La Malaisie a été classée « très élevée » – dans les premiers 5 % – sur l’indice Pew Forum des restrictions officielles sur la religion. Les concepts de la « suprématie malaise » et de la « suprématie musulmane » (« Ketuanan Melayu » et « Ketuanan Islam ») sont étroitement liés en Malaisie, car les Malais sont légalement tenus d’être musulmans. Tout aperçu de la liberté religieuse en Malaisie doit d’abord mentionner le fait que les « musulmans officiels » sont les plus restreints dans leurs choix et leurs pratiques religieux. En effet, ils ne peuvent pratiquer leur religion de manière sélective ou personnelle : ils risquent d’être poursuivis pour ne pas avoir jeûné ou pour avoir refusé de prier, tandis que les femmes musulmanes subissent une pression croissante pour porter le voile islamique. L’islam Shia et d’autres sectes non-sunnites sont interdits ; même ceux qui proposent des interprétations alternatives de l’islam sunnite ont fait l’objet de poursuites judiciaires. Les autres religions ne sont pas autorisées à faire du prosélytisme, de sorte que, dans le contexte musulman malaisien, la notion de choix religieux reste théorique.
Ceux qui sont classés comme musulmans ne peuvent pas se convertir officiellement à une autre religion et quiconque épouse un musulman doit se convertir à l’islam. La non-reconnaissance par l’État des mariages entre musulmans et non-musulmans renforce la ségrégation des communautés et entrave la cohésion sociale ; l’État viole ainsi le principe d’égalité face au mariage. Les couples composés d’un musulman et d’un non musulman ont trois choix : se convertir, quitter le pays ou cohabiter hors mariage.
L’inertie des politiques
Des décennies d’application de la suprématie malaise et musulmane par l’État ont abouti à une intériorisation à grande échelle de la version de l’islam promue par l’État et contrôlée par des agences telles que Jakim, devenues de plus en plus rigides depuis le début du mandat de Mahathir Mohamad en tant que Premier ministre et Anwar Ibrahim comme ministre de l’Éducation. Comme Mahathir Mohamad est maintenant le chef du nouveau gouvernement Pakatan Harapan (« Coalition de l’Espoir ») et qu’Anwar Ibrahim est sur le point de diriger la coalition dans un avenir proche, tous les espoirs de réformes généralisées en faveur de la liberté de religion devraient être tempérés.
La question se pose de savoir si leurs points de vue ont réellement changé au cours des trois dernières décennies (et si oui, dans quelle direction ?) La relation cordiale d’Anwar Ibrahim avec le président turc Erdogan et le refus de Mahathir d’expulser Zakir Naik, un prédicateur salafiste extrémiste d’origine indienne, sont des preuves inquiétantes que leurs opinions sur la liberté religieuse n’ont pas évolué.
Sermons hebdomadaires du vendredi
Il pourrait y avoir un optimisme prudent avec la nomination de Mujahid Yusof Rawa, ancien responsable des relations interconfessionnelles pour le Parti islamique de Malaisie (PAS), et actuellement membre du Parti plus modéré Amanah en tant que ministre du département des Affaires religieuses du premier ministre. La nomination de Mujahid Rawa du PAS, bien que symbolique vis-à-vis du PAS, était encore une concession importante dans le contexte malaisien. Néanmoins, jusqu’ici, Mujahid Rawa n’a pris aucune mesure significative dans le sens d’une plus grande liberté religieuse. En fait, il a justifié le budget gonflé de Jakim (Département de l’avancement islamique, l’agence islamique la plus puissante du pays, responsable de la formation des enseignants religieux, préparant les sermons hebdomadaires du vendredi pour toutes les mosquées en Malaisie, délivrant la certification halal). En outre, il a récemment présidé à la proposition de nouvelles lois en vertu desquelles ceux qui insultent la religion, ou la race, seront passibles de peines d’emprisonnement allant jusqu’à sept ans ou d’une amende de 100 000 ringgits RM (21 000 euros). Ces trois lois ainsi que celle sur la haine religieuse et raciale seront prochainement présentées au Parlement.
La situation des chrétiens et autres minorités
Selon les statistiques officielles, 9 % de la population malaisienne est chrétienne. Environ la moitié des chrétiens sont catholiques, mais le gouvernement malaisien ne fait pas de distinction entre les différentes Églises. L’article 11 de la constitution malaisienne garantit théoriquement le droit pour chaque religion de gérer ses propres affaires religieuses.
Ce droit a été violé à plusieurs reprises, comme dans les procédures judiciaires sur l’utilisation du mot « Allah » par les non-musulmans. En 2014, la plus haute cour de Malaisie a rejeté une demande des chrétiens du pays pour le droit d’utiliser le mot « Allah », qui avait historiquement été le mot pour « Dieu » dans les versions en langue malaise de la Bible. Parallèlement, les droits des non-musulmans sont souvent remplacés par les lois de la charia telles qu’interprétées par les tribunaux malaisiens dans les affaires impliquant aussi bien des musulmans que des non-musulmans.
Près de 75 % des chrétiens de Malaisie vivent en Malaisie orientale (Bornéo) et 65 % des chrétiens de Malaisie sont des Orang Asli (peuples autochtones), dont le seul langage commun de prière et de culte est le Bahasa Malayu. Les chrétiens sont le groupe non-musulman le plus organisé et sont donc également surveillés de très près et font face aux pressions de l’État. Outre la Fédération chrétienne de Malaisie, qui comprend le Conseil des Églises de Malaisie, la Fraternité chrétienne évangélique nationale et la Conférence des évêques catholiques de Malaisie, le Conseil consultatif malaisien du bouddhisme, du christianisme et de l’hindouisme, sikhisme et taoïsme (MCCBCHST) représente les intérêts religieux non musulmans. À ce stade, l’avenir de la liberté religieuse pour les musulmans et les non-musulmans en Malaisie reste incertain.
(EDA / Preeta Samarasan, en collaboration avec Charis Quay Huei Li et Patricia Martinez)
Pour plus d’informations, retrouvez le numéro de septembre de la revue MEP (n° 541 – Singapour-Malaisie).