Eglises d'Asie

Le Cambodge relâche la pression en libérant des prisonniers politiques

Publié le 31/08/2018




Face à la condamnation internationale dénonçant des atteintes aux Droits de l’Homme et des élections biaisées, le premier ministre Hun Sen a décidé, le 27 août, de libérer quatorze prisonniers politiques, tous membres de l’opposition du Cambodia National Rescue Party (CNRP). Pour nombre d’entre eux, cette grâce royale, obtenue à la demande de Hun Sen, est directement liée à la pression internationale suite à la victoire du parti au pouvoir lors des dernières élections, jugées biaisées par de nombreux pays dont les États-Unis, le Canada et l’Australie. De son côté, l’Union européenne a menacé de retirer le pays de l’EBA, une initiative qui permet au Cambodge d’exporter vers l’Europe sans barrières douanières.

Il y a trois ans, un tribunal cambodgien jugeait Meach Sovannara pour rébellion et le condamnait à vingt ans de prison. Ce 27 août, il a reçu une grâce royale aux côtés de treize autres membres et partisans du principal parti d’opposition, le Cambodia National Rescue Party (CNRP). « Je suis soulagé d’être libre, mais c’était une injustice de m’avoir condamné à vingt ans de prison pour une conversation de cinq minutes », a déclaré Meach Sovannara lors de sa libération, le 28 août. En moins de deux semaines, dix-neuf prisonniers politiques ont été libérés au Cambodge. Certains étaient d’anciens députés du CNRP, les autres comprenaient Tep Vanny, un militant pour les droits du sol, Kim Sok, un commentateur politique, et deux journalistes de Radio Free Asie, Uon Chhin et Yoeung Sothearin.
Selon les observateurs, ils ont été libérés afin de calmer les tensions politiques et limiter la pression internationale sur le gouvernement cambodgien, depuis sa victoire controversée lors des élections nationales. À la pagode bouddhiste de Wat Chas, où les prisonniers libérés ont reçu la bénédiction des moines bouddhistes, Meach Sovannara a remercié le premier ministre Hun Sen pour avoir demandé la grâce royale pour lui et ses collègues. L’ancien chef de la communication du CNRP n’a pas voulu commenter les raisons derrière cette grâce royale. Il a cependant affirmé qu’après avoir gouverné le Cambodge d’une main de fer depuis 1985, Hun Sen est un homme intelligent qui manœuvre habilement au sein du « jeu » politique. « Comme nous le savons, les dirigeants du Cambodge ne changeront pas de programme politique. Ils bloquent une issue et en ouvrent une autre pour tenter de garder le pays uni », explique-t-il.
D’autres se sont montrés moins vagues sur les motifs de cette libération massive. Remarquant que le gouvernement est soumis à la pression internationale depuis les élections du mois dernier, au cours desquelles le parti au pouvoir du Cambodian People’s Party a revendiqué avoir remporté 125 sièges au parlement, ils affirment que les militants et les membres de l’opposition ont été relâchés pour calmer les tensions. Am Sam Ath, membre de Licadho, une ONG cambodgienne, pense que le gouvernement ne veut pas montrer une mauvaise image à l’échelle internationale.

Relâchés sous la pression internationale

« Ils veulent plutôt montrer que les Khmers sont unis. L’Union européenne et les États-Unis ont déjà imposé des sanctions contre le Cambodge, et l’Union européenne menace de retirer le Cambodge du régime préférentiel ‘Tout sauf les armes’ (EBA) si le pays ne respectait pas les Droits de l’Homme et s’il ne relâchait pas des prisonniers politiques », analyse Am Sam Ath. L’EBA est une initiative européenne visant à permettre aux pays en voie de développement d’exporter vers l’Europe sans barrières douanières. L’économie cambodgienne repose en grande partie sur les exportations textiles vers l’Europe, la suspension de l’EBA aurait donc un impact majeur.
Kim Sok, qui a été libéré de prison le 17 août, confie que le parti au pouvoir espère qu’avec la libération de prisonniers politiques, la communauté internationale reconnaîtra les résultats des élections cambodgiennes. Plusieurs pays, dont les États-Unis, le Canada et l’Australie, ont accusé les élections d’avoir été manipulées et en ont rejeté les résultats. « Libérer aujourd’hui autant de prisonniers politiques est juste une manœuvre destinée à donner une bonne image du pays. C’est une stratégie politique », souffle Kim Sok à proximité de la prison de Prey Sar où la plupart des prisonniers politiques sont détenus. L’analyste politique, qui a été enfermé à Prey Sar durant dix-huit mois, fait remarquer que dès septembre, le Cambodge sera l’un des vice-présidents de l’Assemblée générale des Nations Unies. « Le parti au pouvoir établit une stratégie afin de pouvoir prendre part à cela. S’ils ne libèrent pas de prisonniers, ils n’auront pas le droit d’y participer et de parler de liberté politique, des Droits de l’Homme ou des Droits de la presse. » Kim Sok ignore si cette stratégie réussira. « Je ne pense pas que la communauté internationale puisse reconnaître les résultats des élections. Elles n’ont été préparées et organisées que par un seul parti. Je pense que les pays étrangers ont suffisamment de preuves pour conclure que la population cambodgienne n’acceptera pas cette situation. »

Appel à libérer le chef de l’opposition

Le gouvernement cambodgien dément tout lien entre la grâce royale et la pression internationale. Sok Eysan, porte-parole du Parti du peuple cambodgien (CPP), cite trois raisons majeures derrière ces libérations. « La première de toutes, c’est que ces hommes ont écoulé une partie de leur peine, c’est pourquoi notre gouvernement a pu demander une grâce royale. La seconde, c’est qu’ils ont plaidé coupable et qu’ils ont écrit des lettres d’excuses. La troisième, c’est que le gouvernement veut se montrer clément envers eux. » À la pagode de Wat Chas, Um Sam An s’est dit heureux de la décision du gouvernement de le gracier. L’ancien législateur du CNRP a été condamné à trente mois de prison en octobre 2016 après avoir critiqué le gouvernement à propos d’une politique frontalière sensible concernant le Vietnam. Maintenant qu’il est libre, il espère la réconciliation du pays. « Il est temps que le peuple khmer soit uni et travaille ensemble pour développer et protéger notre pays. Le climat politique est toujours compliqué, mais je pense que cela s’améliorera quand nous parviendrons à mieux nous comprendre. »
Tout comme de nombreux Cambodgiens, Um Sam An se dit soulagé que des prisonniers politiques soient libérés. Toutefois, un prisonnier est toujours derrière les barreaux : Kem Sokha, le président du CNRP. Il a été arrêté pour trahison l’année dernière, en septembre 2017. Son arrestation a été vivement critiquée par la communauté internationale et a effrayé beaucoup de politiciens et de militants de l’opposition. « J’espère que Kem Sokha sera libéré lui aussi », confie Um Sam An. « Mais nous ne serons peut-être pas tous libérés en même temps. Je pense qu’ils nous libéreront au compte-gouttes. »
Le 29 août, le premier ministre Hun Sen a annoncé que le chef de l’opposition ne recevrait pas encore de grâce. « Comme pourrait-il être libéré alors qu’il n’a pas encore été officiellement condamné ? Il n’a pas été reconnu coupable d’une peine pour laquelle il pourrait être gracié », a déclaré Hun Sen lors d’un meeting en présence d’ouvriers du textile. Kim Sok pense de son côté que cela n’a aucun sens de garder Kem Sokha derrière des barreaux. « Cela donne vraiment une mauvaise image, tous les autres membres du CNRP ont été libérés. S’ils ne le libèrent pas, il y a des chances que la communauté internationale réagisse. »

(Avec Ucanews, Phnom Penh)

Crédit : VOA / public domain