, dans le district de Narayanganj, près de Dhaka. Son mari travaille comme gardien dans une usine locale. Ils gagnent environ 15 000 takas par mois (145 euros). Bien qu’il y ait une petite église catholique à Narayanganj, il faut presque une heure à Kakoli pour s’y rendre en bus ou en bateau. « Durant le Carême, nous voulons assister au chemin de croix le vendredi, mais à cause de la distance et du trafic, ce n’est vraiment pas facile, même le week-end », explique-t-elle. « Nous ne pouvons pas participer à la messe dominicale, car c’est un jour de travail. Beaucoup de catholiques dans la région sont dans la même situation. »
Kakoli ajoute que sa famille n’a pas pu participer au chemin de croix depuis cinq ans. Elle n’a pas pu fêter Pâques non plus avec sa famille ou avec ses proches. Pâques n’est pas un jour férié au Bangladesh, dont la population est majoritairement musulmane. « Cela nous attriste de ne pouvoir nous rendre à l’église, malgré notre amour pour notre foi. Mais nous devons d’abord travailler pour pouvoir nourrir nos enfants et pour qu’ils reçoivent une éducation. Après cela, seulement, nous pouvons y penser », confie-t-elle.
60 000 à 70 000 ouvriers chrétiens migrants à Dhaka
Environ 60 à 70 mille chrétiens migrants travaillent dans diverses zones industrielles dans la région de Dhaka, selon la commission épiscopale justice et paix (JPC). En 2010, la JPC a créé le Bureau pour les migrants et pour les personnes déplacées, afin de fournir aux migrants chrétiens de Dhaka un soutien pastoral, de l’aide pour l’éducation des enfants, ainsi que des services de sensibilisation. Toutefois, le bureau n’est pas encore pleinement actif, faute de prêtres qualifiés qui puissent être affectés à ces régions, selon Mgr Gervas Rozario, évêque de Rajshahi, également président de la commission épiscopale.
« Ce bureau a été créé pour aider les travailleurs migrants à faire face à l’injustice dans leurs lieux de travail et ailleurs. Je pense que quand on les prive de soutien pastoral et spirituel, il s’agit d’une forme d’injustice », affirme l’évêque. « Le Centre Jésus ouvrier essaie de combler le vide, mais nous voudrions reproduire ce modèle ailleurs », ajoute Mgr Rozario.
De temps en temps, la JPC envoie une lettre aux paroisses proches des zones industrielles, afin de presser les prêtres de développer leurs services aux travailleurs migrants, pour que ceux-ci puissent reconnaître l’amour de l’Église, espère l’évêque. « Cela prendra du temps de mettre en place un programme d’aide efficace. En attendant, nous devons faire tout ce que nous pouvons pour qu’ils puissent rester en lien avec l’Église tout en gardant leur travail. »
(Avec Ucanews)