Eglises d'Asie

Pohela Boishakh : le Nouvel an bangladais contre l’islamisme

Publié le 17/04/2018




Le 14 avril, les Bangladais ont célébré Pohela Boishakh, le plus grand festival du pays, qui célèbre la nouvelle année bangladaise. Pour l’occasion, les étudiants de la Faculté des Beaux-Arts de Dhaka, la capitale, préparent masques et costumes pour la procession d’ouverture. Le festival se veut une revanche contre l’extrémisme islamiste, qui progresse au Bangladesh depuis quelques années.

Patiemment, sous le soleil brûlant d’une fin d’après-midi de printemps, Tanjima Tabassum peint des masques dans le parc de la Faculté des Beaux-Arts de Dhaka (Faculty of Fine Arts at the University of Dhaka), la capitale bangladaise. Depuis des jours, Tanjima et plusieurs dizaines d’autres étudiants de l’institut préparent ces masques destinés à être vendus durant le Nouvel an bangladais, l’un des plus grands festivals du pays. Les Bangladais sont encore nombreux à croire que ces masques symbolisent une forme de pouvoir qui chasse les esprits mauvais et les forces du mal qui menacent la paix, la prospérité et l’harmonie du pays. La nouvelle année bangladaise, également connue comme le festival « Pohela Boishakh », est célébrée le premier jour du calendrier bangladais.
« Pohela Boishakh représente le Bangladesh que nos ancêtres ont rêvé et vécu – harmonieux et pluraliste », décrit Tanjima, étudiante de 26 ans. « Nous avons connu des temps difficiles, mais nous croyons encore que les Bangladais peuvent vivre en harmonie », ajoute la jeune musulmane. « Durant ce festival, nous célébrons notre riche héritage culturel. Cela nous aide à faire face aux forces extrémistes, à construire une société paisible. » Outre la préparation des masques et d’un bon nombre d’oiseaux, d’animaux et de figures humaines à l’aide de papier coloré et de bambou, les étudiants préparent aussi la procession ouvrant le festival, appelée « mongal shovajatra » (littéralement « procession du bien-être »).

L’héritage culturel mis à l’honneur

Des milliers de personnes participent à l’évènement en portant des masques colorés, en chantant et en dansant… Cette année, pourtant, plusieurs groupes extrémistes, dont le groupe Islami Oikyajote (Front islamique uni), ont appelé à annuler la procession. « Les chants, les danses et la procession du Nouvel an bangladais sont contraires à l’islam et sont originaires de l’hindouisme. Aucun bon musulman ne devrait participer à de tels actes au nom de la culture et de la tradition », a déclaré le Mufti Rezaul Karim, à la tête du groupe, la semaine dernière. Ces menaces ont déjà eu lieu auparavant, dans ce pays majoritairement musulman, où le militantisme islamiste semble prendre de l’ampleur depuis quelques années.
En 2001, un groupe local, Harkat-ul-Jihad, a placé une bombe lors d’un concert du Nouvel an à Dhaka, entraînant dix morts et plusieurs dizaines de blessés. Il s’agit de l’attaque la plus meurtrière jamais entreprise dans le pays. Pourtant, selon les enseignants et les étudiants qui préparent l’évènement, le festival Boishakhi est purement culturel et patriotique, et non religieux. Sohal Khan, jeune musulman de 21 ans, est diplômé de la faculté des Beaux-Arts. Pour lui, le festival peut aider à contrer la croissance de l’extrémisme au Bangladesh. « Un groupe de radicaux essaie d’islamiser l’identité bangladaise, alors que le pays est une démocratie parlementaire depuis sa naissance [en 1971] », proteste l’étudiant.
« S’ils s’opposent à un festival populaire comme celui-là, c’est que c’est contraire à leurs intérêts. Ils ont peur que si la population parvient à vivre ensemble et non de façon sectaire, ils ne puissent jamais faire du Bangladesh un pays islamique », ajoute Khan. « Le Bangladesh traverse une période critique, mais la population continuera de se battre pour défendre l’entente interreligieuse. » Pour le professeur Nishar Hossain, directeur de la faculté, « la plupart des Bangladais aiment ce festival car il rappelle la culture et les traditions que nous partageons. Malgré ces groupes de radicaux, la population rejette leurs idéologies et leurs menaces », assure-t-il.

Chants sous les banians

Pour le père Tapan C. de Rozario, directeur du département religions et culture de l’université de Dhaka, les extrémistes seront toujours perdants au Bangladesh : « Le festival du Nouvel an exprime spontanément l’esprit et la philosophie bangladais, hérités d’une longue tradition prônant le pluralisme. Mais cela ne plaît pas à ceux qui veulent semer la division au nom de la religion. » Le jour du Nouvel an, des dizaines de milliers de personnes de toutes origines se rassemblent dès l’aube autour de grands arbres, pour la plupart des banians (appelé aussi figuier des banians), à Dhaka et dans les principales villes du pays. Ils entonnent des chants culturels, folkloriques ou patriotiques tout au long de la journée.
L’évènement est célébré par toute l’ethnie bangladaise, non seulement dans le pays mais aussi en Inde. Il rappelle l’héritage culturel de l’ancien Bengale, dont faisait partie l’État indien du Bengale occidental, dans l’est de l’Inde. Ces dernières décennies, le festival a gagné en popularité dans les grandes villes comme Dhaka qui ont connu un exode rural accéléré. Le jour est férié au Bangladesh. Des concerts, des programmes culturels et des processions sont organisés dans tout le pays. Des spectacles de rue ont également lieu – scènes de théâtre appelées « jatra » –, occasion de renouveler des traditions populaires comme des spectacles de marionnettes, des charmeurs de serpents, des combats de coqs et autres jeux de rue.

(Avec Ucanews, Dhaka)