Eglises d'Asie

L’accord Chine-Vatican du 22 septembre : un ballon d’essai au gré du vent

Publié le 27/09/2018




En janvier, EDA publiait un dossier sur les échanges Chine-Vatican, intitulé « La longue marche de l’Église vers une entente Chine-Vatican ». Le but est-il enfin atteint ? Un accord provisoire a été signé à Pékin le samedi 22 septembre entre Mgr Antoine Camilleri, sous-secrétaire pour les relations du Saint-Siège avec les États et Son excellence M. Wang Chao, ministre député aux Affaires étrangères de la République populaire de Chine, tous deux à la tête de leurs délégations respectives. Voici l’analyse du père Jean Charbonnier, prêtre des Missions Étrangères de Paris (MEP) et spécialiste du christianisme chinois.

Une première remarque s’impose sur les modalités de l’accord. Il a été signé à Pékin. À tout seigneur, tout honneur. Le représentant du pouvoir chinois relève du ministère des Affaires étrangères, qui peut traditionnellement se montrer plus libéral au moment même où la politique intérieure renforce sa discipline. L’accord n’implique en aucune façon un changement dans l’application brutale de la nouvelle loi sur les religions en vigueur depuis février dernier. Le gouvernement chinois peut même faire valoir son accord officiel avec Rome pour forcer tous les catholiques à entrer dans le cadre « patriotique » de la politique officielle du Parti. La position des clandestins s’en trouve affaiblie. Cependant, l’accord est annoncé comme une victoire par le cardinal Parolin et le monde entier est invité à s’en réjouir. Ce premier signe d’entente entre Rome et Pékin est sans doute attendu depuis longtemps. Mais est-il si important ? Les médias chinois, pour leur part, y font peu d’échos.

Que savons-nous de cet accord ?

Trois éléments sont révélés explicitement :
1. Les sept évêques illicites nommés sans l’accord de Rome, y compris trois d’entre eux excommuniés, sont réconciliés avec le Saint-Siège après avoir officiellement demandé pardon.
C’est une victoire pour le gouvernement chinois. C’est un réconfort pour les évêques concernés. C’est un affaiblissement de l’autorité romaine pour les catholiques clandestins qui ne comprennent pas ce revirement du Saint-Siège. Du point de vue de la psychologie chinoise, c’est une perte de la face intolérable et la crainte de sanctions accrues. Si l’on peut comparer le dialogue Vatican-Pékin à un match de football, l’équipe des blancs du pape laisse les rouges de Pékin tirer le premier coup dans le ballon et les laisse même marquer leur premier but.
2. Le pape accepte le processus « démocratique » chinois pour l’élection des évêques. Les prêtres, religieux et laïcs de l’Association patriotique du diocèse participent à l’élection. Leur candidat est alors présenté à la Conférence épiscopale chinoise. L’accord stipule que le candidat élu doit être présenté au Saint-Siège pour une approbation finale du pape. Le pape pourra alors exercer un droit de veto si le candidat ne convient pas. C’est une victoire pour le pape si cette disposition est confirmée dans la pratique. Elle est pourtant démentie dans l’immédiat puisque le Saint-Siège doit reconnaître sept évêques nommés sans son accord et même, pour certains, malgré son refus explicite. Cette contradiction interne en dit long sur la portée réelle de l’accord. L’effet du premier but marqué par la Chine affaiblit considérablement la défense blanche. Il est vrai qu’aux yeux de l’Église, il ne s’agit pas d’un combat mais d’un acte amical et respectueux.
3. La préfecture apostolique de Chengde, dans la province du Hebei, est élevée au rang de diocèse suffragant de l’évêché de Pékin. Les régions ecclésiastiques de 1946 seraient-elles rétablies ? Le territoire de Chengde est plus étendu. L’accord présente ce changement comme étant l’œuvre du pape. Ce serait une première intervention du pape dans le tracé des diocèses de Chine depuis des décennies… C’est une victoire pour Mgr Guo Jincai, l’un des évêques réconciliés, qui vient d’ailleurs de bâtir une cathédrale prestigieuse et coûteuse. Y aurait-il une intention politique dans le nouveau prestige offert à l’évêque de Chengde ? Chengde est le site du Palais d’été des empereurs de Chine. C’est dans ce palais que l’Empereur Kangxi accueillit au début du XVIIe siècle le délégué du Saint-Siège, Mgr de Tournon. L’Empereur ne comprit pas les requêtes du délégué. Il trouva fort déplacé que « l’empereur de la religion Jiaohuang » (traduction chinoise du mot « Pape ») vienne se mêler des affaires intérieures de la Chine. Peu après cette audience, Mgr Tournon diffusait officiellement le décret du pape interdisant aux chrétiens chinois de pratiquer le culte des ancêtres jugé superstitieux. Le rituel signifiait en fait l’obéissance absolue au souverain suivant la norme confucéenne. Mgr de Tournon fut immédiatement banni à Macao, où il reçut du pape le chapeau de cardinal. L’honneur fait aujourd’hui à l’évêque de Chengde pourrait être interprété comme une revanche historique sur les exigences romaines, toujours considérées comme ingérence politique mettant en cause le pouvoir absolu du Parti. Rome, par contre, précise que le but du présent accord est avant tout pastoral et souhaite favoriser l’unité entre tous les catholiques de Chine.
Dans la mesure où le pape François soutient cet accord qu’il a toujours vivement désiré, on doit penser que c’est un acte d’humilité auquel il invite l’Église devant une Chine riche et puissante. Son but n’est évidemment pas de chercher un compromis avec les nouveaux exploiteurs du peuple chinois. Il a été souvent reproché à l’Église de se ranger du côté du plus fort. C’est peut-être encore le cas de la politique vaticane, qui doit tenir compte de la place que prend aujourd’hui la Chine dans la vie du monde. Mais le but du Pape François est bien dans l’esprit de l’Évangile. C’est de permettre à l’ensemble des catholiques de Chine de s’unir entre eux pour le bien de leur pays, dans un esprit de service et d’amour.

Les non-dits de l’accord

Ce qui nous est révélé de l’accord n’est que la partie visible de l’iceberg. Qu’y a-t-il sous l’eau ? Dans la logique des mesures déclarées, on peut conclure que le Saint-Siège reconnaît la légalité de la Conférence épiscopale chinoise puisqu’il devra prendre en compte les candidats à l’épiscopat qu’elle lui présentera. Faut-il en conclure que la trentaine des évêques clandestins sera invitée à rejoindre cette conférence, qui est en fait toujours dominée par l’Association patriotique des catholiques chinois ? Leur droit de refuser est-il reconnu par l’Église ? Dans le cas contraire, le risque serait que les clandestins deviennent doublement clandestins, à la fois vis-à-vis de l’État et de l’Eglise. Il y aurait un risque de schisme de la part des catholiques les plus fidèles à l’Église. L’accord contient-il une clause précisant le rôle de l’Association patriotique des catholiques ? Est-ce une participation positive des laïcs à la gestion pratique des diocèses et des églises ? L’autorité de l’évêque en matière religieuse est-elle respectée ?
Une autre question de taille est amorcée par la reconnaissance du nouveau diocèse de Chengde. D’après la version publique de l’accord, c’est le pape qui est le créateur de ce nouveau diocèse. Est-ce l’amorce d’une prise en compte par le Saint-Siège de la nouvelle répartition administrative des diocèses ? Dans l’annuaire pontifical romain, la Chine compte 144 diocèses créés par Rome. La nouvelle répartition administrative des diocèses, mise en place sous l’égide de l’Association patriotique des catholiques, réduit à 96 le nombre des diocèses. Compte tenu de l’évolution de la Chine, ce remaniement paraît assez raisonnable. Mais le maintien par Rome des anciens diocèses permettait aux évêques clandestins de voisiner avec les évêques des nouveaux diocèses reconnus officiellement. Les prêtres pouvaient éventuellement se recommander du diocèse et de l’évêque qui leur convenait. Ces questions sont-elles abordées dans l’accord ?
La nouvelle répartition administrative répond en général assez logiquement au développement des nouveaux centres administratifs et à la réduction du nombre des prêtres. Dès 1950, la plupart des diocèses gérés par des évêques et des missionnaires étrangers ont vu le nombre des prêtres réduire des deux tiers. Les périodes de répression, jusqu’à la Révolution culturelle de 1966-1976 ont encore diminué le nombre des prêtres chinois. À la suite de la nouvelle politique de modernisation ouverte par Deng Xiaoping en 1978, les prêtres chinois sortant des camps de travail forcé ou des prisons ont pu reprendre leur ministère. Leur premier soin fut d’enseigner le latin à quelques jeunes en vue d’assurer la relève. Les séminaires ont pu être ouverts à partir de 1982. Les vocations, heureusement, ont été nombreuses jusqu’à la fin du XXe siècle. Mais dans certains diocèses, il ne restait plus que deux ou trois prêtres. Dans la province du Hunan, sept diocèses ont été regroupés pour former le diocèse unique de Changsha, capitale de la province. L’évêque de Changsha dispose d’une vingtaine de prêtres. Il est probable que l’accord actuel contient une clause stipulant la reconnaissance de la nouvelle carte des diocèses en Chine. Ce qui signifie un contrôle accru de la vie de l’Église et des conditions de vie plus difficiles encore pour les clandestins.

Un ballon d’essai sur la route de la soie

Reste une question capitale qui fait sans doute partie de l’accord. Le gouvernement chinois a répété inlassablement qu’un accord avec Rome n’était possible que si le Vatican rompait d’abord ses relations diplomatiques avec Taïwan. Des représentants du Vatican ont souvent laissé entendre que le Saint-Siège ne ferait aucune difficulté pour transférer sa représentation de Taipei à Pékin. Pour le Saint-Siège, une rupture avec Taipei n’est concevable que si le gouvernement de la République populaire fait une demande de reprise des relations diplomatiques, qu’il a rompues en 1952 en renvoyant comme un malpropre le nonce apostolique Mgr Riberi. Les relations diplomatiques avaient été établies avec la Chine en 1942 et le nonce résidait à Nankin, alors capitale de la Chine sous le gouvernement nationaliste du Guomindang. Mgr Riberi resta à Nankin sous le nouveau gouvernement populaire et ne suivit pas Tchiang Kaishek à Taïwan, attendant les dispositions du nouveau gouvernement. Le nouveau gouvernement le chassa honteusement à Hong-Kong en 1952 en le qualifiant de représentant de l’impérialisme du Vatican. Cinquante ans plus tard, en l’an 2000, le Vatican était encore sévèrement insulté pour avoir canonisé 120 martyrs de Chine dont certains, semble-t-il, avaient fait le jeu de l’impérialisme français.
La mémoire des humiliations subies par la Chine jusqu’au Traité de Versailles en 1919 demeure toujours bien présente chez les dirigeants chinois. Le gouvernement chinois actuel n’est sûrement pas demandeur de relations diplomatiques avec le Vatican même si, réflexion faite, cela pourrait être dans son intérêt. La Chine populaire pourrait se contenter de ne pas exiger du Vatican la rupture avec Taipei. Le libre jeu de l’Église à Taïwan assure un lien concret avec les catholiques du continent et favorise l’union entre l’île et la mère patrie. Le service culturel et social des catholiques à Taïwan témoigne de l’amour et du respect de l’Église pour le peuple chinois. Depuis le concile Vatican II il y a 60 ans, l’Église à Taïwan a travaillé efficacement à siniser l’Église en produisant une expression de la foi dans la langue et la culture chinoise. En l’absence de relations diplomatiques avec Pékin, Taïwan demeure le seul territoire chinois où l’Église peut témoigner pleinement de son amour pour le peuple chinois. Rompre avec Taïwan serait suicidaire pour l’Église en Chine.
Quand on veut survoler en montgolfière un site touristique, on envoie d’avance un petit ballon d’essai pour vérifier la direction et la force du vent. C’est peut-être ce qui vient de se passer à Pékin. Espérons que les quelques articles de l’accord diffusés publiquement ne vont pas déclencher dans l’Église un typhon destructeur qui retarderait l’envol de nouvelles décennies. Puisse la Montgolfière prendre son essor pour un survol pacifique de toute la Chine de Canton à Harbin, de Taïwan à Kashgar, et suivre toute la route de la soie de Pékin à Rome.

(EDA / P. Jean Charbonnier)