Eglises d'Asie

La réécriture de la Bible attise les peurs de censure

Publié le 11/04/2018




Les catholiques chinois craignent que Pékin, en réprimant l’accès à Internet, ne s’en prenne aussi aux livres et publications religieuses… Le 30 mars, les sites de vente en ligne se voyaient interdits de vendre la Bible, tandis que le Bureau des Affaires religieuses faisait part de son projet de promotion d’un « christianisme chinois », avec à la clé une retraduction et une réinterprétation de la Bible.

Des groupes catholiques craignent qu’après avoir interdit les ventes de la Bible en ligne et sponsorisé un programme de réécriture de la Bible, le gouvernement chinois ne s’en prenne aux livres religieux. Ils redoutent que la censure sévère menée contre Internet par Pékin ne se tourne vers la littérature religieuse. L’académicien hongkongais Ying Fuk-Tsang estime que la « nouvelle ère » du président Xi Jingping va viser la circulation de la Bible en ligne, les livres religieux et autres publications religieuses. « Avec l’application des nouvelles lois sur les affaires religieuses, le monde religieux sur Internet deviendra probablement une cible de la prochaine vague de censure », pense Ying, directeur de la branche théologique du Chung Chi College, de l’université chinoise de Hong-Kong. Le gouvernement chinois surveille depuis longtemps les contenus religieux des sites Internet chinois, en particulier sur les médias sociaux populaires comme Weibo ou WeChat, où des comptes ou des groupes religieux sont régulièrement fermés. Selon un document officiel publié par le Bureau des Affaires religieuses, l’un de ses principaux projets pour cette année est de développer un christianisme et une théologie « à la chinoise », en réinterprétant et en retraduisant la Bible. Le document, titré « Principes pour la promotion du christianisme chinois pour les cinq prochaines années (2018-2022) », a été publié officiellement le 28 mars à Nanjing, dans l’est du pays.
Certains internautes ont signalé, sur les médias sociaux, la disparition des ventes de Bibles sur certains sites, depuis le 30 mars. La date coïncidait avec un pic des recherches du mot « Bible » sur Weibo, la veille, suivi d’un effondrement le 1er avril, le mot-clé ayant sans-doute été censuré. Le document déclare également que l’un des principaux objectifs du Bureau, ces cinq prochaines années, est de mettre en place « un christianisme et une théologie chinois », afin de « développer les études bibliques », pour pouvoir « poser les fondations d’une réinterprétation et d’une retraduction de la Bible ». Certains catholiques craignent que la littérature et les publications chrétiennes ne soient également visées, alors que les erreurs de la Révolution culturelle se répètent. Le 30 mars, les autorités ont ordonné aux sites d’e-commerce de retirer les Bibles de leurs ventes. Ainsi, les sites Taobao, Jingdong, Weidian, Dangdang et Amazon China ne vendent plus de Bibles. Les livres sur le christianisme ont également été interdits et les licences de plusieurs boutiques ont été retirées.

Le retour de la Révolution culturelle ?

La plateforme chrétienne de vente en ligne Baojiayin a également arrêté de vendre la Bible, tout en ajoutant qu’elle peut encore commercialiser des manuels d’étude biblique. John, un internaute catholique, affirme que la Bible n’a jamais été autorisée à la vente, que ce soit physiquement ou en ligne, et que l’on ne pouvait acheter que la version approuvée par le gouvernement et par l’Église officielle. Mais auparavant, les autorités n’avaient pas appliqué la loi d’une façon aussi stricte. « La prochaine étape pourrait être un grand nettoyage de tout contenu d’Église sur Internet », ajoute-t-il. John affirme qu’après la fin de la session plénière du Parlement chinois, en mars, une nouvelle vague d’oppression a été menée contre les Églises chrétiennes. « On peut sentir que les autorités renforcent la répression contre les religions, et en particulier contre l’Église catholique et l’Église protestante », soutient John, qui pense que cette « sinisation religieuse » est voulue par Xi Jingping. Il craint que cela soit le signe du retour de la Révolution culturelle : « Est-ce que cela ne revient pas à répéter les mêmes erreurs de l’histoire ? »
L’universitaire Ying Fuk-Tsang a en effet publié un article sur sa page Facebook, rappelant qu’après la Révolution culturelle, il y avait eu une grave pénurie de Bibles en Chine. En 1979, quand Deng Xiaoping, alors vice-premier ministre, a visité les États-Unis, le président américain Jimmy Carter lui avait confié qu’il espérait que la Chine puisse publier la Bible. Deng avait alors répondu favorablement. En 1980, l’évêque protestant Mgr Ding Guangxun déclarait auprès du Conseil chrétien de Chine que le pays pourrait enfin commencer à publier la Bible. Le Conseil, approuvé par le gouvernement, aurait alors imprimé trois millions de copies entre 1980 et 1986, sans pouvoir répondre à la demande. En 1988, les groupes Amity Foundation et United Bible Societies se sont associés pour construire une usine à Nanjing pour pouvoir diffuser la Bible plus largement. C’est devenu le lieu où l’on pouvait imprimer la Bible légalement, et le Conseil chrétien de Chine était seul à pouvoir publier et distribuer la Bible. Près de trente ans plus tard, en novembre 2016, il avait imprimé 150 millions de copies. En 2004, quand la Loi sur les licences administratives a été votée, la Chine s’est réservée le droit « d’approuver les publications, impressions, exportations et distributions de la Bible ». Selon Ying, le gouvernement contrôlait ainsi le marché des ventes de Bibles. Les librairies chinoises, ajoute Ying, peuvent vendre des livres religieux sur le bouddhisme, le taoïsme ou sur l’islam, mais la Bible n’est pas autorisée. En 2016, en s’adressant au parlement chinois sur les Affaires religieuses, Xi Jingping avait déclaré que les fonctionnaires doivent « promouvoir activement sur Internet les théories du Parti sur les religions ».

(Avec Ucanews, Hong-Kong)