Eglises d'Asie – Cambodge
Faute de travail, les Cambodgiens de Battambang quittent le pays
Publié le 13/09/2018
Yu Ya, originaire de Bavel, un district rural de la province de Battambang, n’a pas vraiment envie de partir en Thaïlande. Elle préférerait rester chez elle pour s’occuper de son fils, âgé d’un peu plus d’un an. Mais la Cambodgienne assure qu’il n’y a pas d’autres solutions. « Il n’y a aucun travail pour moi ici. Nous avons seulement un champ de riz, et une petite boutique où nous vendons de la soupe de riz pour le petit-déjeuner. Mais cela ne suffit pas », regrette-t-elle. On compte entre un et deux millions de Cambodgiens qui travaillent en dehors du pays, pour la plupart en Thaïlande où ils trouvent de meilleures opportunités d’emploi. Selon la Banque mondiale, cette tendance devrait se poursuivre au cours des prochaines années. Mais les conséquences sont graves : des familles se retrouvent déchirées par cette situation, quand les personnes âgées et les enfants restent au village alors que les parents partent chercher du travail de l’autre côté de la frontière.
Yu Ya est née et a grandi à Battambang, dans le nord-ouest du pays. La province est connue pour ses rizières vertes et fertiles. Mais à part l’agriculture, il n’y a pas grand-chose d’autre à faire dans la région. « Au moins, à Phnom Penh, il y a des usines qui embauchent », souffle Yu Ya, 43 ans, qui partage sa maison avec sa mère et son fils. « Ici, ce genre d’opportunité est rare. Et même en tant qu’ouvrier non qualifié, vous gagnerez deux à trois mieux votre vie en Thaïlande qu’au Cambodge. Je vais donc partir en là-bas, comme mon mari qui s’y trouve déjà. » L’Organisation internationale pour les migrations (IOM) estime qu’il y a entre 4 et 5 millions de travailleurs migrants en Thaïlande, originaires de Birmanie, du Laos et du Cambodge pour la plupart. L’ONG Central, qui soutient et accompagne les travailleurs cambodgiens, souligne que la Thaïlande héberge jusqu’à deux millions de Cambodgiens. Et le mois dernier, le ministre du Travail thaïlandais a annoncé que le pays avait besoin de 40 000 migrants supplémentaires pour rejoindre le secteur de la pêche.
En Thaïlande, les travailleurs cambodgiens trouvent un salaire près de trois fois plus élevé que dans leur pays, entre 308 et 330 bahts (10 dollars) par jour selon la province. À Bavel, le district d’origine de Yu Ya, les conséquences de cette situation sont visibles. Plusieurs familles ont pu construire des maisons plus grandes et plus confortables et s’acheter de nouvelles motos, voire même parfois des voitures. Mais tous ne sont pas aussi chanceux. Sey Samn, la voisine de Yu Ya, a vu partir trois de ses quatre filles avec leurs maris en Thaïlande. La femme de 61 ans s’occupe de ses quatre petits-enfants qui sont restés au village. « Tous mes enfants travaillent dans le bâtiment », explique Sey Samn. « Chacun d’entre eux m’envoie environ 1 000 bahts par mois. J’ai besoin de cet argent pour acheter de la nourriture pour m’occuper de mes petits-enfants, mais c’est juste. » L’impact social de cette situation est difficile à évaluer. La plupart des adultes de la province de Battambang sont partis en Thaïlande. Beaucoup d’entre eux ont confié leurs jeunes enfants à leurs parents ou à des frères et sœurs. Souvent, les enfants ne peuvent voir leurs parents qu’une à deux fois par an.
Vers un meilleur contrôle du travail illégal ?
« Mes petits-enfants ne se sentent plus tellement attachés à leurs parents, parce qu’ils sont partis alors qu’ils n’avaient que quelques mois », ajoute Sey Samn. « Je le remarque surtout quand leurs parents viennent nous visiter, parce que la nuit, les enfants préfèrent dormir à côté de moi plutôt qu’à côté de leurs parents. » Des milliers d’employés cambodgiens, travaillant pour le secteur de la pêche en Thaïlande, rencontrent d’autres problèmes. Des rapports d’ONG et de l’Organisation internationale du travail (OIT) dénoncent des situations de travail forcé, d’exploitation, de maltraitance et même d’esclavage, qui continuent de peser sur le secteur. Le gouvernement a essayé de mieux réguler le travail des migrants. Une « carte rose » a ainsi été créée afin de permettre aux migrants de travailler dans le pays pour une période donnée. Les cartes roses sont utilisées largement par les travailleurs cambodgiens, birmans et laotiens, mais ce système d’identification est critiqué parce qu’il limite la liberté de mouvement des travailleurs. Pour eux, il peut être difficile, voire impossible, de changer d’employeur.
Yu Ya va obtenir une carte rose avant son départ pour la Thaïlande. Il y a trois ans, elle a traversé la frontière illégalement et a été arrêtée alors qu’elle travaillait pour une corderie. « Je n’avais ni passeport ni carte rose », avoue-t-elle. « Nous pensions que nous avions donné suffisamment d’argent à la police pour qu’ils nous laissent tranquilles, mais ils nous ont quand même arrêtés et envoyés en prison pour un mois. Aujourd’hui, si vous n’avez pas de passeport ou de carte rose, aucun employeur ne vous embauchera. Ceux qui embauchent des travailleurs illégalement risquent gros. » Dy Thehoya, directeurs des programmes pour l’ONG Central, assure que le nombre de travailleurs illégaux en Thaïlande a baissé, depuis que de nouvelles lois et un meilleur contrôle ont rendu le secteur plus sûr et ont permis de s’attaquer à l’exploitation et à la traite des personnes dans le secteur du travail. Mais il reste encore beaucoup à faire.
La Thaïlande prévoit de nouvelles lois et de nouvelles normes afin de se conformer au cadre juridique établit par l’Asean (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) et par les conventions de l’OIT (Organisation internationale du travail). Le pays devrait également instaurer un dispositif efficace afin de contrôler les conditions de vie et de travail des ouvriers migrants, ajoute Dy Thehoya. Cela dit, une migrante telle que Yu Ya préférerait une situation différente. « Si je pouvais avoir un salaire correct au Cambodge, je resterais ici », déplore-t-elle. « Même avec seulement 10 000 riels (2,50 dollars) ou 20 000 riels par jour, je choisirais de rester ici. Mais que puis-je faire ? Il n’y a pas de travail ici. » Yu Ya pense partir d’ici deux mois. Son fils aura alors deux ans. Sa mère, Bun Nan, le prendra en charge. Cette dernière, 63 ans, ne se réjouit pas vraiment du départ de sa fille. « Je trouve que c’est dur, mais nous n’avons pas le choix. Pour l’instant, nous ne gagnons pas assez d’argent pour survivre », soupire Bun Nan.
(Avec Ucanews, Phnom Penh)