Eglises d'Asie

Le parcours d’une famille chrétienne dans les bidonvilles de Lahore

Publié le 01/09/2018




L’exode urbain depuis les villages pauvres du Pendjab jusqu’aux banlieues précaires de Lahore amène les familles catholiques à se soutenir mutuellement dans leur quête pour la survie. Les difficultés ne manquent pas, entre l’illettrisme, l’alcoolisme, la malnutrition ou encore les problèmes de santé liés aux eaux polluées. Mais pour le père Francis Gulzar, vicaire général de Lahore, ils préfèrent vivre dans les bidonvilles chrétiens où ils peuvent louer à bas prix, vivre près de leurs proches et pratiquer leur foi librement dans leur propre communauté.

Samuel Daniel, catholique, était fermier jusqu’en 2011 avant qu’il ne déménage à Lahore, la capitale de la province du Pendjab dans l’est du Pakistan. « Un jour, je labourais de nuit quand quelque chose m’a mordu », raconte Samuel. « Le jour suivant, ma jambe droite avait enflé et avait atteint la taille d’un tronc d’arbre. J’ai passé les mois suivants à essayer plusieurs traitements, mais la situation n’a fait qu’empirer. » Daniel, 43 ans, confie que pour éviter l’amputation, il a vendu sa maison pour payer l’opération chirurgicale dont il avait besoin. Les médecins ont pu soigner sa jambe, mais il n’est pas parvenu à sauver son gagne-pain et il s’est retrouvé endetté. Il ne pouvait pas payer les trois repas par jour de ses quatre enfants et leurs frais de scolarité. Il a donc quitté son village d’Amritnagar, au Pendjab, pour rejoindre la colonie de Bahar, un bidonville chrétien dans les environs de Lahore, situé près d’une sortie d’égout. Samuel fait partie des millions de villageois qui sont venus dans les grandes villes telles que Lahore ou Karachi pour y chercher une sortie de la pauvreté.
Il travaille dans le bâtiment pour des petits boulots au jour le jour, et il loue une petite maison dans une petite rue crasseuse. Il n’a pas les moyens de retourner dans les champs et de retrouver l’air frais de son village. Les travaux de construction s’arrêtent les jours de pluie, la saison de la mousson réduit donc ses revenus de façon significative. À cause de sa jambe affaiblie, il lui arrive parfois de tomber en portant de lourdes charges comme du béton ou des briques. Il est encore réticent à l’idée d’envoyer ses enfants dans les écoles publiques, même si celles-ci fournissent gratuitement l’éducation, les manuels scolaires et des uniformes. « Seules les écoles chrétiennes proposent des cours de catéchisme. Je veux que mes enfants puissent étudier dans un environnement chrétien, où ils peuvent prendre confiance en eux aux côtés de camarades avec qui ils puissent être sur un pied d’égalité », explique-t-il.
Les enfants de Daniel vont dans une école protestante qui propose une éducation gratuite, mais il a quand même du mal à payer les manuels et fournitures scolaires. Selon le père Francis Gulzar, vicaire général de Lahore, les chrétiens pauvres préfèrent en général vivre dans les bidonvilles où ils peuvent louer à bas prix et rester près de leurs proches. « Ils se sentent plus en sécurité quand ils peuvent pratiquer leur foi librement dans leur propre communauté. Aucun autre quartier de la ville ne propose des boutiques chrétiennes, des chaînes de télévision chrétiennes, des rues où l’on peut entendre résonner de la musique gospel », assure le père Gulzar, qui est également curé de la paroisse Saint-Jean de Youhanabad, le plus grand quartier chrétien comptant près de 150 000 fidèles. En plus de l’école du dimanche, le diocèse récolte des fonds pour lancer un service télévisé catholique. La paroisse a l’habitude de diffuser les célébrations en direct sur Facebook. « Durant la semaine, le nombre de ‘likes’ peut atteindre 37 000 », ajoute le père Gulzar.

« Il y a une joie que vous ne trouverez dans aucun autre quartier »

La vie en ville apporte son lot d’épreuves. La plupart des familles chrétiennes de la paroisse souffrent de problèmes tels que l’illettrisme, l’alcoolisme, la malnutrition ainsi que des problèmes de santé liés à l’eau polluée. Les évêques affirment que beaucoup d’habitants des bidonvilles chrétiens sont négligés par le gouvernement, mais les familles catholiques de Bahar Colony connaissent aussi un autre défi. La colonie compte près de 200 églises et sert de lieu de rassemblement pour des réunions populaires organisées chaque mercredi par l’Église évangélique Full Gospel Assemblies (FGA). Des milliers d’habitants du quartier participent chaque semaine aux prières de guérisons proposées par le pasteur Anwar Fazal, le « télévangéliste » chrétien le plus célèbre du pays, fondateur d’Isaac TV, la première chaîne chrétienne du pays à être diffusée 24 heures sur 24. « Quand nous écoutons ses prières à la télévision, ma famille apporte souvent de l’eau pour demander qu’elle soit bénie, pour qu’elle puisse servir de médecine. Nous n’avons pas les moyens de payer des traitements onéreux et les gens croient en ses miracles. Maintenant, toute ma famille va à l’Église FGA », confie Daniel.
« Nous étions de fervents catholiques, mais les choses changent. Je suis souvent seul quand je me rends dans notre vieille église catholique. » Le père Morris Jalal, qui vient de célébrer 34 ans de sacerdoce, reconnaît que le nombre de fidèles a tendance à baisser. « L’une des raisons principales à cela vient de l’augmentation du nombre de missions évangéliques. Elles apparaissent comme des champignons après les attaques antichrétiennes. Les gens semblent moins intéressés par Dieu que par le visage ou la personnalité qu’ils vont voir. Ils subissent les conséquences d’une doctrine catholique peu enracinée », assure-t-il. Selon le prêtre capucin, la « mentalité de ghetto » a ses avantages et ses inconvénients. « Plutôt que de se confronter avec le reste de la société, la communauté a tendance à s’affronter avec ses propres membres », regrette-t-il. « Cela perturbe l’harmonie interreligieuse. Il est facile pour les non chrétiens de dénoncer les nombreux maux de ces quartiers. Pourtant, il y a une certaine joie dans les bidonvilles chrétiens que vous ne trouverez dans aucun autre quartier » reprend le prêtre. « Les gens du quartier célèbrent leur foi avec un total abandon. Les complexes d’infériorité qui affectent beaucoup de minorités religieuses ne pénètrent pas ces bidonvilles. »

(Avec Ucanews, Lahore)


CRÉDITS

Kamran Chaudhry / Ucanews