Eglises d'Asie

Le poids des minorités dans les élections du 25 juillet

Publié le 17/07/2018




À l’approche des élections législatives et provinciales qui se dérouleront le 25 juillet au Pakistan, les minorités religieuses cumulent un nombre record de bulletins de vote. Leur nombre de votants recensés sur les listes électorales a en effet augmenté de 30 % depuis le précédent scrutin de 2013. Mais pour ces communautés vulnérables, il ne devrait pas être facile de changer la donne. En effet, en une semaine, trois attentats suicides visant des réunions électorales ont provoqué près de 175 morts. L’attaque du 13 juillet, à Dringarh au Baloutchistan, est le deuxième attentat le plus sanglant de l’histoire du pays.

Avec près de 97 % de croyants au sein d’une population de 200 millions d’habitants, l’islam domine la vie politique du Pakistan. Oscillant du libéralisme au radicalisme, il est aussi profondément divisé, à l’image des mouvances idéologiques en jeu à l’approche du scrutin législatif et provincial, qui se tiendra le 25 juillet au Pakistan. Au total, 11 855 candidats sont en lice pour conquérir les 849 sièges des assemblées. L’un des partis favoris du scrutin reste le parti sortant, la Ligue musulmane du Pakistan (PML-N), fondée par l’ex-Premier ministre Nawaz Sharif. Ce dernier a été destitué pour corruption et vient d’être condamné à dix ans de prison, dans une décision que son clan accuse d’être politiquement motivée et qui fait monter la tension à deux semaines à peine du scrutin. Sa formation a pour adversaire principal le Mouvement pour la justice au Pakistan (Pakistan Tehreek-e-Insaf, PTI), dirigé par l’ancien champion de cricket Imran Khan. À la clé est l’enjeu de la majorité à l’assemblée nationale, qui comprend 342 sièges, dont 60 réservés aux femmes et 10 aux minorités religieuses.
Lors de la mise à jour des listes électorales, il est apparu que l‘électorat non-musulman avait augmenté de 30 % depuis le scrutin précédent de 2013. Des membres de la société civile et des représentants religieux ont exprimé leur espoir de voir le vote de ces minorités influencer les résultats des élections. Il y a en effet 3,63 millions de non-musulmans inscrits sur les listes électorales, contre 2,77 millions en 2013. Selon la presse pakistanaise, cette augmentation serait due à l’augmentation de la population, mais aussi à l’enregistrement d’électeurs qui n’étaient pas visibles auparavant, au sein de minorités souvent pauvres et marginalisées. Le développement des outils technologiques de la Commission électorale du Pakistan aura pu notamment y contribuer.
La première minorité du Pakistan reste la communauté hindoue, avec 1,77 million d’électeurs, suivie des chrétiens qui représentent 1,64 million de bulletins de vote, ces deux groupes étant concentrés dans les provinces du Pendjab et du Sindh. À une échelle bien moindre encore se placent les électeurs ahmadi, qui se réclament d’une branche de l’islam née en 1889 et qui ne sont pas reconnus comme musulmans par l’État pakistanais, et puis les sikhs et les parsis. Cette année, les documents officiels ne mentionnaient pas les juifs, infime minorité de 809 électeurs en 2013.

« Votre vote est important »

« Votre vote est important », a lancé à l’adresse de la minorité chrétienne une campagne menée par la Commission nationale Justice et Paix de la Conférence épiscopale du Pakistan. Cette campagne vise à encourager la minorité à participer au scrutin. Les chrétiens, issus de la conversion des basses castes hindoues durant la colonisation britannique, sont souvent marginalisés, même si certains d’entre eux ont réussi à percer dans le milieu des affaires. Mais si les Églises bénéficient d’une relative liberté, des attaques ciblent les membres de cette minorité. En 2013, quatre-vingts habitants d’un quartier chrétien de Lahore sont morts dans des émeutes et cent autres chrétiens ont péri à Peshawar quelques mois plus tard, en août 2013, dans une attaque suicide. En mars 2015, quatorze chrétiens ont été tués dans d’autres attaques suicides visant deux églises de Lahore. Les minorités religieuses, le plus souvent chrétiennes et chiites, sont fréquemment ciblées par les extrémistes sunnites. Des groupes terroristes se sont notamment alliés au groupe Etat Islamique (EI) qui a revendiqué plusieurs attaques, dont celle du sanctuaire soufi Lal Shahbaz Qalandar faisant 92 morts en février 2017. En décembre dernier, deux terroristes se sont fait exploser dans l’église méthodiste de Quetta, tuant une dizaine de fidèles et, au mois d’avril, juste après Pâques, quatre chrétiens ont été tués par balles dans la ville de Quetta. Dans son ensemble, et d’après le classement 2017 du Global Terrorism Index, le Pakistan est le cinquième pays au monde victime du terrorisme.
Malgré la pression internationale, les lois « anti-blasphème », destinées à défendre la sainteté du prophète Mahomet, restent des outils controversés. Pour rappel, le ministre catholique des minorités religieuses, Shahbaz Bhatti, avait été assassiné en 2011 pour avoir exigé un amendement de cette législation. Car les minorités non-musulmanes peuvent ainsi être aisément accusées d’enfreindre la loi, comme les chiites hazâra de la province du Balouchistan. « Les dispositions constitutionnelles et la législation discriminatoires sur le plan religieux, telles que les lois anti-ahmadis et anti-blasphématoires du pays, continuent à entraîner des poursuites et des emprisonnements », a noté la Commission américaine sur la liberté religieuse internationale, dans son rapport annuel de 2017.

Trois attentats suicides en une semaine

« Les attaques visant les églises chrétiennes sont néanmoins en baisse, malgré la sombre image dépeinte par les médias internationaux », estime néanmoins Kamran Chaudhry, le correspondant d’Ucanews à Lahore. « L’atmosphère générée par la violence militante et le terrorisme de l’EI crée des difficultés pour les non-musulmans. Mais la situation à l’égard de la liberté religieuse véhicule d’autres aspects au Pakistan. » Dans l’ensemble, il est vrai que la situation sécuritaire s’est améliorée au Pakistan, en dépit d’inquiétudes évidentes. Mais la période électorale reste particulièrement sensible. En une semaine, trois attentats ont été provoqués contre des réunions électorales, causant près de 175 morts. Ce 10 juillet, au moins 20 personnes, dont un candidat politique local influent, ont été tuées lors d’un attentat revendiqué par les talibans dans la ville de Peshawar, au nord-ouest. Le 13 juillet, une nouvelle attaque suicide contre une réunion électorale à Dringarh, au Baloutchistan, revendiquée par l’État islamique, a provoqué la mort d’au moins 149 personnes, dont un candidat local. Il s’agit de l’attaque la plus meurtrière au Pakistan depuis 2014. Le même jour, une autre attaque a eu lieu dans le nord-ouest du Pakistan, tuant quatre personnes.
Selon une annonce officielle, le scrutin sera encadré par le nombre impressionnant de 371 000 membres des forces de l’ordre, dans un contexte où les politiciens et la société civile accusent l’armée pakistanaise de mettre en danger le processus démocratique du pays. Certains observateurs s’inquiètent en effet de l’évolution de la campagne électorale, alors qu’ont été rapportés des cas d’enlèvements, de pressions et des menaces sur les médias et les militants politiques.
Dans ce contexte, le poids électoral des minorités ne devrait guère peser. « L’influence potentielle des minorités dans l’issue des élections reste limitée, y compris dans des zones comme les districts d’Umerkot et de Tharparkar, dans la province du Sindh, où la concentration des minorités est très élevée. À l’exception de Karachi, le Sindh n’offre qu’un choix politique très mince pour les minorités votantes, dans un contexte local de prédominance du Parti du peuple pakistanais (PPP) [autre grand parti en lice qui testera la popularité de Bilawal Bhutto Zardari, le fils de l’ex-première ministre Benazir Bhutto assassinée en 2007, ndlr]. Et en raison de la pauvreté relative des minorités au Pakistan, leurs demandes s’alignent souvent sur celles des musulmans de leurs régions et sont centrées autour du développement local », écrit l’analyste Fasi Zaka. « En dépit de l’augmentation de leur électorat, le rôle des minorités devrait donc rester plus ou moins le même que lors des élections de 2008 et de 2013. »
Le nouveau cardinal du Pakistan, Mgr Joseph Coutts, a lui-même rappelé à la presse les limites du rôle des chrétiens : « À quel rôle pouvez-vous prétendre quand vous représentez à peine 2 % de la population ? Il y a un proverbe qui dit : quand deux éléphants se battent, c’est l’herbe qui en pâtit. »

(EDA / Vanessa Dougnac)