Eglises d'Asie

Les écoles catholiques bangladaises sous pression

Publié le 22/09/2018




Suite au lancement d’une réforme du ministère bangladais de l’Éducation, depuis 2010 après la victoire de la Ligue Awami aux élections législatives nationales, l’Église catholique, qui a la charge de nombreux instituts dans le pays, est confrontée à de nombreux problèmes relatifs à la nouvelle politique. À commencer par la décision de modifier la structure des cycles primaires et secondaires, qui risque de causer des difficultés financières à beaucoup d’établissements. Les chrétiens représentent seulement 600 000 Bangladais sur une population de 160 millions d’habitants, mais ils sont reconnus pour la qualité de l’enseignement catholique dans le pays.

Les recommandations d’une réforme de l’éducation bangladaise – qui a été formulée en 2010 mais qui n’a pas encore été mise en œuvre – posent de graves problèmes aux établissements catholiques et pourrait entraîner la fermeture de plusieurs d’entre eux. La cause viendrait de la décision d’étendre le cycle de l’enseignement primaire du CM2 à la 4e,  et celui de l’enseignement secondaire de la 3e à la terminale. « Transformer des écoles, cela demande de l’argent, des infrastructures et de nouveaux enseignants, c’est pourquoi l’application de ces nouvelles règles a été menée aussi lentement », explique le père Hemanto Pius Rozario, directeur du Notre-Dame College de Dhaka.
Le prêtre ajoute que plusieurs écoles primaires catholiques ont ajouté de nouvelles classes pour se conformer à la réforme, mais qu’aucun lycée n’a pu le faire. « Il n’y a pas encore de véritable loi, c’est pourquoi nous n’avons pas ressenti de pressions à cause de cela. Mais cela pourrait devenir un sérieux casse-tête à l’avenir », souligne le père Rozario. Les chrétiens sont une faible minorité au Bangladesh, où ils représentent moins de 0,5 % des 160 millions d’habitants du pays avec près de 600 000 fidèles, dont une majorité de catholiques. Ils ont pourtant été vivement salués par beaucoup de musulmans à travers le pays pour leur contribution importante dans les secteurs de la santé et de l’éducation, ainsi que pour leur apport au développement socio-économique du pays. Beaucoup d’écoles et d’universités catholiques sont en effet classés parmi les établissements bangladais les plus prestigieux. L’Église gère 13 universités, 579 écoles et 13 instituts de formations à travers le pays, selon l’Enseignement catholique (BCEB), qui dépend de la Conférence épiscopale bangladaise. En tout, le BCEB est responsable de l’éducation de près de 100 000 élèves par an, dont une majorité de musulmans. De son côté, Caritas Bangladesh gère plus de mille écoles maternelles, destinées aux familles défavorisées, pour lesquelles l’organisation reçoit le soutien financier de l’Union européenne.

Politique libérale

Il y a huit ans, une commission d’État a formulé une nouvelle politique éducative après d’importantes recherches et de nombreux échanges avec les divers acteurs du secteur. Cette politique a été lancée deux ans après les élections législatives de 2008, aux cours desquelles la Ligue Awami a remporté une large victoire. Avant son élection, la Ligue Awami, l’un des deux principaux partis politiques du pays, avait annoncé que la réforme de l’éducation était au centre de son programme politique. Sur le papier, selon les analystes, la réforme en question comprenait une série de réformes et d’engagements d’inspiration libérale, dans la lignée de la Constitution du pays. Cette politique éducative est la sixième de ce genre à être introduite dans le pays depuis 1974. Elle est toujours considérée comme l’une des meilleures et des plus efficaces que le pays ait connues, la Ligue Awami l’a donc maintenue lors de sa réélection en 2014.
La réforme préconise notamment un cursus commun pour les élèves d’école primaire. Celle-ci est également rendue obligatoire dès le CM2, et des cours tels que l’anglais ou les technologies de l’information et de la communication sont rendus obligatoires. Les directives de la réforme introduisent également des méthodes plus créatives contre l’apprentissage par cœur, et cherchent à développer le patriotisme des élèves dès le plus jeune âge en insistant sur l’histoire du pays. Elles suggèrent aussi de profonds changements dans les méthodes d’évaluation des élèves, en se concentrant davantage sur leur créativité que sur leur capacité à mémoriser, tout en soutenant l’amélioration de la formation des enseignants. Cependant, l’éducation catholique dénonce une nouvelle augmentation du recours au soutien scolaire et aux cours particuliers, ce qui désavantage les familles les plus pauvres qui méritent une meilleure éducation.

L’ingérence de l’État

Autre source de tensions pour les écoles catholiques, celles-ci doivent choisir de rejoindre ou non un programme du gouvernement, destiné à la rémunération des enseignants des écoles publiques et privées depuis 1985. Selon la réforme, le gouvernement nommerait des enseignants et leur accorderait certains avantages. Mais l’Église s’est montrée réticente. « Cela doublerait effectivement le salaire des enseignants », explique le père Gomes, secrétaire de la BCEB. « Mais cela veut dire aussi que le gouvernement pourrait intervenir dans la gestion des établissements catholiques, y compris dans la nomination de leurs directions et du corps enseignant. C’est le problème que nous devons résoudre. Nous devons choisir entre accepter cela au bénéfice de nos enseignants, tout en sacrifiant notre indépendance, ou alors tout simplement refuser », confie le prêtre. Ainsi Alfred Ronjit Mondol, directeur du lycée Saint-Joseph de Khulna, qui accueille environ 1 800 élèves et 37 enseignants explique que deux enseignants sont partis récemment en recherche de meilleurs salaires.
Beaucoup d’établissements catholiques assurent qu’ils ont déjà beaucoup de mal à recruter des enseignants qualifiés, en particulier dans les zones rurales. Le père Gomes explique que quelques écoles parviennent à augmenter le salaire de leurs enseignants, mais pour lui, « le problème avec cela c’est que nous ne pouvons pas dépasser un certain montant pour les frais de scolarité ». La réforme éducative impose également aux directeurs d’établissements qu’ils aient plus de douze ans d’expérience et qu’ils possèdent une licence en sciences de l’éducation. « Il est vrai que nous manquons de prêtres et de religieux qui remplissent cette exigence, même s’il n’y a aucun doute sur leurs capacités », affirme le père Gomes. « L’Église bangladaise et plusieurs ordres religieux se sont déjà assurés que ceux qui dirigent les établissements catholiques sont compétents et bien formés, pour qu’ils soient capables de les gérer correctement. »

La mission des écoles catholiques

En 2012, le gouvernement a introduit un système d’inscription en ligne pour les lycées, basé sur la moyenne générale obtenue par les élèves de seconde. Ceci a simplifié l’admission des élèves, qui n’ont plus à passer des examens d’entrée mais simplement à payer les frais de scolarité, pourvu que leurs moyennes soient suffisamment élevées. Selon le gouvernement, l’ancien système augmentait les risques de corruption. Les parents riches et bien placés pouvaient ainsi « acheter » les places de leurs enfants dans les écoles les plus prestigieuses. Mais trois écoles catholiques de Dhaka – Notre-Dame, Sainte-Croix et Saint-Joseph –, qui font partie des meilleures écoles du pays, ont refusé le nouveau système, le jugeant injuste. Selon eux, il prive les élèves de leur droit de prouver leurs mérites par les examens d’entrée. Les trois écoles ont fini par déposer une requête auprès de la Cour Suprême pour demander l’autorisation de continuer avec l’ancienne méthode, ce qu’ils ont obtenu.
Le père Rozario confie que c’est une source de tensions avec le gouvernement, mais les écoles en question restent protégées par la décision de la Cour Suprême. Il ajoute que la mission des écoles catholiques et ce qu’elles essaient d’accomplir ne sont pas toujours bien compris dans le pays. « Notre éducation est basée  sur des valeurs et un idéal, afin d’aider les élèves à devenir des personnes accomplies. Nous cherchons à éclairer à la fois leurs esprits et leurs cœurs », soutient le prêtre. « Beaucoup de personnes, y compris des membres du gouvernement, ont du mal à croire que nous offrons cela généreusement, sans chercher de profits. »
Depuis des années, l’Église bangladaise a dû faire pression sur le gouvernement et demander l’aide du Vatican afin de trouver des compromis sur ces questions. « Quand le premier ministre Sheikh Hasina a rendu visite au Vatican l’année dernière, il lui a été demandé d’intervenir pour qu’elle puisse contribuer à trouver une solution », explique le père Gomes. Depuis, l’Église a envoyé une proposition de dix points au ministère de l’Éducation, ajoute-t-il. « Le gouvernement reconnaît tout ce que les établissements catholiques ont apporté, donc nous nous attendons à une réponse positive. Cela ne réglera peut-être pas tous nos problèmes, mais nous espérons que cela nous donnera suffisamment de marge de manœuvre pour pouvoir continuer notre travail. »

(Avec Ucanews, Dhaka)


CRÉDITS

Stephan Uttom / Ucanews