Eglises d'Asie

Les disparitions forcées mettent en danger l’unité malaisienne

Publié le 23/03/2018




La disparition forcée du pasteur Himli et de sa femme en 2016, ainsi que celles du pasteur Koh et d’Amri Che Mat, un militant social, en 2016, inquiètent les minorités. Celles-ci dénoncent la montée du sectarisme religieux, qui vient diviser encore davantage le pays, majoritairement musulman mais multiculturel, sous couvert d’abus de pouvoir et de corruption de la part du gouvernement et de la police, voire de complicité.

La Malaisie semble avoir des problèmes avec la justice et l’application de la loi. Un an après l’enlèvement et la disparition mystérieuse d’un pasteur chrétien, cette affaire semble de plus en plus suspecte. Il ne s’agit vraisemblablement pas d’un cas ordinaire, car il concerne non seulement des questions sociales, mais aussi religieuses et politiques, qui viennent compliquer l’effort de réformes dans le pays. Les évènements récents viennent soutenir ces tristes perspectives. Une complicité indirecte de l’état dans cette affaire d’enlèvement semble en effet de plus en plus flagrante, depuis le 16 janvier, quand la commission malaisienne des droits de l’homme (Suhakam) est intervenue brutalement au cours des investigations de la police malaisienne sur la disparition du pasteur Raymond Koh, 62 ans et manquant à l’appel depuis le 13 février 2017.
L’enquête de la commission accusait la police d’être incapable – voire réticente – de conduire une investigation sérieuse. La version des faits de la police malaisienne a été violemment attaquée par l’enquête. Les témoins qui ont comparu devant la commission, dont l’enquête était au bout de sa deuxième semaine, ont révélé les détails de l’enlèvement, indiquant notamment comment celui-ci a été mené en moins d’une minute avec une précision quasi militaire. Des images de la scène, enregistrées par des caméras de sécurité, montrent une douzaine d’hommes en cagoules sortir de jeeps noire, utilisées pour bloquer le véhicule du pasteur sur la voie publique, dans une banlieue de Kuala Lumpur, en plein jour, avant de faire entrer le pasteur de force dans une des jeeps. Il n’a pas été revu depuis.

Un stratagème politique ?

L’enquête de la commission s’est interrompue après la réception d’une lettre du chef de la police malaisienne, Mohamad Fuzi Harun, affirmant qu’une audience devait avoir lieu au tribunal à propos de l’enlèvement. L’accusé, Lam Chang Nam, chauffeur à mi-temps, était accusé d’avoir exigé, en mars 2017, 30 000 ringgits malaisiens (6 222 euros) du fils du pasteur Koh, Jonathan, en l’échange de la libération de son père. À l’époque, la police affirmait qu’il ne s’agissait que d’un opportuniste au chômage qui essayait de profiter de la situation en l’absence de demandes de rançon.
Mais le 15 janvier, Lam a été condamné pour enlèvement, un crime passible de pendaison en Malaisie. La famille du pasteur Koh a été surprise par cette annonce soudaine. La police ne les avait pas informés. Leur avocat, Gurdial Singh Nijar, précise que ses clients se sont montrés sceptiques vu l’arrivée soudaine de cette nouvelle accusation. L’avocat explique que la famille a senti que la police se montrait réticente et cherchait à entraver l’investigation. Lafamille pense que cette nouvelle accusation n’était qu’un moyen comme un autre d’empêcher que ne soit divulgué ce qui est vraiment arrivé au pasteur Koh. L’accusation d’enlèvement a donc été d’autant plus surprenante que la police avait déclaré plus tôt que l’accusé en question n’était pas coupable. L’avocat de celui-ci, Aaron mark Pius, s’est dit choqué par cette nouvelle accusation contre son client. La tournure des évènements, un an après l’enlèvement, semble indiquer que la police cherche à empêcher toute révélation publique à propos de sa gestion de l’affaire, qui semble mêlée de préjugés religieux, d’intolérance envers les minorités et d’opportunisme politique.
Les musulmans malaisiens pratiquent un islam sunnite modéré, mais ces dernières années, on a vu le gouvernement courtiser des groupes islamiques et leurs partisans pour chercher à relever sa popularité déclinante. Certaines critiques voient la disparition des militants comme un stratagème évident destiné à gagner de nouvelles voix parmi les religieux extrémistes. Le militantisme chrétien du pasteur Koh, à un moment où la Malaisie se dirige vers une application plus stricte des lois islamiques, paraît la cause la plus évidente de sa disparition forcée. En effet, le pasteur avait été accusé, en 2011, de prosélytisme envers les musulmans, ce qui constitue un crime dans le pays majoritairement musulman. Après investigation des autorités islamiques, les accusations avaient été abandonnées. Pourtant, peu après, une boîte était apparue devant sa porte, contenant deux balles et une note écrite en malaisien contenant des menaces de mort. La disparition du pasteur ressemble à celle d’un autre militant social, Amri Che Mat, qui a disparu en novembre 2016. Le même mois, un autre pasteur, Helmi, aurait également disparu avec sa femme, Ruth.

Disparitions du pasteur Himli et sa femme Ruth

Les rapports affirment qu’aucune rançon n’a été demandée pour le pasteur Koh, ce qui suggère que les auteurs de l’enlèvement ont de bons appuis financiers et qu’ils agissaient par idéologie. Une récompense de 100 000 ringgits (20 735 €) a été offerte par la famille du pasteur Koh pour toute information qui pourrait permettre sa libération, sans effet à ce jour. Ces quatre personnes, disparues entre 2016 et 2017, ont toutes en commun leur militantisme social. Tandis que le pasteur Koh, le pasteur Helmi et sa femme Ruth sont des chrétiens, la disparition d’Amri Che Mat serait liée au fait qu’il aurait essayé de répandre des enseignements chiites, interdits par les autorités. Sa femme, Norhayati Ariffin, méprise ces accusations.
Les théories selon lesquelles les autorités malaisiennes deviennent sourdent à ce genre de disparitions semblent donc avérées. Le Barreau malaisien affirme que les disparitions « mystérieuses et sans précédents » provoquent les réactions du public qui parle de « disparitions forcées », un terme souvent utilisé pour désigner les enlèvements parrainés par l’état. Beaucoup d’observateurs sont convaincus que ces disparitions sont la preuve que le sectarisme religieux est en train de menacer les droits de l’homme en Malaisie. Le gouvernement du premier ministre Najib Razak, déjà accusé d’abus de pouvoir et de corruption, risque encore plus gros s’il ne parvient pas à arrêter et à punir les responsables des enlèvements. Des veillées ont lieu régulièrement depuis la disparition du pasteur Koh, auxquelles ont participé des centaines de personnes, y compris des responsables religieux et politiques, ainsi que des militants sociaux. Mais en l’absence de réponses, il s’agit là pour eux d’un message clair de la part des autorités, qui ne semblent pas se préoccuper de la montée de l’intolérance religieuse dans la Malaisie multiculturelle. Quoiqu’il arrive, la disparition du pasteur Koh, des Hilmis et d’Amri Che Mat ne sera pas oubliée du public.

(Avec Ucanews, Kuala Lumpur)