Première ombre au tableau, sa victoire au scrutin législatif du 25 juillet a émergé d’un brouillard électoral, lourd de soupçons de fraudes et de l’interférence de la puissante armée. Les militaires nient les accusations et assurent n’avoir apporté qu’une aide sécuritaire durant le déroulement du scrutin. Mais si les généraux ont indéniablement fait d’Imran Khan leur favori, sa vague de popularité est réelle. Le politicien, ancien athlète du cricket adulé pour ses exploits sportif inégalés, a apporté sur la scène politique l’espoir du changement. Il promet « un nouveau Pakistan » à ses 207 millions de concitoyens. Mais dans un pays à l’histoire ponctuée de coups d’État militaires, Imran Khan va installer avec lui le dilemme d’une démocratie célébrée pour son renouvellement mais aussi minée par ses carences.
« Lui au moins ne tentera pas de se construire un empire financier », approuve l’analyste et vétéran de la politique Ayaz Amir, à Lahore. La première rupture incarnée par Imran Khan est en effet le rejet des familles « corrompues », les Bhutto et les Sharif, qui dominaient la vie politique du pays. Alors que l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif a été emprisonné à point nommé pour corruption durant la campagne électorale, Imran Khan a fait de la lutte contre la corruption une priorité obsessionnelle, au fil de 22 années du combat politique laborieux qu’il a mené avec son parti du Pakistan pour la justice (Pakistan Tehreek-e-Insaf, PTI). « L’une de ses contributions est d’avoir axé avec consistance le discours politique sur la corruption, explique l’analyste Tahir Malik. Ce discours l’a servi en visant simultanément à évincer ses adversaires politiques qu’il accusait de népotisme. »
Premier défi : relancer l’économie
Aujourd’hui, son premier défi sera d’assainir l’économie de son pays. Et le Pakistan dont il hérite est un gigantesque chantier. Le pays se trouve actuellement au bord d’une crise de sa balance des paiements qui menace la stabilité de sa monnaie, le paiement de ses importations et le remboursement de ses dettes. Son déficit budgétaire n’a cessé de croître au cours de ces cinq dernières années, passant de 4 à 10 % du PIB. « L’économie du Pakistan est un désastre, estime Ayaz Amir. Comment la relancer ? Comment développer l’industrie et créer des emplois ? Il n’y a pas d’argent. » Et Imran Khan a promis grand : il a fait campagne sur la promesse de créer 10 millions d’emplois, de soutenir les plus pauvres et de redorer les domaines de l’éducation et de la santé. Il ne cache pas miser beaucoup sur sa relation avec son allié chinois, déjà très présent au Pakistan, dont il prône le modèle et le rapprochement. Mais, dans l’immédiat, les analystes répètent qu’Imran Khan n’aura d’autre choix que de solliciter un nouveau prêt auprès du Fonds monétaire international (FMI).
Inexpérimenté, Imran Khan ne pourra compter que sur sa détermination, sa forte personnalité et la qualité de ses équipes pour affronter certains dossiers. Mais pour gagner le scrutin, il a déjà dû recruter des politiciens douteux afin de bénéficier de leur ascendant local sur les bulletins, selon un système d’allégeances électorales très ancré au Pakistan. Il ne pourra plus forcément les écarter. « Je pense que sa capacité à transformer le pays dépendra des gens qui l’entourent, avance l’analyste et historien Yaqoob Bangish, et ce sera à mon sens l’un des plus gros défis. »
Quel Pakistan Imran va-t-il vouloir incarner ? Sur la scène internationale, le charisme de cet homme élégant qui fréquenta les bancs d’Oxford et la jet-set londonienne sera un gage d’ouverture et d’aisance diplomatique. « Son aura sera évidente, assure Ayaz Amir. Il apportera un changement de style à la faveur de l’image du Pakistan. »
La pression fondamentaliste
Mais, au « Pays des purs », il aura à maîtriser les forces fondamentalistes. « Les élections montrent une nette augmentation du vote extrémiste, rappelle Yaqoob Bangish. Imran Khan a dû lui aussi utiliser le discours religieux en campagne. Il existe une pression poussant à prendre des vues extrêmes. Aujourd’hui il va probablement devoir jouer avec ces forces car il a vu que l’acceptation du fondamentalisme religieux lui donne des voix. » Par le passé, Imran Khan s’est montré tolérant à l’égard de lois anti-blasphèmes très controversées qui visent les minorités, ou même de certains groupes armés, gagnant à une époque le surnom de « Taliban Khan ». « Il incarne l’hypocrisie des élites pakistanaises qui sont libérales au niveau social, mais conservatrices au niveau politique, critique Taimuk Rahman, un défenseur des Droits de l’Homme. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour faire évoluer les mentalités au Pakistan. » Concernant les questions sociales, l’ancienne idole semble avoir aussi revu à la baisse ses vues sur la liberté des femmes. Après des mariages flamboyants, ses prises de position révèlent un homme devenu dévot, dont la troisième femme, épousée cet hiver, ne s’affiche qu’entièrement voilée et fait figure de « conseillère spirituelle ».
L’une des grandes questions réside dans la relation que va entretenir Imran Khan avec l’armée. Depuis la chute du général Musharraf en 2008, le pouvoir militaire continue à tirer les ficelles des gouvernements civils. « Tous les partis au pouvoir l’ont été grâce à l’aide de ‘l’establishment’, rappelle Yaqoob Bangish. Imran Khan n’est pas différent. Il a été obligé de reproduire le modèle. Dans ce sens, sa victoire est une continuité et non une rupture. Mais avec sa personnalité erratique, va-t-il suivre la ligne de l’armée ou tenter de s’en affranchir ? »
Le dialogue avec l’Inde au point mort
Car les dossiers liés aux grands voisins, d’un Afghanistan ravagé par la guerre au frère ennemi indien, sont la chasse gardée des généraux. Si la situation sécuritaire au Pakistan s’est nettement améliorée depuis quelques années, la région de la frontière afghane reste une poudrière et coûte de nombreux morts à l’armée pakistanaise. Les États-Unis, dont les troupes piétinent depuis 16 ans en Afghanistan, accusent Islamabad, leur allié historique, de laxisme dans sa lutte contre le terrorisme. « Mais la politique à l’égard des Talibans, de la frontière afghane ou du terrorisme, ne va pas changer : ce sera la politique de l’armée, affirme Ayaz Amir. Imran Khan s’est aligné sur ces vues depuis 2014. »
Quant au dialogue avec l’Inde, bloqué sur la pomme de discorde du Cachemire, il devrait rester au point au mort jusqu’à la tenue d’élections générales en Inde l’an prochain. Le Premier Ministre indien Narendra Modi, farouche défenseur du nationalisme hindou, n’est pas la meilleure carte pour un dialogue entre les frères ennemis. Mais Ayaz Amir voit en Imran Khan, habitué de l’Inde durant sa carrière d’athlète, le candidat idéal pour rapprocher les deux puissances nucléaires. Néanmoins, les seuls dialogues jamais entamés l’ont été quand des généraux, ne faisant confiance qu’à eux-mêmes sur ces dossiers, étaient au pouvoir au Pakistan.
Dans l’immédiat, Imran Khan a promis de transformer son pays et il devra poser rapidement ses marques. « Tous nos leaders ont voulu changer les choses mais n’y sont pas parvenus », tempère Yaqoob Bangish. Le futur Premier ministre aura déjà pour lui la vague d’espoir qu’il a su susciter lors du scrutin, en particulier auprès des jeunes Pakistanais.
(EDA / Vanessa Dougnac)