Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Jeudi 24 mai, journée de prière pour l’Église en Chine

Publié le 24/05/2018




Depuis 2007, le 24 mai marque pour les catholiques une journée de prière pour l’Église en Chine. Instituée par le pape Benoît XVI, cette date coïncide avec la fête de Notre-Dame de Sheshan, un sanctuaire marial de la grande banlieue de Shanghai. Cette journée est une invitation à prier pour la communion et la réconciliation des catholiques chinois. L’Église qui est en Chine a en effet traversé d’intenses moments de persécution, qui marquent aujourd’hui encore les catholiques chinois et génèrent toutes formes de divisions. 

À l’heure où le régime chinois ne relâche en rien son emprise sur les groupes religieux, cette journée de prière garde toute son actualité. Quoique les musulmans et les Tibétains soient les plus affectés par les politiques de contrôle, les chrétiens ne sont pas épargnés. Durant ces derniers mois, les principes d’encadrement strict des activités religieuses ont été très officiellement rappelés au niveau national. Le Président Xi Jinping ne cesse de rappeler que toutes les religions doivent se « siniser » davantage et promouvoir le socialisme aux spécificités chinoises. De plus, la province du Henan vient de lancer une campagne de contrôle très stricte des chrétiens, en interdisant par exemple l’accès aux églises aux jeunes, ou en détruisant les signes religieux sur certains bâtiments. Les autorités chinoises envoient donc des signaux ambigus, et parfois hostiles, aux citoyens qui veulent suivre le Christ.
Mais si l’attitude des autorités est peu encourageante, il faut rappeler que la journée de prière instituée par le pape n’est pas tournée contre le gouvernement chinois, mais pour une plus grande communion au sein de l’Église de Chine. Cette journée de prière est destinée spécialement aux catholiques chinois vivant à l’intérieur ou à l’extérieur de la Chine, afin qu’à l’exemple de Marie, Secours des chrétiens, ils persévèrent dans l’adversité et nourrissent la communion entre eux et avec le Saint-Père. Même si l’on peut regretter la défiance des autorités civiles, il faut reconnaître que la division de l’Église dans certaines régions du pays, entre communautés dites « officielles » ou « clandestines », n’est pas qu’une simple question politique. Ces divisions et conflits révèlent également un défi spirituel que la prière peut aider à surmonter.

Notre-Dame de Sheshan et de Donglu

Il n’en demeure pas moins qu’en Chine, cette journée de prière est vécue de manière très variée. Beaucoup de communautés locales considèrent l’ensemble du mois de mai comme un temps de prière à Marie. Dès lors, beaucoup de catholiques chinois suivent la tradition instituée par les évêques de Chine lors du concile de Shanghai en 1924, qui prévoit que Marie, Notre-Dame de Chine, soit particulièrement célébrée la veille de la fête des mères. Cette fête tombe en Chine le second dimanche du mois de mai. Ainsi, cette année, de nombreuses paroisses et diocèses ont organisé, le samedi 12 mai, des temps de prière et des pèlerinages vénérant Notre-Dame de Chine. Ces activitésmary holy mother of china donglü.jpg étaient l’occasion de rassembler les communautés catholiques et d’inviter à prier plus ardemment pour l’Église qui est en Chine. Mais après ce moment marial fort, beaucoup de communautés n’ont pas jugé nécessaire d’organiser un autre évènement le jeudi 24 mai.
De plus, dans une grande partie du pays, la piété à Notre-Dame de Chine est traditionnellement associée avec le sanctuaire marial de Donglü, un village du nord du pays dans le Hebei. La Vierge y serait apparue en 1900 lors de la révolte antioccidentale et antichrétienne des Boxers, afin de secourir les chrétiens en danger. Cette vierge est représentée assise avec l’Enfant Jésus debout sur son côté, les deux portant le vêtement impérial chinois.
Quant au sanctuaire marial de Sheshan, à côté de Shanghai, il remonterait à la révolte des Taiping (1850-1864). Ce mouvement apocalyptique, d’inspiration chrétienne, prétendait instaurer un royaume de la « Grande Paix Céleste » sous la direction de Hong Xiuquan (1814-1864), un homme chinois originaire de la région de Canton, et vénéré comme le petit frère de Jésus. Malgré plus de vingt millions de morts à travers le sud du pays, le sanctuaire de Sheshan fut épargné par les Taiping, et les Jésuites français y firent construire, en 1873, une grande basilique dédiée à la Vierge. En 1873, l’Assemblée Nationale française votait la construction de la basilique de Montmartre en répondant à une démarche religieuse similaire. À Sheshan, Notre-Dame est représentée debout sur un dragon qu’elle écrase, portant haut l’Enfant Jésus, lui-même debout les bras ouverts en croix. La mère et l’enfant sont sobrement vêtus, les lignes sont épurées et l’ensemble révèle un style moderne art déco. En mai, de nombreux groupes du sud-est de la Chine viennent en pèlerinage à Sheshan. Dans ce flot constant, le 24 marque le grand pèlerinage annuel à Notre-Dame de Sheshan, protectrice du diocèse de Shanghai. Ce jour-là, il n’y a pas de prière ou activités spéciales dans bien des paroisses de Shanghai, car les catholiques sont alors invités à se rendre à Sheshan même.

Prier Marie pour la communion de l’Église en Chine

Ainsi, en Chine comme dans beaucoup d’endroits du monde, la piété mariale se décline sous différentes formes et lignages, et s’entremêle avec de multiples causes et préoccupations. Si, en Occident, les préférences mariales oscillent entre Lourdes, Fatima, Medjugorje ou même Guadalupe, en Chine, l’attachement à Marie se manifeste à travers Notre-Dame de Donglu, de Sheshan, et quelques autres encore. Chacune de ces représentations renvoie certes à la Vierge, Mère de l’Eglise, mais aussi à des identités régionales et des histoires particulières. Marie représente beaucoup de choses en même temps. Prier Marie le 24 mai en Chine, c’est se placer potentiellement dans la filiation de Shanghai et d’une certaine modernité qui écrase la bête : le dragon chinois.
Ainsi, même si les catholiques de Chine entendent l’appel du pape à la prière et à la conversion, beaucoup tiennent à cultiver leurs traditions et à éviter une approche qui soit ostensiblement trop politique ou trop Shanghaïenne. Dès lors, beaucoup ont honoré la Vierge et prié pour la communion dans l’Église en se rassemblant quotidiennement pour le chapelet, chaque jour du mois de mai. D’autres, considérant que le jeudi 24 mai est un jour peu pratique pour se réunir, ont préféré organiser un événement plus important la veille de la fête des mères. Ils s’appuient en cela sur une tradition de l’Église en Chine. Ils organisent des messes, des pèlerinages et des moments festifs dans la journée du samedi, auxquels les familles peuvent plus aisément se joindre. Enfin, dans un grand nombre de paroisses, l’intention de prière spécifique au 24 mai sera mentionnée lors de la messe matinale, en toute simplicité. Il y a de nombreuses manières de répondre à l’invitation du pape.
Finalement, le 24 mai est, en Chine, une date évidente pour prier Marie et demander la communion dans l’Église en Chine. Pour bien des raisons, cette intention de prière est déclinée de multiples manières. Et si, d’une région à une autre, les pratiques varient, ce n’est pas nécessairement un signe de crainte vis-à-vis du gouvernement ou de défiance vis-à-vis du Saint-Père. En Chine comme ailleurs, les catholiques portent dans leur prière le souci de la communion à l’intérieur de l’Église et du lien au Saint-Siège.

(EDA / Michel Chambon)

Michel Chambon est un anthropologue et théologien catholique chercheur à l’Université de Notre-Dame aux Etats-Unis.