Eglises d'Asie

Les médias sociaux attisent la haine religieuse des Pakistanais

Publié le 18/09/2018




De nombreuses violences visent les groupes minoritaires, dont les droits sont souvent négligés. Mais des intellectuels tels qu’Anthony Naveed, juriste ou encore Sabir Michel, professeur à Karachi, affirment que beaucoup d’affaires sont détournées et présentées comme relevant de l’extrémisme religieux, souvent à tort. Les médias sociaux exploiteraient ainsi beaucoup d’attaques ou d’incidents violents afin de les dénoncer comme des violences religieuses, au risque d’attiser la véritable intolérance religieuse dans le pays.

L’extrémisme religieux fait régulièrement parler de lui au Pakistan, où les droits des minorités sont souvent négligés, mais peut-être pas aussi souvent que l’on pourrait penser, à cause des « fake news » qui se répandent en ligne et via les médias sociaux. Les critiques décrivent ainsi une série d’attaques qui avaient été dénoncées comme antichrétiennes mais qui relevaient en fait davantage du règlement de comptes.
Une affaire rapportée dans la ville portuaire de Karachi, dans le sud du pays, concerne ainsi une jeune chrétienne de 18 ans, dont l’attaque par un policier musulman avait été classée à l’origine comme « crime antireligieux », avant qu’il apparaisse que ce dernier était plutôt aveuglé par la jalousie. L’adolescente, Benish, a été poussée d’un balcon du deuxième étage d’un immeuble par le policier Taher Abbas, après que cette dernière avait refusé sa demande en mariage, selon les parents de la jeune fille. « Taher Abbas a un passé criminel. Il harcelait notre fille par téléphone depuis longtemps », explique le père de Benish, Paul Shamsher.
Sa mère, qui a refusé de donner son nom, ajoute qu’Abbas s’est montré menaçant au téléphone envers la jeune fille durant plusieurs semaines, avant qu’il ne finisse par devenir violent. « Malgré les supplications de ma fille lui demandant de ne pas lui faire de mal ou de ne blesser aucun membre de notre famille, il a refusé de renoncer à ses manœuvres », regrette-t-elle. « Les choses se sont emballées quand il l’a poussée du balcon, lui fracturant trois vertèbres ainsi que son pied et sa cheville », ajoute sa mère, expliquant qu’Abbas a ensuite emmené sa victime à l’hôpital en mentant aux médecins et aux infirmières sur ce qui s’était réellement passé. Il l’aurait ensuite menacée d’un sort encore pire si elle osait le contredire, mais Benish ne l’a pas écouté et ses parents ont pu déposer plainte contre lui. Mais ce n’est qu’après que les médias ont rapporté l’affaire en août qu’Abbas a fini par être arrêté et mis en prison.

L’exploitation d’affaires devenues virales

Une autre affaire, qui a fait débat sur les médias sociaux au sein des communautés chrétiennes, s’est déroulée à Karachi, dans le district de Mehmoodabad, où une famille chrétienne a été menacée par un groupe de musulmans. Les tensions ont éclaté quand le père de famille, Alvin John, a rapporté aux autorités que sa fille de 19 ans, Nasreen, était harcelée par des jeunes hommes du quartier à chaque fois qu’elle se rendait à l’université. La situation s’est envenimée le 18 août quand Vikrum, le fils d’Alvin, a vu son chien se faire attaquer par le même groupe. Il est intervenu et a été blessé dans la bagarre. Quand sa famille est venue l’aider, le groupe est entré dans la maison et s’en est pris à sa mère et à sa sœur. Vikrum a perdu un œil et la maison a été pillée. Depuis, la famille vit dans la peur et a dû partir après avoir subi une série de menaces. « J’ai parlé aux parents de ces garçons, mais ils n’ont rien fait », confie Alvin. Nasreen se souvient comment son père s’est précipité hors de la maison pour venir au secours de Vikrum, et comment le groupe s’est attaqué à lui avant de briser les fenêtres de la maison pour y entrer…
Une autre attaque qui a fait parler d’elle a eu lieu dans la province de Thar in Singh durant l’été. Une fille de 16 ans a été enlevée par des membres de la tribu Baloutche, sous les yeux de sa famille impuissante. Kevel, le père de la fille, a déposé plainte auprès de la police locale, qui a ignoré son appel à l’aide, l’obligeant à tenter de faire justice par lui-même en cherchant à la libérer. Il explique qu’au 11 septembre, il essayait toujours de la localiser alors que les suspects sont toujours en liberté et que la police semble peu disposée à mener sa propre enquête.
Pour Anthony Naveed, un législateur catholique, de telles affaires, qui constituent des crimes contre des groupes minoritaires, ne peuvent pas forcément être considérées comme une persécution religieuse. Anthony confie qu’il propose un conseil juridique gratuit à toutes les victimes et qu’il a rendu visite aux familles de Banish et de Vikrum. Sabir Michael, professeur auxiliaire à l’Institut Shaheed Zulfikar Ali Bhutto des sciences et technologies (Karachi), estime qu’au Pakistan, les violences sont souvent confondues avec l’extrémisme ou qu’elles sont même exploitées volontairement sur les médias sociaux. « Les militants et les responsables religieux essaient, sur les médias sociaux, de présenter ces affaires comme antireligieuses, même quand ce n’est le cas », affirme Sabir.
Il invite le public à plus de discernement avant de partager ou de « liker » ces publications, au point qu’elles deviennent virales et attisent la véritable intolérance religieuse et les troubles sociaux. « S’il vous plaît, ne publiez pas chaque incident en le cataloguant comme antireligieux », ajoute-t-il. « Une enquête approfondie et impartiale doit être faite via des sources fiables, et non en s’appuyant sur l’opinion publique pour lancer des accusations basées sur de fausses informations », souligne Sabir Michael. « Certains font cela volontairement, en exploitant la religion à leurs fins ou en s’en prenant à certains individus ou à certaines communautés pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le christianisme ou l’islam. »

(Avec Ucanews, Islamabad)