Eglises d'Asie – Birmanie
Le quotidien des migrants de Rangoun en quête d’emploi
Publié le 18/04/2018
Des bouteilles en plastique, de vieux papiers et des cartons jonchent le sol devant la cabane de Thet Naing, située à Hlaing Tharyar, en périphérie de Rangoun, la capitale commerciale birmane. Certains voient cela comme une pollution visuelle. Mais pour lui qui a quitté son petit village du delta de l’Irrawaddy en février pour trouver du travail, c’est une source de revenus et une façon de cheminer vers une vie meilleure. Thet Naing fait partie des dizaines de milliers de travailleurs installés autour de Rangoun et forcés d’y rester, faute de moyens. Les travaux agricoles saisonniers ne suffisent plus. « Quand je suis arrivé ici pour trouver du travail, c’est le mieux que j’ai pu trouver. Je ramasse les ordures », explique-t-il, assis dans une chaise en plastique à l’intérieur de sa petite hutte de bambou. Il l’a construite lui-même, après avoir payé 70 dollars américains au comité municipal local pour obtenir l’autorisation de vivre temporairement dans la région. Pour se protéger de la pluie et autres intempéries, il a ajouté un toit de chaume à son abri. Aujourd’hui, Thet gagne environ 10 000 kyats (6,30 €) par jour. Les objets les plus rentables sont les cartons et les bouteilles, dont beaucoup peuvent être recyclés. « C’est juste assez pour survivre », ajoute le jeune homme de 25 ans. « Je travaille dur et je peux à peine joindre les deux bouts. »
Son histoire est courante parmi les nombreux travailleurs qui migrent chaque année vers Rangoun, qui devient de plus en plus dense. Ils viennent y chercher l’échelon qui leur permettra de se hisser d’une pauvreté rurale à une pauvreté urbaine, avec tous les pièges que cela implique. Ils sont nombreux à rejoindre les 700 000 habitants de cette banlieue ouest de Rangoun, déjà surpeuplée. Hlaing Tharyar fait partie des communes les plus densément peuplées de toute la Birmanie. La plupart des migrants qui se retrouvent ici peinent à décrocher un contrat de travail, malgré une série de réformes politiques et économiques lancées en 2011 afin d’améliorer leur sort. Ils doivent aussi supporter un taux de criminalité inquiétant, à cause du mauvais état de la ville, toujours en pleine croissance, qui permet aux nouveaux venus de circuler de façon relativement anonyme.
Explosion démographique à Rangoun
Selon les chiffres fournis par la Banque mondiale, le taux d’immigration provenant du delta de l’Irrawaddy (dans le sud du pays) est le plus élevé du pays. Cela a commencé en 2008 après le passage du cyclone Nargis, qui a causé la mort de plus de 138 000 personnes et détruit les ressources d’un grand nombre d’agriculteurs de la région. L’évènement est considéré comme la plus grande catastrophe naturelle survenue dans le pays à ce jour. La région de Magway, dans le centre de la Birmanie, vient en second. Dans le delta de l’Irrawaddy, un foyer sur quatre a un membre de la famille qui travaille ailleurs dans le pays ; à Magway, un foyer sur cinq est concerné. Dans les deux cas, plus de 50 % d’entre eux se rendent à Rangoun, dont la population explose. Aujourd’hui, la ville compte 4,5 millions d’habitants et représente 8 % de la population du pays (53 millions d’habitants), dépassant des grandes villes comme Mandalay (dans le nord) ou Mawlamyine (sud-est).
Les migrants qui ont plus de moyens se rendent en Malaisie ou aux Émirats Arabes Unis. Mais c’était impossible pour Kyaw Thu, 43 ans. Ce père de deux enfants est venu habiter à Rangoun en 2015 depuis Myaungmya, dans le delta. Agriculteur, il y gagnait environ deux dollars par jour. Aujourd’hui, son salaire d’ouvrier lui permet de gagner sa vie près de deux fois mieux. Sa situation est d’autant plus aisée que ses parents s’occupent de ses deux enfants. « Nous vivons toujours de façon très modeste, mais nous espérons que notre situation s’améliorera sous le gouvernement d’Aung San Suu Kyi », ajoute Kyaw Thu. La Birmanie n’est devenue une démocratie que très récemment et de façon pacifique. La population espère que la NLD (Ligue nationale pour la démocratie), qui a accédé au pouvoir après deux décennies de régime militaire, pourra créer de nouvelles opportunités d’emplois. Pourtant, des critiques font part de leurs réserves, le système semblant retrouver ses mauvaises habitudes. Aujourd’hui, selon les experts, la Birmanie doit combattre une faible croissance économique, une liberté d’expression limitée, des promesses électorales non respectées et un processus de paix stagnant.
Jennifer vit dans l’ouest de Rangoun depuis plus de vingt ans. Catholique et ancienne employée du Programme des Nations Unies pour le Développement, elle confie que plusieurs milliers de jeunes arrivent chaque mois dans la région pour chercher du travail dans le textile ou d’autres industries émergentes. La zone industrielle de Hlaing Tharyar est désormais l’une des plus importantes du pays. « Malgré les changements économiques et politiques, ceux qui viennent vivre ici ont toujours du mal à s’en sortir », regrette Jennifer. « Comme dans beaucoup d’autres régions, les riches s’enrichissent et la situation des pauvres empire. » L’urbanisation a pris du retard à cause de l’isolement du pays quand la junte était au pouvoir. Près de 70 % de la population birmane vit toujours dans les régions rurales, ce qui en fait le troisième pays le moins urbanisé du sud-est asiatique. Même si de nombreuses voix ont salué les réformes démocratiques récentes et l’ouverture de l’économie, la croissance du PIB commence à ralentir depuis quelques années. Selon la Banque centrale birmane, la croissance du PIB était de 3,8 % en 2008, de 8,4 % en 2013, puis de 6,3 % en 2016 (juste après le Laos et le Bangladesh).
(Avec Ucanews, Rangoun)