Eglises d'Asie

Une application révolutionnaire contre les mariages précoces

Publié le 25/05/2018




Le Bangladesh est le pays du Sud-Est asiatique qui compte le plus de mariages d’enfants. Une nouvelle campagne a été lancée en 2017, suite à un partenariat entre le gouvernement et l’ONG Plan International, afin de lancer une application smartphone pour lutter contre le phénomène. Celle-ci a été testée dans le district de Kurigram, dans le nord du pays, particulièrement touché. Si la tentative est saluée par beaucoup, certains activistes restent sceptiques quant à son efficacité contre les mariages précoces. Pour Rita Roselin Costa, qui intervient auprès de la conférence épiscopale bangladaise, il faut changer les mentalités.

Quand Roxana Parveen, a surpris ses parents, l’année dernière, en train de parler de projets de mariage, la première chose à laquelle elle a pensé fut combien deux de ses amies étaient malheureuses, depuis qu’elles ont été mariées avant l’âge de seize ans. « Personne ne leur a demandé leur avis, et maintenant, elles souffrent beaucoup », confie cette musulmane de 15 ans du district de Kurigram, dans le nord du Bangladesh. En entendant ses parents parler de possibles prétendants, Roxana a commencé à paniquer, de peur qu’elle connaisse le même sort que celui de ses camarades : la fin de ses études et de toute idée de carrière, et tous ses rêves supprimés avant l’heure… Ou même, si elle était particulièrement malchanceuse, le viol conjugal (ignoré par la loi), les violences domestiques, et une ou plusieurs grossesses forcées. « Elles ont dû quitter l’école, et aujourd’hui, je ne peux pas les voir parce qu’elles doivent s’occuper de leurs familles », ajoute Roxana, dont la grande sœur, mariée à l’âge de 14 ans, est déjà mère de deux enfants à 17 ans.
« Elles voulaient faire des études comme moi, mais malheureusement, maintenant c’est impossible. » Après avoir parlé de ses inquiétudes à l’un de ses professeurs à l’école, celui-ci lui l’a assuré que la loi protège les enfants contre les mariages précoces. Les mariages forcés de mineurs sont en effet punis par la loi au Bangaldesh. Son professeur a décidé d’intervenir auprès de ses parents. « Quand ils se sont rendu compte des risques et des conséquences que cela pouvait avoir pour moi, ils m’ont dit qu’ils allaient renoncer à ce projet jusqu’à ce que je finisse mes études. » L’histoire de Roxana et celle de ses amies sont fréquentes, dans ce pays pauvre du Sud-Est asiatique, où une fille sur cinq est mariée avant ses 15 ans – il s’agit du taux de mariages précoces le plus important en Asie.
En tout, 59 % des Bangladaises se marient avant 18 ans, selon le groupe Girls Not Brides (GNB), qui affirme qu’il s’agit du sixième pays au monde touché par le fléau. En 2017, le gouvernement a voté une loi contre les mariages précoces (le Child Marriage Restraint Bill), une version amendée d’une loi héritée de la période coloniale britannique. Malgré tout, le problème est encore loin d’être résolu. Cette loi établit la majorité des hommes à 21 ans, et celle des filles à 18 ans. Ceux qui marient leurs enfants de force avant leur majorité sont hors-la-loi et risquent des peines de prison pouvant aller jusqu’à deux ans, et une amende de 100 000 takas bangladais (1 022 euros). Mais la loi est controversée, car elle autorise des exceptions, appelées « cas particuliers ». Par exemple, quand le mariage en question serait « dans l’intérêt » de la mineure. Les catastrophes naturelles, la pauvreté, les violences domestiques et le manque de rigueur de la loi contribuent également à ce taux élevé, en particulier dans les régions rurales éloignées.

Une application révolutionnaire

Afin de lutter contre ces pratiques, le gouvernement s’est associé avec l’ONG Plan International, une organisation de solidarité internationale qui intervient dans les pays pauvres afin de faire progresser les droits des enfants. Ensemble, ils ont imaginé une application smartphone appelée « Game Changer » (Nouvelle Donne), qui permet de vérifier l’âge des mariés grâce à une base de données en ligne. L’application a été lancée dans l’espoir que davantage de jeunes femmes puissent travailler et vivre leurs rêves, et échapper à une vie de servitude. L’application est testée dans le district de Kurigram, où le taux de mariages précoces est particulièrement élevé, selon Soumya Guha, directeur adjoint de Plan International Bangladesh. « Dans cette région, deux filles sur trois sont mariées avant 18 ans, et la tendance ne baisse pas, malgré tous les efforts », regrette Soumya. « Environ 100 000 personnes utilisent déjà l’application, qui nous a permis de repérer et empêcher environ 3 500 mariages précoces. Nous espérons que les choses puissent changer avec le temps, et nous allons continuer à nous battre pour cela. »
Shamsur Alam, un imam de Kurigram, a salué la mise en place de la nouvelle application. « Je l’utilise depuis des mois, et j’ai ainsi pu empêcher les mariages d’au moins quatre filles mineures », confie Shamsur. « J’ai fait comprendre aux parents que ces mariages se feraient au détriment de leurs filles, et ils sont revenus sur leur décision. Aujourd’hui, les gens commencent à prendre conscience des risques peu à peu. » Magfurul Hasan, membre du gouvernement du district de Kurigram, partage ces sentiments. « Je trouve que cette application fonctionne très bien dans les communautés pauvres, et j’espère qu’un jour, elle pourra jouer un plus grand rôle contre les mariages précoces », ajoute-t-il. « Je me souviens l’avoir utilisée afin d’annuler un mariage, car le certificat de mariage de l’épouse avait été falsifié. Nous avons arrêté les parents. » Plan International voudrait rendre l’application accessible dans tout le pays d’ici un an.

Les activistes encore sceptiques

« Cette application est une très bonne idée, mais je me demande si elle va vraiment pouvoir lutter efficacement contre les mariages précoces », relativise Rita Roselin Costa, qui intervient auprès de la conférence épiscopale bangladaise. « Dans le pays, la plupart des mariages sont arrangés, alors à moins de changer les mentalités, ces pratiques continueront. » Selon Rita, certains parents pensent ne pas avoir le choix de marier leurs enfants tôt, à cause de circonstances financières misérables. Mais pour elle, ce n’est pas une excuse, car cela risque de mettre les filles en danger. Certaines filles sont mortes suite à des violences conjugales, ajoute Rita. « Le mariage précoce n’est pas seulement un péché, c’est un crime comparable à un meurtre, car cela prive les filles de leur enfance et de leurs droits les plus fondamentaux, comme le droit à l’éducation », continue Rita. « Pourtant, la société considère toujours les filles comme un fardeau. À moins de faire quelque chose pour changer cela, il y aura encore bien d’autres mariages précoces, et la menace de ce fléau viendra encore hanter beaucoup de filles. »

(Avec Ucanews, Dhaka)