Eglises d'Asie

Les réfugiés des camps bangladais s’organisent pour leur survie

Publié le 22/03/2018




Comme ce vendeur du camp de Balukhali, au Bangladesh (photo), beaucoup de réfugiés rohingyas se lancent dans de petits commerces pour assurer leur survie… Quitte à emprunter de petites sommes, en attendant que leur retour chez eux, en Birmanie, puisse être garanti en toute sécurité. Les réfugiés hindous qui ont également fui les violences, quant à eux, ne veulent pas attendre.

Cox’s Bazar, petite ville de pêcheurs bangladais, est d’ordinaire plus connue pour ses 125 kilomètres de plages paradisiaques. C’est pourtant là, dans le sud de Cox’s Bazar, qu’ils ont trouvé refuge au camp de Balukhali. Les milliers Rohingyas qui s’y trouvent ont monté un petit marché où l’on échange des produits de base comme du poisson, des légumes ou même des produits de beauté. Dans ce centre commercial improvisé de Balukhali, à l’extrême sud-est du pays, environ deux cents boutiques ont vu le jour sur près de douze hectares. Le terrain privé, qui appartient à un musulman, accueille les clients dès l’aube jusqu’au soir.
Alors que quelques vendeurs de thé et de petits restaurants s’affairent autour d’une douzaine de clients, les odeurs de thé et de plats cuisinés se répandent. Mais il ne s’agit pas du marché du village ordinaire… La plupart des vendeurs et des acheteurs sont réfugiés, originaires de la communauté Rohingya musulmane. Ils sont venus s’installer là depuis l’état de Rakhine, situé de l’autre côté de la rivière Naf qui sépare la Bangladesh de la Birmanie, non loin de là. La crise, qui a commencé en octobre 2016 puis s’est aggravée en août 2017, a vu fuir près de 770 000 Rohingyas, pour se mettre à l’abri de ce que les Nations Unies ont appelé un « nettoyage ethnique ».
Muhammad Rashid, 22 ans, est venu à Balukhali en octobre 2017 avec sa famille après avoir fui le village de Baguna, dans la région de Maungdaw de l’état de Rakhine. Il y a deux semaines, il a ouvert une boutique de cosmétiques et de jouets dans le camp, grâce aux 7 000 takas (69 euros environ) qu’il avait amenés avec lui. Cela lui permet de faire vivre les neuf membres de la famille. « Mes ventes me permettent de gagner environ 500 takas par jour [5 euros], dont je peux retirer 100 à 150 takas de bénéfices (entre 1 € et 1,50 €), ce qui n’est pas une grosse somme, mais cela suffit à ma famille pour survivre », confie-t-il.
« Plusieurs ONG nous proposent de l’aide, comme des vêtements et de la nourriture, dont du riz, des lentilles, de l’huile et des pommes de terre, mais nous avons également besoin de légumes et de poisson, entre autres. Mon revenu me permet de me procurer ce dont ma famille a besoin et que les groupes d’aide ne peuvent pas nous donner », ajoute Muhammad, qui serait heureux de retourner chez lui un jour. Mais il refuse de vivre dans un camp birman, comme il était prévu selon un accord récent entre les deux pays. Il pense également qu’il peut mieux gagner sa vie à Balukhali – en tout cas pour l’instant –, où il ne craint pas d’éventuelles attaques de militaires. « Nos vies ne sont pas menacées ici. Nous recevons de l’aide des ONG comme le Programme alimentaire mondial [PAM, une branche de l’ONU], et nous pouvons nous débrouiller pour vivre une vie simple en gagnant de petits revenus », explique-t-il. « Donc à moins que nous ayons de la famille au pays qui compte sur nous, et que nous puissions être sûrs d’être en sûreté là-bas, il n’y a aucune raison de revenir », conclut Muhammad.
À 27 ans, Khorshed Alam supervise le marché au nom du propriétaire. Il assure qu’il y a environ mille petits commerces, gérés par les Rohingyas vivant dans les camps de la région : « Ces commerces nous versent une petite somme chaque jour, en guise de loyer. Ils payent également pour le nettoyage du marché, comme par exemple les égouts ou les ordures. Il ne s’agit pas, pour nous, de faire du profit, mais de les aider », explique Alam.

Une nouvelle vie

Muhammad Mostaq, 46 ans, gère un petit commerce qui vend des panneaux solaires et des produits électriques dans le marché. Père de cinq enfants, il est originaire de la région de Buthidaung, dans l’état de Rakhine, où il travaillait dans les affaires. « Quand nous sommes venus ici, fin août, j’avais environ 10 000 takas (98 euros) avec moi. Je connaissais des hommes d’affaires bangladais de Teknaf, à Cox’s Bazar. J’ai donc emprunté de l’argent auprès d’eux afin de m’installer ici », explique-t-il. Muhammad précise qu’il gagne environ 5 000 takas (49 euros) par jour, dont il tire environ 1 500 takas (15 euros) de bénéfice. En plus d’autres produits, il vend des biens reçus du PAM, dont du riz, des lentilles et de l’huile : « Chaque mois, nous recevons environ 60 kilogrammes de riz et d’autres biens alimentaires. Nous avons donc du surplus, d’autres réfugiés font d’ailleurs la même chose. Il y a des familles nombreuses qui ne reçoivent pas assez, ils peuvent donc nous acheter ce qui leur manque à bas prix, et je peux moi-même acheter ce dont j’ai besoin avec l’argent que je gagne. »
Muhammad Mustaq refuse, lui aussi, de revenir dans l’état de Rakhine sans garantie d’une vie meilleure que celle qu’il peut avoir ici : « Nous vivons en paix et personne ne nous menace. Nous avons de la nourriture, nous pouvons recevoir des soins, nos enfants reçoivent une éducation, nous avons des revenus et nous sommes en sécurité. Je sais que le Bangladesh cherche à nous renvoyer chez nous, mais je ne veux pas repartir, à moins que la Birmanie ne nous fournisse le même genre d’aide. Je pourrais bien rester dans ce camp toute ma vie, mais je préfère mourir ici plutôt que d’être tué dans l’état de Rakhine. »
Beaucoup de réfugiés partagent la même chose. Ils affirment avoir de bonnes raisons de rester au Bangladesh, malgré les difficultés qu’amène la vie dans ces camps surpeuplés et insalubres. Beaucoup craignent que l’accord signé par le Bangladesh n’assure pas de réelles garanties d’un retour chez eux en toute sécurité, leur assurant leurs droits fondamentaux, comme la citoyenneté birmane. James Gomes, de Caritas, explique que ces petits commerces ont surgi afin de subvenir aux besoins des réfugiés. « Les autorités locales n’ont pas autorisé le commerce dans les camps, et les organisations d’aide ne les ont pas soutenus pour cela, mais les réfugiés se sont débrouillés pour les lancer malgré tout, à leur façon. Ce n’est pas permis, mais personne ne peut les en empêcher, car ce serait violer leurs droits fondamentaux », explique James, directeur régional de Caritas à Chittagong, une ville côtière et centre financier du sud du Bangladesh. « Il est possible que certains réfugiés veulent rester ici parce qu’il pense y trouver une vie meilleure, mais la plupart d’entre eux veulent repartir, car ils savent que leur vie ne s’améliorera pas ici. Après tout, la Birmanie est leur pays patrie. »

Les hindous en mal du pays

Plus de cinq cents hindous ont également fui les violences en Birmanie et se sont installés à Jutupalong, dans la zone ouest de Cox’s Bazar, l’un des plus grands camps de la région, accueillant 400 000 réfugiés. Contrairement aux Rohingyas, eux ne veulent pas attendre pour retourner chez eux. « Les musulmans ne veulent pas repartir car ils pensent que la vie est meilleure au Bangladesh », pense Shishu Pal, un réfugié hindou. « Donc ils ne s’inquiètent pas trop de leur rapatriement. Ils commencent à s’installer ici. Mais tous les hindous veulent revenir chez eux. La plupart d’entre nous ne veulent pas vivre avec les musulmans. »
Fin août, alors que beaucoup de Rohingyas ont subi des attaques mortelles de la part de militaires birmans et d’hindous extrémistes, les hindous qui ont fui ont été attaqués par des groupes d’hommes masqués qui ont massacré une douzaine d’entre eux, y compris des femmes et des enfants. Les hindous birmans ont accusé des militants Rohingyas d’être les auteurs de ces attaques, mais beaucoup d’entre eux ont repoussé violemment cette accusation, dénonçant les militaires et des bouddhistes surexcités. Pour Shishu Pal, « les hindous ne font plus confiance aux musulmans, mais ils ne pensent pas que le gouvernement birman s’en prendra à eux. Ils se montrent donc impatients de retourner chez eux et de recommencer une nouvelle vie. »

(Avec Ucanews)