Eglises d'Asie

Tibet : la Chine veut éloigner les mineurs des évènements religieux

Publié le 11/09/2018




Au Tibet, Pékin poursuit la sinisation des religions en cherchant à déraciner les jeunes générations de leurs cultures traditionnelles. Afin de resserrer toujours plus son emprise sur la culture et la religion dans la région autonome du Tibet, le Parti communiste chinois a voté l’interdiction de la participation aux activités religieuses pour les cadres, les élèves et les parents d’élèves de nationalité tibétaine. Il passe donc d’une interdiction partielle à une interdiction totale. Une mesure d’autant plus absurde que l’on compte plus de mille ans de présence bouddhiste au Tibet, où la religion est devenue partie intégrante de la culture et de tous les aspects de la vie.

D’année en année, le Parti communiste chinois (PCC) a employé plusieurs moyens afin de véhiculer parmi les natifs Tibétains, l’idée que leur culture et leur religion traditionnelles sont dépassées, barbares et basées sur des croyances superstitieuses. Dans une nouvelle tentative d’éloigner les nouvelles générations de Tibétains de leur culture, le PCC a émis plusieurs avis interdisant la participation aux activités religieuses pour les cadres, les écoliers et les parents Tibétains. Les autorités ont également envoyé aux parents une « lettre d’assurance » via l’école de leurs enfants. Elle contient six points, dont deux soulignent que durant les vacances d’été, il est interdit aux élèves de participer à toutes formes d’activités bouddhistes. Mais les interdits ne sont pas nouveaux pour les Tibétains. Dans le passé, le PCC a promulgué à de nombreuses reprises des interdictions similaires avant les festivals culturels et religieux importants.
Même si ces activités religieuses sont reconnues publiquement par le PCC comme « légitimes », elles doivent être organisées sous la surveillance du département religieux et de la police militaire. De plus, le gouvernement utilise ces activités afin de développer sa propagande en les montrant comme des « signes » de la « liberté religieuse » au Tibet. Les touristes, élèves et cadres chinois, y compris les membres du Parti, peuvent y participer. Seuls les Tibétains en sont exclus.

Isolation culturelle

Le Saga Dawa, ou Mois du Bouddha, est un festival important pour les bouddhistes tibétains. Il est particulièrement visé par le PCC : le département de l’éducation du régime chinois envoie régulièrement des rappels aux écoles de la province pour souligner que les enfants n’ont pas le droit de participer aux activités religieuses liées au festival… C’est également vrai pour le Festival des lanternes qui marque la fin des festivités du Nouvel an chinois, pour les célébrations du Nouvel an tibétain ou encore pour les festivités autour de l’anniversaire du Dalaï Lama, interdites par le PCC. Le Dalaï Lama, 89 ans, vit dans le nord de l’Inde depuis son exil en 1959.
Une liste de cinq règles a également été établie afin de s’assurer que les élèves se conforment aux lignes idéologiques du Parti. Tout d’abord, ils n’ont pas le droit de se rendre dans les monastères afin de vénérer le Bouddha ; ensuite ils ne peuvent participer à aucune activité religieuse durant le Saga Dawa ; troisièmement, la même interdiction tient pour les parents et les tuteurs ; quatrièmement, il est demandé aux autorités locales de contrôler la situation sur le terrain et de prendre des mesures sévères contre ceux qui enfreignent les règles. Enfin, les parents qui participent à des activités religieuses avec leurs enfants doivent être dénoncés directement auprès des autorités. Il a été demandé aux parents de signer leurs noms à la fin de ces « avis », afin de leur rappeler qu’ils sont tenus responsables des actions de leurs enfants. En fait, ces avis ressemblent davantage à des accords secrets entre chaque école et les parents d’élèves, ceux-ci portant toute la responsabilité en cas de rupture de contrat.
Cela marque un changement de politique concernant les élèves tibétains, d’une interdiction partielle à une interdiction totale. De plus, le PCC a envoyé des milliers d’adolescents tibétains dans des écoles situées dans des provinces éloignées, pour les isoler de leurs familles, de leur culture, de leur religion et de leur environnement. Le parti a mis cela en place afin de promouvoir l’idéologie chinoise dans les classes tibétaines situées en dehors du Tibet. Le gouvernement a également instauré un programme pour envoyer davantage d’adolescents tibétains en Chine continentale dans le même but. Selon les statistiques officielles, près de 21 000 adolescents tibétains étudient dans 22 villes et provinces à travers la Chine. En dehors du Tibet, on compte 48 collèges et 85 lycées où l’on trouve des classes tibétaines.
Chaque année, quelque 1 500 élèves de primaire, 3 000 collégiens et 3 000 lycéens rejoignent ces classes. La plupart viennent de la région autonome du Tibet. La préfecture autonome tibétaine de Yushu a procédé à une opération similaire. Depuis 2015, elle envoie chaque année mille lycéens dans diverses provinces. Le 22 mai, la Cour intermédiaire de Yushu a condamné un commerçant et défenseur de la langue tibétaine à cinq ans de prison, une décision dénoncée plus tard par les Nations Unies. De son côté, depuis 2013, la préfecture autonome tibétaine de Hainan dirige plusieurs collèges dans les provinces de Jiangsu, Hubei et Sichuan entre autres. Elle a déjà transféré plus de 2 000 élèves. Mais malgré ces « purifications » de dizaines de milliers de jeunes Tibétains, le parti n’a toujours pas atteint son objectif de réprimer la culture et l’ethnicité tibétaines.

La « religion » du parti

La seule religion en Chine appartient au PCC, affirme Agya Hotogtu, membre de la Conférence consultative politique du peuple chinois, une assemblée consultative de la république populaire de Chine. « La Chine n’a qu’une seule religion, celle du Parti communiste », ajoute Agya, qui est également vice-président de l’Association bouddhiste de Chine et chef du monastère de Kumbum, un gompa tibétain de la province de Qinghai qui borde le Tibet. Afin d’utiliser les écoles du parti pour éduquer la population, le PCC ne tolère l’existence « normale » d’aucune religion. Pour la même raison, il procède à la sinisation du Tibet, d’où ses efforts redoublés pour réprimer la religion et la culture tibétaines. Après s’être installé au Tibet durant plus de mille ans, le bouddhisme est devenu partie intégrante de la culture tibétaine et de tous les aspects de la vie tibétaine.
Dans ce contexte, la décision du PCC d’interdire aux Tibétains de participer aux activités religieuses est pleine de paradoxes. Par exemple, les Tibétains gardent la tradition des moulins à prières, notamment dans la rue Barkhor de la partie ancienne de la capitale, Lhassa. Mais peut-on dire qu’ils « participent » à des activités religieuses simplement en empruntant cette rue ? Ce serait d’une logique absurde. Le quotidien Global Times, journal d’État, affirmait récemment que l’article 8 de la loi chinoise sur l’éducation stipule que « l’État sépare l’éducation de la religion. Aucune organisation ou individu ne peut utiliser la religion pour organiser des activités qui interfèrent avec le système éducatif de l’État ». Pourtant, l’article 36 de la Constitution chinoise dit clairement que « les citoyens de la république populaire de Chine jouissent de la liberté de religion. Aucun organisme d’État, aucune organisation publique ni aucun individu ne peut obliger ou interdire les citoyens de croire en une religion ; ils ne peuvent pas non plus discriminer les citoyens qui croient ou non en une religion ». Bien sûr, l’interdiction du PCC viole la propre Constitution du pays. Mais quand il s’agit du Tibet, le PCC ignore cette contradiction. L’objectif du Parti est clair : il veut remplacer la religion tibétaine avec la « religion du Parti communiste ».

(Avec Ucanews, Lhassa)


CRÉDITS

Ucanews