Eglises d'Asie – Bangladesh
Le « saint de la forêt » redonne vie au peuple munda
Publié le 20/04/2018
Sur cette piste truffée de nids-de-poules, il faut plus de cinq pénibles heures pour parcourir les quelque cent kilomètres qui séparent Satkhira de Shyamnagar, à la frontière des luxuriantes Sundarbans, la plus grande forêt de mangrove au monde, au sud-ouest du Bangladesh. Dans cette région forestière, au milieu des huttes en terre cuite et aux toits de chaume des Mundas, se dresse un bâtiment en briques où sont accueillis les visiteurs du village de Bongshipur. Autour du village, des élevages de crevettes s’étendent à perte de vue. Bongshipur est privé de routes, hormis les sentiers étroits délimitant les différents élevages. La saison des pluies a tendance à transformer les huttes des villageois en de petites îles flottantes… La plupart des habitants travaillent pour les élevages de crevettes. Certains sont ouvriers agricoles et d’autres survivent en travaillant pour des fours à briques. Durant la mousson, ils peinent à trouver du travail et à nourrir leurs familles.
Dans le bâtiment en briques et au toit de tôle, le père Luigi Paggi arbore un large sourire au visage alors qu’il enseigne l’anglais et l’informatique à vingt filles mundas. Originaires de familles pauvres, elles vivent à l’internat. Le prêtre italien de 70 ans est révéré par les Mundas et par les musulmans de la région comme « le saint de la forêt ». Il y a quinze ans, il s’est attelé à cette mission étonnante et sans précédent : libérer le peuple munda opprimé. Le père Paggi, missionnaire xavérien, a ouvert ici deux internats et plusieurs écoles, afin de venir en aide aux jeunes dont les parents sont incapables de financer l’éducation. Le prêtre a également combattu avec acharnement, et avec succès, les mariages précoces, courants parmi les Mundas.
Une nouvelle vie
Minoti Munda, jeune Munda de 24 ans, prépare un diplôme scientifique à l’université de Khulna. Elle confie que le père Paggi lui a donné une nouvelle vie. Elle avait onze ans quand ses parents ont voulu la marier avec un garçon d’une famille plutôt aisée. Avec l’aide d’un oncle, elle a pu s’enfuir et rejoindre l’internat du père Paggi. « Mes parents étaient en colère contre moi. Ils pensaient que j’avais abîmé la réputation de la famille. Je suis restée sans nouvelle d’eux pendant six mois », se souvient Minoti. « Le père Luigi m’a donné une nouvelle vie. Ma vie aurait pu être gâchée, comme celle de beaucoup de filles mundas. Aujourd’hui, grâce à lui, plus de 120 jeunes mundas peuvent étudier à l’université. » Minoti explique que quand elle aura trouvé du travail, elle veut venir en aide, à son tour, aux jeunes de sa communauté en soutenant leur éducation.
Quant à Bahamoni Munda, une autre jeune Munda de 24 ans, ses cinq sœurs ont toutes été mariées entre 12 et 14 ans. Elle a pu voir à quel point elles ont souffert. « Mon père était un pauvre ouvrier d’un élevage de crevettes, alors il les a toutes mariées pour alléger le poids de la famille. Je pensais que je connaîtrais le même sort, mais le père Luigi m’a sauvée. » Bahamoni étudie les sciences politiques à l’université et veut rejoindre le Service Civil bangladais. « Si je peux obtenir un poste au gouvernement, je pourrai aider ma communauté. Je pourrai m’assurer qu’elle reçoive des aides du gouvernement, pour que sa vie s’améliore. » Le mariage précoce est un problème récurrent au Bangladesh. C’est le quatrième pays au monde le plus touché par le fléau. Selon l’Unicef, 56 % des Bangladaises sont mariées avant l’âge de 18 ans, et 22 % avant 15 ans.
40 000 Mundas dans l’Ouest bangladais
Deux ans après l’ordination du père Paggi, en 1972, sa congrégation l’envoyait au Bangladesh au service du diocèse de Khulna, où les xavériens sont engagés depuis plusieurs décennies. De 1975 à 1980, il a été vicaire d’une paroisse de Satkhira. Puis pendant 25 ans, il s’est mis au service des pauvres et des minorités à Khulna, Jessore et Satkhira. Il y a quinze ans, il a entendu parler des Mundas, une petite communauté peu connue qui vit dans les Sundarbans. « J’en ai entendu parler par des étudiants musulmans à qui j’enseignais l’anglais. Ce sont des animistes, ils n’ont aucun livre sacré. Je les ai trouvés extrêmement intéressants et j’ai décidé de faire quelque chose pour eux. » Le père Paggi confie sa surprise en découvrant leur cadre de vie : « J’ai trouvé qu’ils vivaient de façon vraiment misérable. Ils étaient illettrés et vivaient dans des habitations bondées et insalubres. Les musulmans de la région les considéraient comme des intouchables. Cela m’a attristé et m’a décidé à les aider. »
L’ethnie munda est un groupe ethnique originaire de l’État de Bihar, dans le nord-est de l’Inde, d’où ils ont migré il y a plus de deux siècles durant la colonisation britannique. Environ 40 000 d’entre eux se sont installés dans le nord-ouest et le sud-ouest du Bangladesh. Il s’agit de l’une des communautés les plus marginalisées du pays, par manque d’éducation, par isolement et à cause de leur pauvreté. Pour les aider, le père Paggi a également encouragé un groupe de jeunes Mundas à fonder une organisation bénévole nommée « Sundarbans Adivasi Munda Sangstha », destinée à soutenir la communauté. Son responsable de 33 ans, Krishnapada Munda, témoigne : « Les propriétaires terriens ont amené les Mundas dans cette région afin de défricher la forêt, en vue de cultures agricoles. Depuis, nous sommes restés bloqués là. Nous avons notre langue, notre religion, notre culture et notre système social, mais tout se perd petit à petit. Nos ancêtres ne pouvaient pas faire grand-chose pour préserver notre héritage. Ils devaient nourrir leurs familles. Le père Luigi a contribué à changer la vie de notre communauté. Il nous a aidés à nous ouvrir, à prendre confiance. Et il ne s’est pas préoccupé que de l’éducation et des mariages précoces. Il nous a aidés à faire revivre notre culture. Un jour, il partira, mais ses enseignements et son amour pour notre peuple nous inspireront toujours. »
(Avec Ucanews, Dhaka)