Eglises d'Asie – Malaisie
L’ancien premier ministre malaisien, Najib Razak, arrêté pour corruption
Publié le 05/07/2018
En se rendant à l’église, le dimanche suivant les élections nationales du 9 mai qui ont battu l’ancien premier ministre Najib Razak, les habitants de l’île de Penang, l’État le plus multiethnique du pays (en Malaisie péninsulaire), semblaient particulièrement heureux. Ils le sont sans doute encore plus depuis l’arrestation de Najib Razak, le 3 juillet. L’ancien premier ministre a été accusé de vol dans le cadre du fonds public 1MDB, qu’il aurait pillé à hauteur d’au moins 700 millions de dollars. Les habitants de Penang se réjouissent encore de la victoire spectaculaire de l’alliance de l’opposition, dirigée par l’ancien premier ministre Mahathir Mohamad, 92 ans. Ce dernier est donc devenu premier ministre une nouvelle fois, en remportant les élections contre le parti qu’il avait autrefois dirigé.
Dans la ville de Georgetown, inscrite au patrimoine de l’Unesco, bastion de l’héritage colonial britannique et foyer multiculturel, le centre religieux se trouve le long de la rue Jalan Masjid Kapitan Keling. En haut de cette rue, près du parc faisant face au Fort Cornwallis, un monument historique construit au XVIIIe siècle, se trouve l’église anglicane Saint-Georges ainsi que la cathédrale catholique de l’Assomption construite par le capitaine Francis Light, fondateur de la colonie britannique de Penang et de sa capitale, Georgetown, en 1 786. À quelques centaines de mètres de là, en bas de la rue, se trouve l’impressionnant temple taoïste de Kuan Yin (déesse de la miséricorde), de style chinois, où l’on trouve des groupes de fidèles en train d’allumer des bâtonnets d’encens en s’inclinant et en psalmodiant – en effet, la minorité chinoise, qui représente environ 27 % de la population malaisienne, est majoritaire à Georgetown.
Le retour de la Malaisie multiculturelle ?
Un peu plus loin se trouve le temple hindou d’Aralmingu Sri Mahamariamman (les Indiens représentent 7 % de la population malaisienne) ainsi que, juste à côté, l’imposante mosquée de Kapitan Keling. En ce dimanche, tout est calme après la vive agitation des prières du vendredi, deux jours plus tôt. Voilà une rue qui fait honneur à la variété religieuse et ethnique malaisienne, qui a été tant attaquée durant des années d’autoritarisme.
Plus au sud, à Kuala Lumpur, les choses progressent rapidement. Beaucoup d’habitants affirment avoir été stupéfaits en voyant le vieux Mahathir se rendre compte de ses erreurs passées et changer ainsi. Mahathir Mohamad, qui va bientôt atteindre l’âge de 93 ans, semble pressé de réparer l’héritage qu’il a laissé en 2003 en cédant le pouvoir à Abdullah Ahmad Badawi, après être resté 22 ans au pouvoir. C’est ensuite le vice-premier ministre de Badawi, Najib Razak, qui a pris le pouvoir en 2009.
Les fondements de la victoire de Mahathir du 9 mai 2018 sont simples. En plus de son influence grandissante sur les électeurs, Mahathir avait promis de supprimer une taxe de 6 % sur les biens et services (GST), un impôt qui avait été mis en place afin de compenser le trou de 5 milliards de dollars provoqué par le « fameux » fonds public 1MDB. Bien qu’à la base, c’est l’aggravation de la corruption qui a poussé la classe moyenne vers la coalition Kapitan Nasional dirigée par Mahathir, c’est la promesse de la suppression de la taxe GST qui a achevé de les convaincre. Cet impôt, lancé à la hâte en 2015 avec peu d’explications, avait en effet poussé les commerçants à monter leurs prix de 30 %. C’est cette taxe qui revient encore et toujours dans les propos à Georgetown.
Les Malaisiens ordinaires, ceux des petites villes et des villages, ceux-là même sur qui Najib comptait dans une tentative des plus manipulatrices pour rester au pouvoir, voyaient leur argent fondre à vue d’œil. C’est le vieil adage, qui veut que les gens votent avec leur portefeuille. Le rusé Mahathir n’a pas attendu longtemps pour supprimer l’impôt GST : dès le 1er juin, soit seulement 22 jours après son élection, il avait disparu. Une autre manœuvre, elle aussi lancée à cause de la mauvaise gestion du gouvernement Razak, avait provoqué la consternation des électeurs : l’influence grandissante de la Chine et ses largesses apparemment sans limite (mais pas sans conditions).
L’influence grandissante de la Chine
La Malaisie a ainsi signé près de 34 milliards de dollars d’emprunts pour financer des projets dans le cadre du titanesque plan BRI (Belt and Road Trade) de Pékin, le gigantesque projet d’investissements chinois le long des « Nouvelles Routes de la Soie ». « Nous constatons que la situation est pire que ce que nous pensions quand nous préparions la campagne électorale », a déclaré Mahathir. Mais comment réparer les dégâts ? Tenter de récupérer l’argent perdu dans le cadre du fonds 1MDB est évidemment une première solution. Cela dit, il faudra porter cette affaire au tribunal et cela pourrait prendre des années avant de pouvoir retrouver ces fonds.
Le ministre des Finances Lim Guan Eng a affirmé que des bénéfices seront engendrés grâce à la hausse des revenus pétroliers (le prix du pétrole, une des principales exportations malaisiennes, augmente). Les budgets seront également réduits pour les projets de moindre importance comme le réseau ferroviaire de grande vitesse. Le pays devrait aussi profiter de la hausse des dividendes liés aux entreprises publiques malaisiennes. Cela dit, une nouvelle taxe sur les biens et services, prévue pour le mois de septembre et estimée à environ 10 %, pourrait provoquer la colère de la population.
Mahathir Mohamad (photo) a recours à la stratégie classique de la distraction : il a récemment annoncé vouloir lutter contre la Chine et sa mainmise sur la mer de Chine méridionale, notamment à propos de cinq îles que la Malaisie revendique également. Le premier ministre a par ailleurs assuré vouloir prendre ses distances vis-à-vis des investisseurs chinois, en revenant à des investissements étrangers plus équilibrés. Ceci donnerait plus de poids au gouvernement malaisien contre les revendications chinoises en mer de Chine méridionale. Mais cette politique ressemble à la manœuvre classique d’un gouvernement nouvellement élu : les finances sont pires que prévues (même si c’est probablement vrai) et les promesses de nouveaux bénéfices doivent être compensées en se serrant la ceinture et en lançant de nouveaux impôts.
Mahathir a beau être pressé, il a encore du chemin à faire avant de parvenir à réparer les erreurs passées. Des questions demeurent en suspens : comment stabiliser un pays déchiré par des années de corruption explicite et de politique dévastatrice ? Le plus important est peut-être la relation de Mahathir Mohamad avec Anwar Ibrahim, son ancien vice-premier ministre qu’il a chassé du gouvernement et emprisonné en 1998. À nouveau emprisonné alors qu’il représentait une menace pour Najib Razak, il a depuis été relâché et pardonné. Anwar Ibrahim est déjà un poids lourd, mais il ne fait pas encore partie du nouveau gouvernement, bien que sa femme, Wan Azizah Wan Ismail, soit la première femme malaisienne à devenir vice-premier ministre. La réconciliation d’Anwar Ibrahim avec Mahathir pourrait être la clé des futurs succès malaisiens.
(Avec Ucanews, Kuala Lumpur)